jeudi 19 juin 2014

Réponse de Mme Tina Desabrais, de l'ACFO de Prescott-Russell

Voici l'excellent commentaire reçu de Mme Tina Desabrais, en réponse à mon blogue précédent sur l'ACFO de Prescott-Russell et le bilinguisme. La longueur du texte ne permet pas de le présenter à la fin du mien (http://bit.ly/1lC2HVA). Je le propose donc à titre de texte de blogue autonome. J'invite tous et toutes à la lire. Merci.

Bonjour M. Allard,
Wow... Quelle belle façon de se faire accueillir dans un nouveau mandat! Mandat que j’ai accepté d’exercer bénévolement, par amour et engagement pour la francophonie... Je suis ravie qu’un de mes collègues m’ait fait part de votre texte ; ceci me permet d’engager un dialogue avec vous. Un dialogue, dis-je bien, car ce type d’attaque ne correspond pas à mes valeurs et mes façons de faire (je dois être trop « polie »), bien que je sois très capable d’en mener une, d’où l’origine de l’expression « Une main de fer dans un gant de velours ».
Je vous demanderais d’abord de peser vos mots. « L’ACFO n’a pas à promouvoir l’anglais... ». C’est fort. Très fort. C’est sans doute par déformation professionnelle que vous avez choisi ce titre, car tout bon journaliste se doit d’attirer l’attention du lecteur. Bien, bravo, car cela a fonctionné. Mais ce titre est-il représentatif de mes intentions, voire de la réalité? Serait-il exagéré, par pur désir de sensationnalisme ? Ensuite, votre blogue présente un gros logo de la Ville de Hawkesbury. Auriez-vous oublié que l’ACFO PR représente Prescott et Russell dans son entier, et non seulement Hawkesbury? Cela a une influence sur plusieurs facteurs et plusieurs décisions...
Je vous remercie des informations que vous nous avez transmises au sujet de l’Est ontarien, en matière de dynamique linguistique, car cela a peut-être été éducatif pour certains de vos lecteurs. Je ne les résumerai pas ici et je n’y reviendrai pas, car je dois vous affirmer que, pour ma part, je n’ai aucun besoin d’être renseignée à ce sujet ; surtout pas de façon aussi superficielle. Comme vous le dite, je suis originaire de Hawkesbury et enseignante de français à La Cité. Je me retiens de vous faire parvenir mon CV pour vous démontrer à quel point je suis, justement, renseignée au sujet de la francophonie de l’Est ontarien, voire de la francophonie en Ontario, au Canada et ailleurs dans le monde. Non seulement suis- je renseignée, je suis aussi très impliquée dans notre francophonie.
Le sujet de l’affichage bilingue est, certes, un sujet très délicat. J’en étais consciente avant d’en parler. Par ailleurs, c’est un sujet parmi tant d’autres que j’ai abordés avec le journaliste Samuel Blais-Gauthier. Je comprends que vous ayez des limites d’espace, à titre de journalistes, donc je n’ai pas fait de cas lorsqu’il a écrit que j’allais faire de l’affichage bilingue une priorité. C’est effectivement un de mes objectifs, mais parmi tant d’autres, dois-je répéter. Et n’allez pas croire que je vais me lancer dans cette histoire les yeux fermés, par simple conviction personnelle. Je compte d’abord m’entretenir avec les quatre autres municipalités qui ont adopté un tel règlement à savoir quelle est leur réalité de vie linguistique depuis. Bien que tout ne soit pas parfait dans leur coin, cela a sans doute apporté des éléments positifs.
Ceci dit, expliquez-moi en quoi est-ce que demander de traduire des documents municipaux en français vient encourager l'anglais? Je voudrais aussi sonder le reste de la population, qui n’est pas encore soumise à ce règlement, à ce sujet. Je discute également, en ce moment, avec un chercheur de l’Université de Moncton afin de faire une étude comparative Hawkesbury-Dieppe. Et comme me le suggérait un collègue, on pourrait aussi ouvrir la porte, dans le débat sur l'affichage, à un règlement qui promeut la présence du français plutôt que le bilinguisme. Je ne suis pas du tout en désaccord avec cela, bien au contraire. Ceci dit, rien n’est coulé dans le béton, donc rien n’est prévu pour demain. Ce type de changement ne se fait pas en claquant des doigts ; il nécessite une réflexion sérieuse. De votre côté, si vous avez des solutions, sur le plan juridique et autres, je vous invite à nous les partager, car ces enjeux sont de grande envergure et ont un impact sur la vie quotidienne des gens. Ceci dit, mon point de vue sur une politique de bilinguisme est qu’elle ne veut pas favoriser l’égalité de l’anglais, mais l’égalité, point ! Il faut faire attention à comment l’on interprète les choses. Mais bon, comme on le dit communément : Parlez-en en bien, parlez-en en mal, mais parlez-en ! Cette approche ne met pas de côté le fait d’affirmer, par toutes sortes de moyens (activités, revendications, politiques, etc.), le visage des communautés francophones. « Un n’empêche pas l’autre », comme on dit, une fois de plus, communément.
Croyez-vous que je n’ai pas de pincement au cœur, en songeant à cette approche, par rapport aux commerçants qui affichent encore uniquement en français ? Croyez-vous que je ne me sens moi-même pas déchirée dans cette histoire ? Croyez-vous que je ne préférerais pas, moi aussi, porter des œillères et me dire qu’Hawkesbury et ses environs sont à l’abri de l’assimilation ? Si j’ai abordé le sujet, c’est parce que oui, je le répète, l’assimilation est un phénomène pernicieux, et je dirais même insidieux. Comme dit dans l’article de SBG, j’ai vu et entendu, de mes propres yeux et oreilles, ma région s’angliciser. Je ne souhaite pas m’incarner en diseuse de bonne aventure, mais je suis sous l’impression que d’ici 10, 15, 20 ans, le français sera au second rang dans notre région si nous ne faisons rien présentement pour lui assurer la place qui lui revient et qu’il mérite. Regardons tout simplement Ottawa, Orléans, puis Rockland, pour se rapprocher de nous. Regardons même Montréal (qui est sous la Loi 101!) et ses commerçants qui, de plus en plus, desservent et affichent uniquement en anglais – au risque de se faire « pogner ». Nous ne sommes pas sous une coupe de verre ni sur une île perdue au beau milieu de nulle part pour même rêver que le contexte sociolinguistique, voire le phénomène de la mondialisation et, avec elle, les grandes chaînes anglophones qui poussent comme de la mauvaise herbe, ne nous atteindront jamais. C’est en fait déjà commencé. Au fait, par simple curiosité, quand avez-vous séjourné dans la région récemment? Je dis bien « séjourné » et non pas seulement y avoir été de passage.
Je cherche donc uniquement à être proactive et prévoyante. C’est ce que j’entends par voir la forêt plutôt que l’arbre (expliqué de façon bien simple, car je pourrais m’étendre sur trois autres pages à ce sujet).
Au risque de me répéter, il y a plusieurs facteurs à considérer et l'affichage n'est qu'un des sujets que j'ai abordés avec SBG. Il faut aussi faire attention de ne pas mélanger les pommes et les bananes (je fais référence à votre expérience scolaire, etc.). Cela est un contexte unique en soi. Jamais je ne serai d'accord avec le fait d’avoir des écoles bilingues (comme la candidate conservatrice dans l'Est ontarien le proposait pour le Collège d'Alfred...), car l'histoire nous a bel et bien démontré qu'il s'agissait de foyers d'assimilation. Vous vous adressez à quelqu’un qui présente à ses étudiants, année après année, le documentaire De la coupe aux lèvres. La lutte pour les écoles de langue française de l’Ontario (produite en 2000 par l’émission Panorama de TFO). Vous vous adressez également à quelqu'un qui s’indigne du réaménagement des cours de français (réduction de 50 %) dans une institution unilingue francophone (nous avons eu une discussion téléphonique, il n’y a pas si longtemps, vous et moi, à ce sujet, au cas où vous l’auriez oublié).
Pour terminer, le rôle de l'ACFO est effectivement de promouvoir la langue française. Et cela, jamais je ne le perdrai de vue. Je constate seulement que, malheureusement, un autre rôle s’impose peut-être,
petit à petit, soit celui de la prévention. Il faut penser aux générations qui nous suivent et la réalité dans laquelle ils vivent (technologie, etc.). Il faut instaurer des balises. Il faut sensibiliser. Je ne fais que penser à un de mes anciens étudiants qui, récemment, en réaction à un commentaire que j’avais fait sur Facebook par rapport au fait qu’à quatre reprises, dans l’espace d’un voyage, je n’avais pas pu recevoir de service en français de la part d’Air Canada, m’a répondu (et je cite) : « Tu parles pas Anglais? Tu viens d'Hawkesbury! ». Oui, je parle anglais. Nul besoin de vous expliquer – je crois – que là n’est pas la question... Voyez-vous donc la réalité dans laquelle nous vivons ? Et ce qui nous attend si nous ne revendiquons pas une égalité ? Ceci ne se limite pas à mon étudiant, mais aux francophones qui, d’ordre général, sont, comme vous le dites, « polis ». La population francophone de l’Est ontarien, aussi majoritaire soit-elle, terminera-t-elle par se dire : « Bof ! Nous parlons anglais. C’est quoi le problème ? ». Si les citoyens de cette même population ont un règlement sur lequel s’appuyer pour faire valoir l'affichage et/ou les services en français, est-ce que cela risquerait d’inciter certains « branleux » (pour reprendre une expression du documentaire de Panorama) d’exiger leurs services en français ? L’avenir le dira peut-être, mais je suis sous l’impression que oui.
Malgré tout, vous savez quoi ? Cette discussion me réjouit, car cela témoigne qu’il y a une ouverture au débat, ce qui veut dire que nous sommes vivants, vibrants et engagés. Comme je suis « polie », plutôt que d’attaquer vos idées publiquement, je vous invite à prendre le café afin de clarifier et préciser certaines choses. De plus, si cette cause vous tient tant à cœur, au point d’en faire un article de blog, je vous invite à contribuer et à m’accompagner dans ce défi. Votre expérience en la matière sera sans aucun doute bien accueillie, à la fois par le CA et par la communauté. 
Bien à vous,
Tina Desabrais, Ph.D. Présidente de l’ACFO PR


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