lundi 5 novembre 2012

Certains chroniqueurs et commentateurs anglophones devraient suivre un cours «Assimilation 101»

Il est grand temps que quelqu'un donne à certains chroniqueurs et commentateurs anglophones un  cours « Assimilation 101 », pour qu'ils arrivent à comprendre mieux ce qui paraît évident à nous, francophones, par  expérience vécue, dans les données linguistiques du recensement de 2011 (et des précédents). Les récents textes de William Johnson dans l'Ottawa Citizen (French is not in danger) en particulier, mais aussi de Don Macpherson dans la Gazette (French 'in décline'? It's your fault), m'ont fait sursauter d'indignation. Je ne mets pas en question la bonne foi de ces auteurs, mais bon sang, en cette matière, ils ne comprennent parfois rien à rien!

Il n'y a pas de doute que mes antécédents d'engagement franco-ontarien dans les années 1960 et 1970, avant d'emménager à Gatineau, au Québec, m'ont prédisposé à guetter les statistiques de langue maternelle et de langue d'usage (la langue la plus souvent parlée à la maison) depuis le recensement de 1971... la première année où Statistique Canada a inclus la question sur la langue d'usage. Ce que nous voyons dans les colonnes de chiffres, nous le vivions dans nos communautés, nos quartiers, nos villes et villages, à travers les vastes contrées de l'Ontario.

Nous voyions autour de nous, dans la rue, à l'école secondaire, à l'université, au travail, des parents et grands-parents francophones dont les enfants parlaient un mélange accentué d'anglais et de français. Nous avons vu plusieurs de ces enfants adopter l'anglais (ce qui n'était guère surprenant compte tenu de l'environnement imposé aux Franco-Ontariens) après avoir quitté le nid familial, pour toutes sortes de raisons. Et les enfants de ces enfants ont grandi en anglais au foyer, l'anglais est devenu leur langue maternelle. C'était notre quotidien, et notre quotidien, le recensement en était le miroir quinquennal.

Je passe sur la multitude d'injustices que les francophones ont subies hors-Québec depuis la Confédération, qui ont certes contribué à l'anglicisation, pour dire à quel point ce n'est pas évident pour un francophone de vivre en français dans un milieu minoritaire. La conscience identitaire n'est pas, le plus souvent, une décision réfléchie. Elle est transmise, acquise ou apprise au fil des ans sans trop que la majorité ne s'en rende compte. Alors quand on vous répond constamment en anglais aux commerces, quand on vous jette un regard intimidant et hiérarchique quand vous demandez un service public en français, quand l'environnement médiatique de votre entourage est essentiellement anglo-américain, etc., ne soyez pas surpris si - en quelques générations - le tiers ou plus des francophones s'assimilent.

Mais revenons au recensement. Je commence par Don Macpherson parce qu'il a fait le commentaire le plus insidieux. Il écrit notamment : « Saying that there too many people who don't have French as their mother tongue is like saying there are too many who aren't white. So the problem is not what you do... It's what you are. ».

Relevons au passage l'allusion aux Blancs qui suggère presque un fond de racisme chez les francophones. Ça mérite bien une taloche verbale. Mais l'essentiel, c'est qu'il ne comprend pas que le recensement, c'est une photo de la population à un moment donné. Les francophones qui s'anglicisent et qui, deux générations plus tard, donnent naissance à des enfants qui auront l'anglais comme langue maternelle - cela arrive dans certains coins du Québec mais surtout hors-Québec - donnent aux chiffres sur la langue maternelle une portée qui semble échapper complètement au rédacteur de la Gazette. En comparant les données sur la langue maternelle d'un recensement à l'autre, sur une longue période, on comprend mieux l'évolution de la dynamique linguistique.

Maintenant passons au texte de William Johnson, grossier et odieux (le texte, pas l'auteur). Il commence par affirmer que la thèse du déclin du français et des menaces qui pèsent sur son avenir font partie des traditions chéries des nationalistes québécois et de plusieurs journalistes. Et il parle des jérémiades médiatiques qui ont suivi la publication, le 24 octobre, des données linguistiques du recensement de 2011. Il accuse notamment les médias de fausses déclarations (il y en a, au départ, dans le texte de M. Johnson). L'ancien président d'Alliance Québec aurait avantage à ne pas trop se laisser emporter.

