jeudi 1 septembre 2011

LE DÉBUT DE DESJARDINS, VU DE FRANCE, EN 1901

Extrait d'une édition d'avril 1901 du Bulletin du crédit populaire, publié à Menton (près de Nice), en France. elle est signée par un coopérateur français célèbre de l'époque, Charles Rayneri.

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LE CRÉDIT POPULAIRE AU CANADA

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Nos principes viennent de recevoir une éclatante consécration au Canada. C'est la ville de Lévis qui aura l'honneur d'avoir vu naître la première banque populaire canadienne; c'est un de nos meilleurs amis, M. Alphonse Desjardins, qui aura la grande satisfaction d'avoir été le vaillant importateur du crédit coopératif dans son pays.

Son projet remonte à plusieurs années. Ayant suivi nos travaux, étudié nos publications, les comptes rendus de nos congrès, il fut tellement frappé par la vérité de la doctrine coopérative, par les résultats obtenus dans tous les pays qui l'ont pratiquée, qu'il ne tarda pas à apercevoir le parti qu'on pourrait en tirer chez un peuple jeune et sur un territoire aussi vaste que le Canada, où l'organisation du crédit se trouve encore incomplète et insuffisante.

Il se mit à l'oeuvre; il prépara un plan ingénieux; il sut allier au système Schulze certains principes du système Raiffeisen, et réaliser sur le sol canadien le plus heureux des compromis entre ces deux grands propulseurs du progrès populaire.

Consultés sur son plan, sur les statuts par lui préparés, nous ne pûmes que fournir quelques indications complémentaires et approuver. M. Desjardins avait tout fait et parfaitement fait.

Dès le 20 septembre 1900, un groupe de mutualistes, car il faut remarquer que c'est la mutualité qui a engendré là la coopération - se réunissait chez lui pour examiner le projet et voir s'il était réalisable. Le résultat de cette consultation fut favorable. Un comité fut formé qui ne resta pas inactif. Il tint dix-huit séances, consacrées à l'étude de l'organisation des sociétés coopératives de crédit à l'étranger, et le 6 décembre, plus de cent citoyens représentant les diverses classes de la population de la ville de Lévis se réunissaient dans la salle de la Société des artisans canadiens-français de la cité de Montréal, succursale de Lévis, pour discuter des statuts et procéder à la constitution de la Caisse populaire de Lévis.

Il est touchant de constater l'élan spontané et l'esprit d'union qui ont présidé à cette fondation. Le curé de Lévis, le supérieur du collège de la ville, prirent tour à tour la parole, après les convaincantes explications fournies par M. Desjardins, pour faire ressortir les bienfaits que les travailleurs retireront de la nouvelle institution, qui les amènera à pratiquer efficacement la prévoyance et la solidarité, et passer en revue les services que le crédit coopératif rend partout où il a été organisé. Ces institutions, ont-ils ajouté, sont les véritables banques du peuple, de l'ouvrier, de ceux qui n'ont que de modestes ressources. Jusqu'ici, seuls les grands négociants, les gros industriels avaient leurs établissements financiers où ils apportaient leurs capitaux disponibles, et où ils puisaient les fonds indispensables à leurs opérations.

Dorénavant, le modeste artisan, le petit industriel, l'humble commerçant auront leurs banques, qui leur rendront les services que les grandes institutions rendent à l'aristocratie du commerce et de l'industrie.

Après ces éloquents discours, plus de quatre-vingts personnes s'empressèrent de signer le pacte social, et plus de deux cents parts furent souscrites. On vit rarement un pareil élan; c'était à qui serait le premier, et certains qui avaient dû s'absenter revinrent le lendemain.

Le nombre des sociétaires et des parts souscrites étant plus que suffisant, la Société fut définitivement constituée séance tenante, et l'assemblée procéda à la nomination du conseil d'administration de la commission de crédit et de direction et de la commission de surveillance.

Ont été nommés membres du conseil d'administration : MM. Alphonse Desjardins, Arcade Côté, Joseph Eugène Carrier, A.N. Lemieux, Pierre Ferland, F.X. Marceau, Théophile Carrier, Albert Lambert et Joseph Verreault; membres de la commission de crédit et de direction : MM. Napoléon Lamontagne, Thomas Powers, Joseph Gosselin et G. Ignace Couture; membres de la commission de surveillance : MM. Frs. Labrie, Joseph Delisle et L.J. Roberge.

M. Alphonse Desjardins a été élu président du conseil d'administration, M. Joseph Verreault vice-président, M. F.X. Marceau, secrétaire; M. G. Ignace Couture a été nommé président de la commission de crédit et de direction.

Depuis la fondation de la Société, plus de quatre-vingts sociétaires ont signé les statuts et souscrit des parts. On espère être 500 dans un an, bien que la population rotale de la circonscription ne soit que d'environ 11 000 habitants.

C'est un succès auquel nous applaudissons de grand coeur, ayant eu la satisfaction d'y collaborer de loin; mais nous ne pouvons nous défendre d'éprouver un sentiment de tristesse en constatant combien notre doctrine et notre propagande en fait de crédit populaire urbain sont plus appréciées au dehors qu'en France, où il reste tant à faire, sous ce rapport, au profit des travailleurs.

L'exemple de Lévis est frappant; il devrait secouer les apathies, les inerties. Partout les travailleurs s'organisent; la France se maintient fidèle à son rôle de soldat du progrès, mais elle ne songe pas assez à elle-même. L'heure est venue aussi pour elle d'agir. Ne perdons pas de vue les leçons du dehors.

Charles Rayneri (fondateur d'une « banque populaire » sur la Côte d'Azur en 1883).

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