samedi 8 mars 2014

Qu'est-ce qu'on mijote?

Ainsi le premier ministre Stephen Harper consulte ces jours-ci, apparemment préoccupé par la possibilité d'une victoire majoritaire du Parti Québécois. Il s'est entretenu avec Thomas Mulcair, Justin Trudeau, ainsi qu'avec certains, sinon la plupart de ses homologues provinciaux. De quoi leur a-t-il parlé? Et surtout, que mijote-t-il? Oh, soyez-en assuré, il mijote quelque chose.

Après le référendum de 1995, il avait durement reproché au premier ministre fédéral de l'époque, Jean Chrétien, ne n'avoir pas été suffisamment préparé et d'avoir laissé le Canada frôler l'abime... C'est un partisan de la méthode forte et depuis le dernier scrutin de 2011, son parti n'a plus grand chose à perdre au Québec. Et son pouvoir se fonde, entre autres, sur des éléments parmi les plus anti-québécois du Canada anglais.

Quand on veut en savoir un peu plus ce qui trotte dans certaines officines du pouvoir à Ottawa, on écoute les chroniqueurs des médias anglo-canadiens proches de l'idéologie conservatrice. Or, avant-hier, comme par hasard, dans le National Post, le chroniqueur Kelly McParland a proposé à Ottawa de devancer le PQ et d'organiser un référendum pan-canadien sur le statut du Québec. On imagine les conséquences de ça... Le bordel le plus total.

Est-ce un ballon d'essai ou l'élan personnel de l'auteur? Peut-on imaginer que M. Harper puisse aller jusque là? Il ne serait pas le premier politicien fédéral à proposer une telle stratégie, si effectivement il y songe. En mars 1970, lors de la première présence électorale du Parti Québécois sous René Lévesque, une des trois colombes, Jean Marchand, avait ouvertement favorisé une le recours à un référendum par Ottawa si jamais il y avait eu un gouvernement minoritaire du PQ (pic.twitter.com/P5biGqddtS). Il avait même évoqué l'hypothèse d'une intervention armée...

La question de la légalité d'une éventuelle sécession du Québec a toujours été l'objet de débats et de spéculations, du moins jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada publie son avis là-dessus en 1998. Au désespoir sans doute de Jean Chrétien, la plus haute cour du pays n'a pas écarté du revers de la main la légitimité d'une accession du Québec à l'indépendance. Les juges ont toutefois opiné qu'il fallait une majorité claire et une question claire... et là-dessus, évidemment, il n'y a pas d'unanimité...

On peut imaginer que la plupart des chefs fédéraux voudront une question qui invite, par son libellé, un « non », pendant que les chefs souverainistes voudront rendre le libellé plus attrayant pour un « oui ». Quant à la majorité claire, le 50% plus un qui devrait normalement rallier tout le monde est contesté au fédéral, sauf par le NPD. Justin Trudeau a même parlé d'un seuil des deux tiers... un seuil qu'il sait parfaitement impossible à atteindre... Et n'oublions pas que tout éventuel référendum se déroulera sur un fond d'opinion publique largement hostile, parfois même hystérique et violente, au Canada anglais.

Si on scrute l'histoire du pays, le gouvernement central - Londres jadis, Ottawa depuis 1867 - n'a jamais mis de gants blancs pour réprimer les soubresauts nationalistes au Québec et la langue française ailleurs au Canada français. La répression de la rébellion de 1837-38 a donné lieu à des actes qui seraient considérés comme crimes de guerre et crimes contre l'humanité aujourd'hui. L'armée a été utilisée sans merci contre les Métis dans l'Ouest. Toutes les provinces à majorité anglophone ont supprimé les droits de leur minorité de langue française. Ottawa a envoyé l'armée au Québec durant la Première Guerre mondiale, puis durant la crise d'octobre en 1970.

1970, ce n'est pas si loin... J'étais journaliste et et j'ai couvert la crise d'octobre comme courriériste parlementaire du début à la fin. Pour réprimer une poignée de terroristes et de meurtriers du FLQ, le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau a invoqué la Loi sur les mesures de guerre, alléguant une insurrection appréhendée inexistante, et supprimé les droits et libertés de tous les citoyens canadiens, jetant à la prison des centaines de Québécois innocents dont le seul crime était d'être indépendantistes, artistes, syndicalistes...

Pensez-vous vraiment qu'Ottawa, après deux référendums, va rester les doigts croisés si Pauline Marois reprend le pouvoir avec une majorité législative et que l'état-major fédéral commence à entrevoir la possibilité d'un référendum gagnant pour les souverainistes? On ne s'en tiendra pas au débat loyal d'idées. Il y aura des jambettes, des coups sales, des menaces, tout y passera. Et si cela ne suffit pas, il ne manquera pas de ténors au Canada anglais pour réclamer une répression armée au Québec.

L'hystérie actuelle de certains propos d'une extrême violence, des propos haineux qu'on ne tolère que lorsqu'ils s'adressent aux francophones et aux Québécois, crée déjà un climat volatile. Pauline Marois a été victime d'un attentat le soir de l'élection de septembre 2012. Rien ne nous assure que de tels incidents ne se reproduiront pas. Il faut, à cet égard, souhaiter que fédéralistes et souverainistes fassent cause commune contre cette francophobie qui s'intensifie...

Le fait que nous soyons un peuple profondément pacifique ne nous a jamais garanti la paix. Surtout en temps de crise. Peut-être M. Harper cherche-t-il seulement à s'imposer comme porte-parole du pays et s'assurer que les fédéralistes présentent un front uni... Espérons-le. Mais un brin de méfiance ne serait pas superflu.



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