D'abord, les problèmes du déclin du français ont été soulevés au fil des décennies par d'éminents fédéralistes qu'on ne pourrait taxer de souverainistes ou de « nationalistes québécois », et par à peu près tous les organismes qui s'occupent des francophones hors-Québec... et même par Statistique Canada. Ici, les nationalistes n'ont rien inventé. On peut longuement discuter des interprétations qu'ont faites du soi-disant déclin du français les différents intervenants, et là-dessus il existe de bonnes marges de manoeuvre. Mais de grâce, cessons de faire des procès d'intention à moins de preuves.

Quand au fond de l'argumentaire de M. Johnson, il nous balance pèle-mêle toute une série de statistiques qui mélangent, de temps à autre, les pommes et les oranges. Moi je vous le dis tout de suite : j'utilise comme seule source le profil des communautés du recensement de 2006 (de Statistique Canada) et le profil du recensement de 2011 (encore de Statistique Canada) et, à l'intérieur de ces documents, les chiffres de la population totale, de la population selon la langue maternelle, et selon la langue la plus souvent parlée à la maison.

Je ne sais pas de quels tableaux proviennent les données utilisées par M. Johnson. Il ne cite pas ses sources. Et il parle parfois de la langue la plus souvent parlée à la maison, tantôt de la langue parlée à la maison. Il faut savoir ici qu'il existe deux questions dans le recensement, qui font la distinction entre la langue la plus souvent parlée et une autre langue parlée régulièrement à la maison. Additionne-t-il les deux? Je ne sais pas. Ou utilise-t-il l'autre méthode de Statistique Canada pour combiner différentes réponses et faire des totaux pondérés? Je ne sais pas. Moi je n'utilise que les chiffres bruts des deux profils officiels, sans pondération.

Je suis en train de décortiquer le recensement, mais je peux dire qu'en Ontario, son affirmation que le français parlé à la maison (de quelle question parle-t-il?)  est en hausse ne semble pas correspondre à la réalité vécue dans les communautés recensées. Selon les profils officiels, dans le recensement de 2006, environ 289 000 Ontariens ont répondu que le français était la langue la plus souvent parlée à la maison, tandis qu'au recensement de 2011, le nombre d'Ontariens déclarant le français comme langue la plus souvent parlée à la maison avait diminué à environ 284 000, soit une perte de 5 000. Si on veut comparer des pommes et des pommes, c'est cette question qui nous permet, avec celle sur la langue maternelle, de fixer des points de repère depuis 1971.

Quant à sa façon de garrocher des chiffres hors conteste, sans comparer la langue maternelle à la langue d'usage, sans les insérer dans le tableau linguistique complet, avec évolution  et proportions, elle permet de fabriquer un argumentaire percutant mais qui déforme la réalité.

D'autre part, dans sa référence à l'arrêt Ford de la Cour suprême (de 1988), il affirme que les chiffres utilisés pour argumenter que le français était menacé au Québec provenaient pour l'essentiel d'une époque antérieure à la révolution tranquille (donc avant les années 1960). Le texte même de la décision de la Cour suprême évoque des rapports des années 1960, des années 1970 et d'autres données ultérieures. Et la reconnaissance, par la Cour suprême, que le français est menacé même au Québec contredit carrément son blâme du début envers les nationalistes québécois et plusieurs journalistes.

Enfin, dans un élan pour le moins délirant, il demande à la Cour de revoir l'arrêt Ford (sur la langue d'affichage) pour restaurer l'égalité, dit-il, dans une société qui exerce une discrimination systématique contre la langue anglaise et contre les anglophones, considérés comme une menace existentielle. M. Johnson ne sait pas ce qu'est la discrimination, qui n'existe pas comme il le prétend au Québec. Il y a eu plusieurs graves injustices au pays depuis la Confédération, mais aucune ne peut être attribuée aux francophones. Nous les avons toutes subies. Et j''en sais quelque chose, ayant grandi comme Canadien français en Ontario.




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