mardi 26 août 2014

Les soi-disant «réalistes» constitutionnels...


Au début des années 1960 a pris forme une vision moderne d'un Québec français autonome dont le fer de lance a été - jusqu'à maintenant - le projet d'indépendance. Mais deux défaites référendaires doublées d'un matraquage politique et médiatique constant ont brisé l'élan, laissant de douloureuses cicatrices au sein de l'opinion publique et sapant le moral d'un grand nombre de vétérans de la cause souverainiste. Ce découragement en dit malheureusement plus sur l'âge avancé d'une forte tranche des troupes indépendantistes que sur les chances - minces mais toujours réelles - d'atteindre le but.

Le politicologue Guy Laforest, de l'Université Laval (tenant du Oui en 1995) l'exprimait assez clairement dans les pages du Devoir, la semaine dernière. «À 59 ans, disait-il en entrevue, j'ai un sentiment d'urgence que je n'avais pas à 30 ou 40 ans. À mon âge, tu ne peux pas être juste idéaliste, t'essayes de connecter à des idées réalistes, qui peuvent se réaliser sur l'horizon des 20 prochaines années.» Si j'ai bien compris le sens de cette intervention - et on me corrigera sans doute si je me trompe - être indépendantiste c'est être idéaliste, être fédéraliste c'est davantage réaliste, et il existerait des cibles «réalistes» pouvant être visées et atteintes dans un délai de moins de 20 ans… Vraiment?

Des projets comme quoi? Le professeur Laforest propose au gouvernement Couillard de rouvrir le dossier constitutionnel, en tentant notamment de modifier la Charte canadienne des droits et libertés de manière à reconnaître l'asymétrie du fédéralisme canadien, la suprématie du français au Québec et l'existence d'une société distincte, également au Québec. L'ancien premier ministre Jean Charest évoquait pour sa part un recours possible au Conseil de la fédération comme levier pour obliger Ottawa, avec l'aide des autres provinces, à faire des compromis dans des dossiers majeurs à incidence financière (p. ex. les transferts fédéraux en santé)… On en entendra d'autres du même type…

S'il y a une chose de sure dans cette fédération parfois tout croche, c'est que même les propositions constitutionnelles les plus modestes des fédéralistes québécois (si jamais ils en mettaient de l'avant, ce qui paraît peu probable), n'iraient nulle part. Elles seraient rejetées du revers de la main. Comme le gouvernement Couillard ne semble pas prêt à lever le petit doigt en matière constitutionnelle, la question reste hypothétique, mais si Québec, en 2014, avait le goût de relancer à Ottawa et au Canada anglais une demande minimale - disons genre Meech - il subirait très vite un sort pire que celui de Robert Bourassa en 1990…

Ouvrez le jeu «constitutionnel» actuel et abattez les cartes, une à une… L'opinion publique… à plat au Québec et gonflée à bloc, mode French-bashing et Québec-bashing, ailleurs au pays… La volonté politique… nulle partout (y compris à Québec) quand il s'agit de modifier la constitution… Les enjeux mobilisateurs au Québec… la société distincte, le caractère français, l'autonomie, la souveraineté, l'indépendance, tous à bout de souffle (du moins pour le moment)… Les médias… à l'exception du Devoir et des réseaux sociaux, les grands empires ne s'éloignent guère (sauf exception) du statu quo… Les tribunaux… à mesure que l'effet des nominations Harper s'amplifie, les anciens alliés occasionnels basculeront fermement dans le camp fédéral…

Faites-nous rire avec le Conseil de la souveraineté, M. Charest… Il y a aura toujours des provinces anglophones pour tirer à boulets rouges sur Ottawa quand des sous sont en jeu, mais dans toutes les questions identitaires Québec-Canada, ce sera une succession de nuits des longs couteaux… Les dirigeants des provinces du Rest of Canada sont peu sympathiques au départ à une reconnaissance du caractère distinct du Québec mais en supposant qu'ils l'aient été, ces gens lisent les sondages et connaissent bien l'état d'esprit de leurs concitoyens.

En 2012, à l'occasion du 30e anniversaire du coup d'État de 1982 (aussi appelé rapatriement de la Constitution) qui a laissé le Québec orphelin constitutionnel, un sondage pancanadien révélait que près de 70% des Québécois favorisaient l'augmentation des pouvoirs du Québec au sein de la fédération canadienne, mais que près de 80% du Rest of Canada s'y opposait. Et pire, 80% de ce bloc de 80% se disait carrément intransigeant! Pour ceux qui l'auraient oublié, les anglophones sont près de quatre fois plus nombreux que les francophones au Canada, et ils contrôlent neuf provinces ainsi que le gouvernement fédéral… Alors ce que nous pouvons vouloir n'a pas grand poids…

La semaine dernière, Philippe Couillard et son homologue ontarienne, Kathleen Wynne, se sont rencontrés… Tous deux libéraux, tous deux majoritaires pour quatre ans… Ils ont les coudées franches… Et Mme Wynne a été très claire… «La place du Québec dans le Canada ne figure pas à l'écran radar des Canadiens (comprendre Anglo-Canadiens)», juge-t-elle. Les questions à régler selon Mme Wynne avant même de songer à ruminer la possibilité d'étudier la formation d'un comité consultatif chargé d'évaluer l'opportunité de réunir des experts pour formuler des suggestions de nature constitutionnelle? Il y a l'économie, la reprise économique, les emplois, l'éducation de notre jeunesse, les changements climatiques… Et ça, ça vient d'un «allié» du Québec…

De fait, il ne reste au Québec qu'un outil «réaliste» pour s'extirper du bourbier constitutionnel: l'arme référendaire, que le gouvernement Couillard évitera comme la peste… Mais si nos dirigeants, même les fédéralistes, avaient un peu d'imagination et s'ils prenaient vraiment au sérieux leur engagement envers le bon fonctionnement d'une fédération asymétrique reconnaissant le caractère distinct du Québec, ils se rendraient compte de l'avantage de recourir au référendum (jumelé à la prochaine élection générale pour éviter la plus grande partie des coûts…).

La Cour suprême, en 1998, a jugé que si une «majorité claire» des Québécois répondait «oui» à une «question claire», le reste du pays serait dans l'obligation de s'assoir à la table constitutionnelle et d'en arriver à une entente qui respecte la volonté de cette majorité. Qui dit que la question au référendum doit porter uniquement sur l'indépendance? Pourquoi pas sur un nouveau pacte comportant des pouvoirs accrus pour le Québec dans le cadre fédéral? Je ne crois pas que M. Couillard aurait le courage politique de s'engager dans cette voie, mais elle serait «réaliste» et un résultat clair lui assurerait de bonnes chances de réussite, au grand désespoir du reste du pays...

C'est la seule stratégie «réaliste» avec un haut potentiel d'efficacité. Mais comme personne ne s'intéresse au dossier constitutionnel (Philippe Couillard veut même détruire la société distincte avec son bilinguisme mur à mur), cela restera un voeu obscur… et d'ici la prochaine élection, les véritables défenseurs du Québec et de la langue française n'auront pas la tâche facile…

















Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire