lundi 16 juin 2014

Les héros canadiens

Louis Riel

À l'âge de 17 ans, j'avais décroché un emploi d'été à la bibliothèque de Statistique Canada après ma première année en sciences sociales à l'Université d'Ottawa. Le bibliothécaire, un très sympathique Albertain qui lisait beaucoup mieux le français qu'il ne le parlait, avait embauché un second étudiant, plus âgé que moi, un Torontois inscrit à une faculté de droit (je ne me souviens plus de son université). Le hasard voulut que la première discussion entre ce collègue anglophone et moi porte sur Louis Riel…

C'est un héros, lui dis-je. C'est un meurtrier et un traitre, répond l'autre sans hésiter. Et voilà, les deux solitudes canadiennes en présence l'une de l'autre. Steve, c'était son prénom, avait appris l'histoire du Canada dans une école anglaise, moi dans une école «bilingue» franco-ontarienne d'Ottawa où tous étaient francophones. J'aurais sans doute appris la même chose au Québec.

Pour l'Anglo-Ontarien typique, Riel était un rebelle et l'assassin de l'orangiste Thomas Scott en 1869. Pour nous, c'était le défenseur des droits des Métis contre le racisme de l'orangiste Thomas Scott et de ses semblables, ces mêmes orangistes qui appuieraient l'adoption en 1912 du règlement 17 interdisant l'enseignement en français dans les écoles ontariennes.

Alors quand, même en 2014, je vois une liste des plus grands héros canadiens, peu importe qui la confectionne (Patrimoine canadien cette fois), je me demande s'il s'agit de la liste anglaise ou de la liste française. Les articles publiés dans les journaux de fin de semaine (http://bit.ly/1n4mCYE) n'indiquent pas de ventilation par province ou par langue des répondants… mais une lecture rapide de la liste me porte à croire qu'il s'agit plutôt de la liste anglaise…

Je n'ai pas vu de sondage récent sur les «héros» chez les parlant français du Québec et d'ailleurs au pays.. Je me souviens cependant qu'en 1968, Radio-Canada avait demandé l'opinion de ses auditeurs et que les patriotes Jean-Olivier Chénier et Louis-Joseph Papineau avaient terminé respectivement en première et troisième positions au palmarès des héros canadiens-français. Pierre d'Iberville complétait ce premier trio.  

Selon l'échantillon de Patrimoine canadien, les dix plus grands héros de l'histoire du Canada - ceux qui ont le plus inspiré les répondants - seraient actuellement, dans l'ordre : l'ancien premier ministre fédéral Pierre Elliott Trudeau, le coureur Terry Fox, l'ancien premier ministre de la Saskatchewan et chef néo-démocrate fédéral Tommy Douglas, l'ancien premier ministre Lester Pearson, l'astronaute Chris Hadfield, l'écologiste David Susuki, l'ancien chef du NPD Jack Layton, l'ancien premier ministre John A. Macdonald, le hockeyeur Wayne Gretsky et le général Roméo Dallaire. Une liste intéressante mais nettement à tendance hors-Québec…

Que serait, de «notre» point de vue, le «top 10» des héros de l'histoire canadienne? Et je dis bien de l'histoire du Canada, des héros dont l'action pourrait viser et intéresser l'ensemble du pays. J'exclurais ceux et celles qui pourraient être perçus uniquement comme les futurs héros d'un Québec indépendant - les Pierre Bourgault, Marcel Chaput et autres.

Je serais donc curieux de voir quels résultats obtiendrait la liste suivante (mise en face de la liste de Patrimoine canadien) auprès d'un échantillon représentatif francophone ayant de bonnes connaissances historiques.

Je pense qu'au moins deux noms de la liste de Patrimoine canadien mériteraient d'obtenir la faveur des francophones autant que des anglophones : Tommy Douglas, reconnu comme le père de l'assurance-maladie au pays (lancée en 1944 en Saskatchewan) et Terry Fox, pour ses exploits et pour son courage dans sa lutte contre le cancer. Pierre Elliott Trudeau aurait sans doute la faveur des francophones hors-Québec mais reste, il me semble, largement controversé dans sa province natale. Il récolterait probablement au Québec un score moins élevé qu'au Canada anglais.

