jeudi 20 mars 2014

La grande noirceur

Si Stephen Harper réclamait que tous les Québécois francophones apprennent l'anglais (les Anglo-Québécois, pour leur part, pourraient demeurer unilingues... anglais), et que ce Québec bilingue-en-devenir mette de côté ses revendications constitutionnelles pour rester simplement une province un peu différente des autres dans un Canada qui s'anglicise à vue d'oeil, il y aurait sans doute un tollé !

Mais quand Philippe Couillard et le Parti libéral du Québec (PLQ) proposent la même chose - et c'est effectivement ce qu'ils proposent - il n'y a pas de tollé. Pour l'importante partie de l'électorat (20 à 25%) qui est prête à tout sacrifier pour abattre le Parti québécois et contrer toute stratégie qui assurera la francisation d'un Québec plus autonome, l'appui au PLQ est coulé dans le béton. Pour le reste des électeurs, l'opinion varie selon la nature et l'intensité des débats en cours.

Ce bloc libéral coulé-dans-le-béton, imperméable aux grands courants d'idées et axé sur son opposition aux aspirations historiques des francophones, est principalement constitué d'anglophones de souche (nos anciens Rhodésiens), d'allophones anglicisés ou en voie d'anglicisation, ainsi que de francophones anglicisés ou bilingues-jusque-dans-l'identité (dans des régions - Outaouais, West Island - où le bilinguisme collectif engendre un glissement identitaire vers l'anglais). C'est entre le cinquième et le quart de l'électorat, toujours acquis au «non» dans un référendum et très majoritairement au PLQ lors d'un scrutin.

Cela signifie qu'à chaque tentative de francisation du Québec, au moyen d'un renforcement de la Loi 101 par exemple, ou à chaque tentative de rapatriement de pouvoirs fédéraux au Québec, soit pour accentuer l'asymétrie de la fédération, soit pour en arriver à une forme de souveraineté, il faut compter sur l'opposition systématique du bloc non francophone (anglophone, allophone anglicisé ou en voie d'anglicisation, francophone anglicisé ou en voie d'anglicisation). Le «non» (et donc le PLQ) part toujours avec une base de 20 à 25 points. Le «oui» doit obtenir les deux tiers du reste pour gagner... et le PQ, pour vaincre, doit en obtenir plus de la moitié ou espérer une division des votes d'opposition.

Ce bloc anti-francophone est un poids mort pour la démocratie québécoise, un boulet qu'il faut traîner de scrutin en scrutin, un boulet que nous respectons en bons démocrates mais qui ne nous respecte pas ou peu en retour... On n'a qu'à lire les propos parfois hystériques, xénophobes, francophobes, voire racistes, publiés presque quotidiennement dans les médias de langue anglaise pour juger du respect qu'ils ont pour nous... Selon les plus récents sondages, de 75 à 80% des non-francophones voteront pour le PLQ. Les francophones, pour leur part, n'offrent un appui majoritaire à aucun parti...

Au référendum de 1995, plus de 60% des francophones ont voté «oui» mais c'était insuffisant pour vaincre l'effet du poids mort. Comme, ces jours-ci, l'appui au «oui» oscille autour de 40% (environ la moitié des francophones), il ne faut pas se surprendre qu'avec la tournure « référendaire » de l'élection actuelle, une proportion accrue de la moitié des francophones favorables au «non» songe à se greffer au «poids mort» et ainsi appuyer le parti d'un Québec bilingue et rangé - le PLQ.

Dans ma région, l'Outaouais, et plus particulièrement dans la région urbaine de Gatineau, dans le Pontiac et dans la Basse-Gatineau, ce bloc acquis aux libéraux est bien plus élevé que la moyenne québécoise. Aussi les candidats du PLQ n'ont-ils pas hésité, dès le départ, à jouer la carte référendaire, sachant que le « spectre d'un référendum », et surtout la possibilité d'une victoire du oui, suffit ici pour répandre la terreur...



Les députés libéraux de la région montent rarement au front pour défendre leurs concitoyens francophones. On l'a vu récemment dans le dossier de l'enseignement de la médecine en anglais à l'UQO. Mais quand il y a perception que les droits des anglophones puissent être menacés, comme dans l'affaire des municipalités bilingues l'été dernier, ils sont les premiers à les défendre sur la place publique. Le fait que dans ces mêmes municipalités, ce soient les francophones qui se fassent assimiler, ne semble pas les déranger du tout...

Dans le Pontiac, les francophones ont été tellement malmenés depuis le 19e siècle que les mécanismes d'autodéfense sont presque épuisés... On perçoit aussi une certaine lassitude linguistique à Gatineau, quatrième ville du Québec mais aussi partie presque intégrante d'Ottawa, une région où la langue française, constate-t-on, est en constante régression (http://bit.ly/1iiKp7p)... Allez comprendre pourquoi à Ottawa, un Franco-Ontarien militant suscite le respect et l'admiration, mais qu'à Gatineau, celui ou celle qui milite pour la langue française ou l'application de la Loi 101 est souvent soupçonné d'être xénophobe, intolérant ou pire, « séparatiste »... Pourquoi y a-t-il encore ici plein de gens qui osent à peine chuchoter à l'oreille leur appui au PQ, par crainte que cela se sache sur la place publique...

Mais surtout n'allez pas parler de ça, ce ne sont pas de « vraies affaires »...

Des Québécois bilingues, un Québec tranquille, un Québec province-presque-comme-les-autres, voilà ce qu'exige le bloc anglo-allo-franco-assimilé... Voilà ce qu'offre Philippe Couillard... Quand un jour lointain, notre petit peuple aura disparu dans la grande noirceur de l'univers et ne sera qu'une anecdote historique, on verra peut-être cette élection comme un des points tournants...

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