vendredi 18 novembre 2011

De l'église St-François d'Assise à la Loi 101...

L'église St-François d'Assise, que vous voyez ci-contre, fut l'église paroissiale de mon enfance à Ottawa. La structure actuelle célébrera d'ailleurs dans quelques années son centenaire. Ses deux clochers sont visibles à des kilomètres de distance et rappellent encore aujourd'hui une époque où, autour d'eux, résidait une vibrante communauté franco-ontarienne de quelques milliers d'âmes. Un grand village francophone dans l'ouest d'une capitale unilingue anglaise.

Quand j'étais petit, dans les années 1950, on nous disait que la langue française était gardienne de la foi catholique. En rétrospective, je crois qu'il serait plus juste de dire que la religion, et notamment l'église paroissiale, était la gardienne de la langue française. Du moins chez nous. Sans doute ailleurs aussi. Notre petite Loi 101 bien à nous, en quelque sorte.

Il faut comprendre qu'à Ottawa tout ce qui avait un caractère officiel se déroulait essentiellement ou uniquement en anglais. Il n'y avait pas d'écoles françaises publiques, seulement des écoles bilingues, et encore seulement à l'élémentaire. L'hôtel de ville d'Ottawa était un bastion de francophobie. Les services publics en français? La police, les tribunaux? N'y pensez pas. À Ottawa, il n'était pas rare de se faire traiter de frog ou de se faire dire Speak white. Mais il y avait notre petit quartier - St-François d'Assise-Mechanicsville - où à peu près tout le monde parlait français et où l'église paroissiale constituait le seul lieu public qui soit nôtre.

Parce que l'église, ce n'était pas seulement la messe du dimanche. Le sous-sol de l'église et le centre communautaire adjacent étaient des lieux de rassemblement pour la communauté et pour les nombreuses organisations paroissiales... y compris la St-Jean-Baptiste et l'ancien Ordre de Jacques-Cartier (la Patente). Bien sûr, tout s'y passait en français. C'était notre espace public francophone, le reflet institutionnel de notre existence comme petite société francophone. J'ai retrouvé dernièrement une liste d'adresses postales des paroissiens de St-François d'Assise du début des années 1960 : entre la rue Wellington au sud (où est située l'église) et la rivière des Outaouais au nord, on aurait pu se croire dans une petite municipalité québécoise.

Aujourd'hui, un demi-siècle plus tard, la communauté est disparue. Il ne reste que quelques familles et des souvenirs éparpillés. Depuis les années 1960, l'église s'est vidée pour des motifs que tous connaissent. Le gouvernement fédéral a construit à la même époque un complexe massif d'édifices gouvernementaux dans l'ancien pré de M. Tunney, adjacent à Mechanicsville, modifiant à jamais le tissu social et le parc résidentiel des environs. Les blocs d'appartements ont remplacé les maisonnettes anciennes et plusieurs de celles qui ont survécu sont des taudis. Quelques rues subsistent en ayant gardé l'air de l'époque. Il y a encore des francophones, mais entre l'assimilation et les départs, il n'y a plus de collectivité francophone. Seule reste l'église, un monument à ce qui fut et ne sera plus.

En 1975, j'ai plié bagages et élu domicile au Québec, refusant que mes enfants (qui n'étaient pas encore nés) aient à lutter quotidiennement pour conserver leur langue dans un milieu largement hostile. Aujourd'hui, après plus de 35 ans à Gatineau, je commence à ressentir ce que je pressentais dans les années 1960 et 1970 à Ottawa. Le français est maintenant menacé au Québec, particulièrement ici en Outaouais et dans la métropole. Même le spectre des écoles bilingues, que les Franco-Ontariens ont mis aux poubelles depuis longtemps, a resurgi au Québec (!!!) avec l'intention annoncée par Jean Charest de soumettre les enfants à un apprentissage intensif de l'anglais en 6e année. Dans plusieurs commerces, on peine à se faire servir en français.

La Loi 101, comme mon ancienne église, a été créée par une société francophone en plein essor qui avait la volonté de s'affirmer et de faire respecter sa langue et sa culture chez soi. Les clochers de St-François d'Assise sont plus qu'un symbole de ce qui fut. Ils servent à nous avertir de ce qui pourrait arriver ailleurs. Il ne faudrait pas qu'un jour, la Loi 101 soit elle aussi le clocher d'une église vide.

Pierre Allard


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