Je proposerais huit autres noms, pas nécessairement dans l'ordre:
* les deux patriotes primés en 1968, Jean-Olivier Chénier et Louis-Joseph Papineau, le premier pour le sacrifice de sa vie et le second pour l'ensemble de son oeuvre qui en fait un des pères de la démocratie canadienne;
* Louis Riel, pour sa défense des Métis et des francophones au Manitoba et dans les Prairies;
* le hockeyeur (s'il faut qu'il y en ait un) Maurice Richard, authentique héros dont la suspension en 1955 est considérée comme un des événements déclencheurs de la Révolution tranquille;
* le médecin Norman Bethune, qui a laissé une marque indélébile par ses exploits ici et à l'étranger, notamment contre le fascisme en Espagne et aux côtés de Mao en Chine;
* le journaliste André Laurendeau, auteur avec Davidson Dunton de la seule véritable enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme de l'histoire du Canada (la Commission B-B);
* le journaliste et politicien René Lévesque pour l'ensemble de sa carrière, de la Seconde Guerre mondiale à la télé de SRC à la politique (on célèbre certaines de ses réalisations même au Canada anglais, aujourd'hui);
* et, enfin, sur le front culturel, Félix Leclerc, dont on célèbre cette année le 100e anniversaire.

J'ajouterais, pour honorer mes tripes franco-ontariennes, un onzième nom. Et j'insiste pour que ce soit une femme (il n'y en a aucune dans la liste de Patrimoine canadien). Alors je proposerais la candidature de Jeanne Lajoie, cette institutrice de Pembroke qui sacrifia sa carrière, sa santé et sa vie pour enseigner - illégalement - en français durant le règne du règlement 17. Elle est morte à 31 ans en 1930 et sa vie, déjà entrée dans la légende de l'Ontario français, mérite d'être célébrée dans l'ensemble du pays (voir http://bit.ly/1lsvGoG).

Les héros restent largement des symboles, trop souvent utilisés à des fins partisanes ou douteuses. Pour moi, c'est l'héroïsme de ces millions de gens anonymes qui ont lutté pour gagner leur vie, élever leur famille, pour s'instruire, pour soigner, pour bâtir, pour aider, qu'il faudrait honorer plus souvent.

Il serait intéressant cependant que chacun, chacune, dresse une liste de ses héros, si ce n'était que pour avoir l'occasion de rafraîchir sa mémoire en feuilletant des livres et des sites historiques pour revivre les vieilles chicanes et les vraies affaires des époques précédentes. Il pourrait en résulter un intérêt accru pour l'histoire doublé d'un sain débat pour instruire le présent et l'avenir de nos collectivités.

  



1 commentaire:

  1. Qui sont "nos" héros canadiens ? Qui sont les héros d'une jeune autochtone d'Attawapiskat dont la mère a été punie à l'orphélinat parce qu'elle parlait sa langue maternelle ? Qui étaient les héros de mon grand-père Herménégilde, gardien de phâre sur l'île d'Anticosti ? Du scientifique David Suzuki ? Qui seront les héros de Zachary, mon petit-fils ? Qui étaient les héros de Louis Riel ? Qui sont les héros de Sister Hope, ma voisine à la Coopérative d'habitation des Jardins ? Et ceux de Bruno Gerussi, animateur de radio de la CBC ? De la Québécoise Denise Bombardier ? De Linda Colvin, cadet de la Brigade ambulancière Saint-Jean à Saskatoon quand j'étais ado ? De Marie-P. Poulin, autrefois directrice de CBON, la radio française de Radio-Canada dans le nord de l'Ontario ? De la mère de Kelsey Miller, épouse de mon fils Stéphane ? De mon amie Agnes Vandergang qui s'est suicidée ? de Serge Lacroix, mon chef scout à Welland ?

    De mes deux filles, Catherine et Mélanie Poulin-Delisle ? Du premier ministre Stephen Harper ? D'Omar Khadr qui enfant, dévorait le Coran en arabe ET Tintin ? De Pierre Bourgault ? De la journaliste Chantal Hébert ? De Louise, épouse de mon ami Lionel St. Jean ? De l'Acadienne Antonine Maillet ?

    Qui sont vos héros canadiens ? Racontez SVP...

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