mardi 9 juillet 2013

Les 50 ans de la Commission B-B



Caricature du Devoir, signée Berthio, de juillet 1963

Le gouvernement Harper semble choisir les anniversaires qu'il faut « vraiment » célébrer en fonction de l'usage qu'il peut « vraiment »  en faire... Le bicentenaire de la guerre de 1812 lui permettait, en la tripotant un peu beaucoup, d'attiser des braises monarchiques et militaires qui servaient fort bien les orientations du Parti conservateur. On ne peut qu'imaginer le « spin » que le gouvernement actuel voudra mettre sur la préparation des 150 bougies de la Confédération en 2017... une propagande mur à mur sur notre beau et grand bilingue et multiculturel pays...

Pour célébrer la lutte pour la démocratie et le gouvernement responsable, on aurait mieux fait d'investir un dans la commémoration du 175e anniversaire des rébellions de 1837-1838, au Bas-Canada mais également dans le Haut-Canada. Mais c'était une rébellion anti-royaliste, voire républicaine. Ô horreur... Donc pas de budget pour ça... On aurait pu aussi prévoir un grand déploiement de mesures pour souligner le cinquantenaire de la  la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (la Commission B-B), créée le 19 juillet 1963.

Cette Commission fut la première reconnaissance officielle à Ottawa, par un gouvernement minoritaire libéral ayant à sa tête Lester B. Pearson, de l'existence au Québec d'un problème de fond qui remettait en question les rapports de « la belle province » avec l'ensemble du pays. Et c'était aussi, enfin, une reconnaissance que le fond de cette crise était d'ordre linguistique et culturel.  Les conservateurs sous Diefenbaker (ou Harper) n'auraient pas institué une telle commission. Les libéraux sous Pierre Elliott Trudeau non plus. La fenêtre de lucidité s'est entrouverte pour quelques années seulement...

Le mandat de la Commission B-B, présidée par André Laurendeau, éditeur du quotidien Le Devoir,  et Davidson Dunton, président de l'Université Carleton, à Ottawa, affirmait pour la toute première fois l'égalité de l'anglais et du français et des peuples qui les parlaient sur le territoire canadien. Une égalité individuelle et collective. Denis Monière, un de mes anciens collègues à la faculté des Sciences sociales de l'Université d'Ottawa à cette époque, rappelle bien les circonstances dans son livre* sur André Laurendeau :

« Laurendeau hésita avant d'accepter cette nomination. Il avait certes été l'instigateur de cette commission qui lui offrait de concrétiser sa conception des relations entre le Canada français et le Canada anglais, mais il craignait que cette fonction ne l'éloigne du Québec alors en pleine ébullition.

« On était au temps fort de la Révolution tranquille, en pleine bataille du Bill 60. Le Québec était secoué par les bombes du FLQ, alors que se déroulaient les enquêtes préliminaires des felquistes de la première vague. Marcel Chaput avait aussi entrepris une grève de la faim pour financer le Parti républicain du Québec.

« Alors qu'il était l'une des voix les plus écoutées au Québec où il pouvait jouer un rôle important, Laurendeau risquait, à titre de coprésident, de se retrouver sur un terrain politique où son influence serait aléatoire. (...)

« Dans un éditorial publié le 23 juillet, il expliqua aux lecteurs du Devoir les raisons de sa décision (d'accepter la coprésidence de la Commission B-B). En dépit du caractère périlleux de l'entreprise, qui risquait de soulever des passions, de cautionner une politique centralisatrice qu'il avait toujours combattue ou encore de se heurter à un mur d'incompréhension, il se devait d'accepter cette mission car, écrit-il, "c'est le destin d'un peuple qui est en cause".

« Pour la première fois, le gouvernement central, en créant cette commission, acceptait le principe de l'égalité et l'appliquait dans les faits. "Voilà trente ans que je me bats pour l'égalité. Je réclame la tenue d'une enquête depuis janvier 1962. J'ai défendu l'idée dans vingt articles. J'y crois. J'y plonge.

« Cette commission lui donnait l'occasion de poursuivre un dialogue ouvert avec le Canada anglais. Laurendeau croyait que la crise canadienne résultait en grande partie de l'ignorance et de l'incompréhension entre les deux peuples fondateurs. Il espérait par le travail de la commission briser les deux solitudes, abattre les palissades qui empêchaient les deux groupes de se comprendre et sensibiliser le Canada anglais aux besoins et aux aspirations des Québécois.

« Laurendeau entreprit cette mission pédagogique avec un optimisme modéré. Pour lui, l'enjeu de cette enquête était dramatique : "Ou nous sortirons de l'enquête un peu plus séparatistes qu'auparavant, ou nous en ressortirons convaincus que la coexistence avec le groupe de langue anglaise est possible et mutuellement fructueuse." »

André Laurendeau n'aura pas vu la fin des travaux. Il est mort en 1968, avant la publication du rapport final. De toute façon, il n'aurait vu que l'échec de son oeuvre. Trudeau avait pris le pouvoir, et a tout saboté. La Commission B-B aura été la première et dernière tentative, par Ottawa, de réconcilier deux nations égales dans une structure fédérale. Juillet 1963. Un mois important. Un anniversaire important. Bien plus que celui de la guerre de 1812....


* Denis Monière, André Laurendeau, Éditions Québec/Amérique, Montréal, 1983.

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