mardi 6 août 2013

CBC et la musique « canadienne »

Les Anglo-Canadiens ne se disent jamais (ou très rarement) Anglo-Canadiens. Ils sont Canadian tout court. Dans un coin reculé de leur cerveau, ils sont conscients de la présence, au Québec et ailleurs au pays, de notre tribu de langue irritante mais cela ne modifie pas le coeur de leur construction identitaire. Alors quand on fait des « affaires » pan-canadiennes - des équipes de hockey par exemple, des comités, enfin peu importe - on y inclut quelques francophones parce qu'il le faut mais ça se passe à peu près toujours en anglais, en bon Canadian... Si je mentionne ça ce n'est pas pour leur adresser des reproches. Je comprends... Nous sommes pour eux, culturellement avec un petit « c », des étrangers et ils sont très vastement majoritaires entre l'Atlantique et le Pacifique.

Alors cela ne m'a guère surpris de voir, dans le palmarès des 100 meilleurs albums canadiens de tous les temps, confectionné par CBC Music, à peine quatre mentions d'albums francophones : Quatre saisons dans le désordre de Daniel Bélanger, L'heptade d'Harmonium, Starmania et Les chemins de verre de Karkwa. Qui suis-je pour critiquer les choix du comité élargi de CBC? Je ne suis pas un expert. Un amateur seulement (quoique depuis plus de 50 ans), et encore un amateur de certains types de musique (rock, folk, traditionnel et blues surtout). J'ai une bonne collection, vinyle et numérique, des chanteurs, musiciens et groupes que j'affectionne, et une connaissance moyenne ou inférieure du reste. Mais j'ai suivi de très près, et ce depuis la première moitié des années 1960, les comportements identitaires au Québec, au sein de la francophonie hors-Québec, et chez nos voisins anglo-canadiens.

Ce que je sais, d'expérience, c'est que l'immense majorité des Anglo-Canadiens ne comprennent pas le français, et que même quand ils sont bilingues, leur consommation de produits culturels québécois ou francophones  (canadiens et étrangers) est fort limitée. Ils écoutent peu la radio francophone (radio francophone - faut le dire vite... c'est plutôt une radio bilingue), achètent peu la musique québécoise ou franco-canadienne, ne fréquentent pas les concerts des Cowboys fringants et sont généralement inaptes (sont-ils même intéressés) à saisir la portée culturelle ou identitaire des musiques et paroles qui sortent d'ici (à l'exception de quelques émissions de radio de CBC). De fait, compte tenu de leur comportement culturel au moins aussi américain que canadien (en musique), j'oserais affirmer qu'ils n'ont pas la compétence, sauf exception, pour juger de l'importance de nos contributions musicales dans leur « melting pot » canadien.

Ces jours-ci, je réorganise mon bureau à la maison, le transformant en salle d'étude, de travail, de lecture et de musique. Cela implique une réorganisation de ma collection de vinyles, qui aura une place privilégiée dans cette pièce. Je n'ai pas encore classé le dixième des albums que je veux garder et continuer de réentendre et il me semble que j'ai vu dans ces titres des offrandes qui auraient pu être candidates à un « top 100 » de ce pays qui fait semblant de nous inclure à l'occasion. Je me permets de mentionner, au passage, quelques-uns de ces albums qui ont marqué leur époque et qui, dans certains cas, continuent de tourner en 2013.

* l'album Robert Charlebois / Louise Forestier de 1968, une véritable révolution musicale qui s'est avérée un tremplin pour le développement d'un rock typiquement québécois. Je n'aurais eu aucune hésitation à placer ce disque dans le top 10 du palmarès.

* et pourquoi pas, tant qu'à y être, l'album Québec Love qui a suivi en 1969, qui a raffermi les assises de cette transformation du rock d'ici. 

* l'album Jaune, de Jean-Pierre Ferland, de 1970, que certains critiques (dont je ne suis pas) estiment le meilleur album de tous les temps au Québec.

* l'album Léveillée-Gagnon de 1965, un « trésor de la culture musicale québécoise », qui vient d'être réédité en 2012.

* l'album Beau Dommage (le premier), où toutes les chansons sont devenues des classiques au fil des décennies!

* et que dire des nombreux disques qui sont sortis dans le sillage de la crise d'octobre, y compris les Poèmes et chants de la résistance (3 volumes) et SOS de Jacques Michel ?

* on pourrait aussi discuter de l'apport de groupes moins percutants mais dont la contribution a été soulignée à divers niveaux (les Sinners dans les années 60 et 70, entre autres).

Je continue mon inventaire et je suis sûr de pouvoir tripler ou quadrupler les suggestions, avec ma connaissance limitée du milieu musical. Des experts pourraient sans doute ajouter bien d'autres titres. À l'époque contemporaine, je ne comprends pas qu'au moins deux albums des Cowboys fringants, Break syndical et La grand-messe, ne soient pas placés bien haut dans ce top 100...

Quant au choix des albums anglo-canadiens, je confesse mon ignorance pour la plupart d'entre eux, quoique je connaisse la musique de la majorité des artistes. Encore là, ce que j'ai entendu,  sauf exceptions notables, c'est une musique qu'on peut difficilement différencier de l'amalgame américain. Il y a un « son » québécois qui se distingue des autres pays de la francophonie. Mais y a-t-il un « son » anglo-canadien aussi facilement identifiable? Personnellement, je ne crois pas.

Enfin, une suggestion à CBC Music. Ça ne m'offusquera pas si vous vous en tenez aux albums de langue anglaise et que vous les appelez Canadian... En musique du moins, c'est une appellation en voie d'extinction au Québec.



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