samedi 13 juillet 2013

Quand les chandelles nous rassemblent...

En partie parce que le drame de Lac-Mégantic me touche profondément, mais aussi sans doute en partie parce que je suis journaliste de métier, je me suis rendu hier soir à la veillée de solidarité annoncée au parc Jacques-Cartier, sur les rives de l'Outaouais, au coeur du centre-ville de Gatineau. Je n'ai pas été déçu.

Personne ne semblait vraiment avoir « organisé » l'affaire. L'invitation avait tout simplement été lancée dans les médias et plus d'une centaine de personnes y ont répondu. Des jeunes, des vieux, de gens de tous les milieux, ayant en commun cet élan de solidarité pour les familles éprouvées de Lac-Mégantic... et ces chandelles et lampions déposés en cercle un peu avant le coucher du soleil.



L'ambiance était au recueillement. Oh, il y a bien eu quelques allocutions et témoignages, dont celui du maire Marc Bureau qui s'était joint à sa marmaille, mais c'était sans micro et amplification. Il fallait tendre l'oreille pour saisir ces paroles prononcées en douceur. Il n'y avait, pour le reste, que le bourdonnement sourd des conservations... et la musique d'un jeune violoniste venu exprimer à sa façon les émotions ressenties devant tant de vies perdues.

Les participants à cette vigile, pour la plupart, ne se connaissaient pas, mais en de tels moments, les Québécois redeviennent tous un peu cousins, cousines. J'ai en mémoire ma seule visite aux Îles-de-la-Madeleine, en 2002. Nous étions attablés à un restaurant et nous avons amorcé une conversation avec les gens de la table voisine, de parfaits étrangers... En quelques minutes, tous se parlaient d'un bord à l'autre du resto. Un tel venait de Mauricie, l'autre de l'Abitibi, nous de l'Outaouais, certains du Saguenay ou de l'Estrie... en un instant la « famille » s'était reconstituée.

Hier soir, c'était un peu ça. On entendait ça et là les gens parler de leur vie ou de leurs visites à Lac Mégantic (il y avait une dizaine de Méganticois là), de l'horreur de perdre un proche, du souvenir ineffaçable des images de l'explosion, des responsabilités de la compagnie ferroviaire. Des inconnus qui échangeaient comme s'ils s'étaient toujours connus. Méganticois, Gatinois, nous sommes tous un peu beaucoup de la même famille...

J'y ai rencontré une pianiste et son conjoint. Elle était accompagnatrice aux cours de violon de deux de mes filles dans les années 80/90, au mouvement Vivaldi. J'ai appris hier soir qu'elle était Méganticoise et que, par surcroit, elle se trouvait au centre-ville de Lac Mégantic quelques heures seulement avant l'arrivée en trombe du train de la mort. Elle avait quitté la région en fin de soirée et n'a appris le drame que tôt, le lendemain, Mais il s'en est fallu de peu.

D'un coin d'oreille, j'ai entendu quelques hommes, plus âgés que mes 66 ans, prononcer le nom de mon quartier d'enfance à Ottawa, Mechanicsville (ainsi nommé pour honorer les mécaniciens des trains du Canadien Pacifique qui y demeuraient). Je me suis approché et me suis présenté à celui qui avait ranimé ces souvenirs de jeunesse. Il s'agissait d'un vieux prêtre capucin, Armand Soublière, originaire de mon quartier et de ma rue. Il avait été missionnaire au Tchad pendant près de 30 ans et avait survécu à quatre coups d'État, et vivait sa retraite à Gatineau. Hier soir, croix de Tau au cou, il était venu ajouter ses prières aux manifestations de sympathie.

La nuit tombait, après 21 h, et même si la « cérémonie » était terminée, les gens s'attardaient. Comme si on devait faire durer de telles expériences. Comme si on ressentait qu'elles ont, pour chacun, chacune, une grande valeur. Comme si les malheurs étaient toujours plus supportables bien entourés. En famille. En communauté.

Dans Le Devoir de ce matin, Bernard Descôteaux a mis le doigt sur un élément important, en parlant de M. Burkhardt, le grand patron détesté de la compagnie ferroviaire Montreal Maine & Atlantic. « Il ne pouvait pas comprendre l'ampleur du drame, non pas à cause de la barrière de la langue, mais parce que cet entrepreneur n'est que cela, un entrepreneur venu de nulle part, sans lien avec les gens de la collectivité de Mégantic. » Hier soir, nous savions que nous ne venions pas de nulle part, et nous avions des liens avec la collectivité de Mégantic.

Il faudra un jour raconter, sous cet angle, le démantèlement de la compagnie Maclaren, dans le secteur Buckingham-Masson de Gatineau. Vendue vers 1980 à Foresterie Noranda, une entreprise située hors du Québec et n'ayant aucun lien avec la collectivité. Pendant une vingtaine d'année, ces barons étrangers ont vendu l'entreprise pièce par pièce jusqu'à ce qu'il ne reste rien, laissant derrière eux carrières et vies brisées et des emplois perdus...

Il n'y a pas eu de grand drame comme à Lac-Mégantic, mais il y avait bien des Burkhardt...

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