jeudi 14 novembre 2013

Les noms de nos lieux publics. À vendre?

Je m'insurge occasionnellement, et ce depuis longtemps, contre la pratique voulant que les noms d'édifices publics, ainsi que de leurs pavillons ou salles, puissent être « vendus » au plus offrant. Pendant des années, j'ai pesté contre le fait que la succursale principale de la bibliothèque municipale dans le secteur Gatineau portait le nom « Bowater », simplement parce que cette entreprise y versait un don annuel de 20 000 $...



Après la fermeture de leur usine de Gatineau, les dirigeants de Bowater ont cessé de garnir les coffres culturels de la ville mais le nom était resté... Quand c'est devenu carrément embarrassant de laisser une appellation à la mémoire d'une compagnie qui avait déserté les lieux, la ville de Gatineau a finalement rebaptisé l'édifice « Bibliothèque Guy-Sanche » à la mémoire de notre célèbre Bobino national, originaire du secteur Hull de Gatineau. Bravo !

Récemment, il avait été question de « vendre » le nom du nouveau complexe sportif de la ville, ce à quoi je me suis opposé avec vigueur. J'espère que je n'étais pas le seul. Ces édifices ont coûté des millions et des millions à construire, et d'autres millions à entretenir, des millions qui proviennent des deniers publics - de nos taxes et impôts principalement - et je trouve un peu indécent que nos représentants élus, à quelque niveau que ce soit, puissent céder l'identité de ces oeuvres publiques à un particulier - simplement parce qu'il est riche et qu'il a des sous à donner...

Encore une fois, cette semaine, la situation se reproduit. On vient d'annoncer que le pavillon d'urgence de l'hôpital de Hull, dont l'agrandissement a coûté aux citoyens la coquette somme de 27 millions de dollars et dont le fonctionnement et l'entretien continueront à accaparer d'importantes ressources, portera le nom de Maurice Marois parce que cet homme d'affaires de l'Outaouais a accepté d'y verser un don de 500 000 $ en cinq tranches annuelles de 100 000 $.

Je n'ai rien contre M. Marois. C'est sûrement un chic type et sans doute un entrepreneur exceptionnel dans son domaine - l'électricité - et un investisseur doué. Et je n'ai rien contre le fait qu'on le remercie publiquement, qu'on lui érige une plaque au pavillon d'urgence pour que tous et toutes en prennent connaissance. Et je ne mets aucunement en doute ses motifs : l'hôpital et son personnel lui ont sauvé la vie au moins deux fois, de son propre aveu. À sa place, avoir ses sous, j'aurais fait la même chose.

Mais cela ne suffit-il pas? Son don, quoique important et fort apprécié, ne constitue qu'une petite parcelle des sommes consacrées à la remise à neuf de l'urgence hulloise et à son fonctionnement. Le reste provient principalement du trésor public - des citoyens. Il me semble que si l'on doit baptiser des pavillons comme l'urgence de l'hôpital de Hull à la mémoire d'une personne, le nom qui conviendrait le mieux serait en lien avec le domaine de la santé : un chercheur, un pionnier, etc. Et il me semble que le choix devrait être confié à un comité de toponymie (peut-être l'est-ce déjà?), comme à la municipalité.

Il y a quelques années, en 2008, le Centre de santé et de services sociaux de Gatineau a donné à sa bibliothèque médicale le nom « Centre de documentation médicale André-Paul Racine », en l'honneur d'un pionnier local des archives médicales. Cela est pleinement justifié et c'est ce genre d'appellation que les organismes publics devraient privilégier. Mais l'an dernier, quand un autre commerçant (Ernest Lafortune) de Gatineau a versé un don d'un million de dollars échelonné sur cinq ans, on lui a cédé le nom de la nouvelle urgence de l'hôpital de Gatineau... Sans commentaire...

De l'autre côté de la rivière, à l'Université d'Ottawa où j'ai repris mes études à l'hiver 2012, je suivais un séminaire de science politique au pavillon Desmarais, une tour d'une douzaine d'étages sur le campus, à proximité du canal Rideau. L'Université a nommé l'édifice pavillon Desmarais il y a quelques années après que l'homme d'affaires Paul Desmarais lui eut remis un don de 15 millions de dollars.

Malgré toute l'estime qui est due à feu M. Desmarais et à ses réalisations, et en dépit de l'importance du don (15 millions $ c'est substantiel), j'estime qu'on aurait dû commémorer le savoir et la recherche, plutôt que le commerce et la richesse d'un donateur. J'aurais très bien accepté qu'on le nomme pavillon Desmarais si l'édifice avait abrité la faculté de commerce ou d'administration des affaires, et ce, même si le magnat de Power Corporation n'avait fait aucun don à l'Université...

Enfin, même si 15 millions $ est une somme que tous jugeraient faramineuse, y compris moi, il reste que l'édifice a coûté plus de 75 millions $ et que le budget de cette université publique ontarienne avoisine le milliard de dollars par année... encore une fois, largement, des fonds publics.

Il y a, dans cette manie de donner le nom de riches donateurs à plusieurs de nos lieux publics, une suggestion insidieuse. Ces gens sont-ils des citoyens plus méritants que d'autres parce que leurs comptes de banque sont mieux nantis? C'était l'ancienne tradition dans nos pays, où il fallait jadis avoir une certaine quantité de richesse ou de propriété pour pouvoir voter. Encore aujourd'hui, il faut être propriétaire d'une quantité spécifiée de biens pour être nommé au Sénat canadien...

Mais tout en reconnaissant le travail et la contribution hors normes de plusieurs de nos entrepreneurs qui sont devenus riches par leur génie, par leur ardeur, par leurs habiletés, il y en a bien d'autres qui ont bâti leurs fortunes sur la spéculation, les marchés boursiers et les héritages...

Le « pauvre » type (pauvre au sens monétaire seulement) qui a passé des années à faire du bénévolat, à aider son prochain, à amasser des fonds pour des oeuvres comme, entre autres, les fondations hospitalières, sa contribution ne vaut-elle pas autant que celle du mécène qui frappe à la porte en offrant des centaines de milliers de dollars ?

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Et dans le secteur privé...


Dans le secteur privé, ils peuvent bien faire ce qu'ils veulent, et le font. Et cela donne des situations pour le moins loufoques au fil des ans. Ainsi, le complexe bâti pour abriter les Sénateurs d'Ottawa (les hockeyeurs, pas les politiciens du Sénat) s'appelait à l'origine Palladium, dans la ligne du thème de l'Empire romain (le logo des Sénateur compte un casque de légionnaire romain). Par la suite, en vendant le nom à des entreprises donatrices, c'est devenu tout à tour le centre Corel, la Place Banque Scotia et maintenant le centre Canadian Tire... Yark...

Dans le secteur public c'est autre chose. Ce sont nos dollars, et nos élus qui ont, entre autres responsabilités, celle de défendre l'intérêt public.

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