vendredi 17 octobre 2014

Le massacre des Maillardvilliens et autres grincements...

Trop souvent, dans l'histoire des collectivités canadiennes-françaises et acadiennes hors-Québec, on a fini par étouffer les voix de ceux et celles - rares, il faut le dire - qui ont tenté de dénoncer avec un langage plus acéré des situations d'injustice et de discrimination dont ils s'estimaient victimes. Hier comme aujourd'hui, enterrer le plus possible les «vieilles chicanes» a souvent été le mot d'ordre...

Malgré tout, entre les milliers de pages de rapports officiels et les trop fréquentes déclarations ronronnantes sur la «vitalité» de la langue et la culture françaises à l'extérieur du Québec (et même parfois à l'intérieur), des cris rauques ont été entendus à l'occasion, projetant un vécu émaillé de petites persécutions quotidiennes émanant d'une majorité hostile, voire ouvertement raciste. Les Anglo-Québécois, depuis toujours privilégiés, n'ont aucune idée de ce qu'ont pu subir les groupes francophones hors-Québec depuis la Confédération.

Je propose aux lecteurs intéressés trois lettres, une de 1971 publiée dans le magazine Point de mire, les deux autres de 1992 parues dans les quotidiens Le Droit et La Presse, et laisserai à chacun, chacune, le soin de juger de la crédibilité des auteurs. Parfois l'exaspération peut pousser à l'exagération, mais j'ai vécu moi-même en Ontario quelques expériences similaires à certaines décrites ci-dessous, dans les décennies 1950, 60 et 70. Un retour attentif sur l'histoire de ce pays rend leurs récits plausibles.

1. Le premier texte concerne l'agglomération jadis franco-canadienne de Maillardville, aujourd'hui un quartier de la ville de Coquitlam, Colombie-Britannique. La lettre évoque un patelin de 7 000 habitants mais selon le recensement de 2011, il ne reste dans toute la ville de Coquitlam (125 000 habitants) que 1 420 personnes de langue maternelle française, dont moins de 400 indiquent le français comme langue principale à la maison… Il existe toujours, cependant, une Société francophone (http://www.maillardville.com) et un Centre francophone de Maillardville. 

Voici donc la lettre intitulée «Le massacre des Maillardvilliens», publiée dans le magazine Point de mire, le 23 octobre 1971, et signée J. Ardouin, Maillardville (Colombie-Britannique):

«Des dizaines de Canadiens français installés à Maillardville, en Colombie-Britannique, un patelin d'à peu près 7 000 habitants, envisagent revenir s'installer au Québec. S'ils avaient l'assurance de pouvoir y travailler, ils n'hésiteraient pas.

«Malgré la lutte active que mène M. Roméo Paquette depuis des années pour empêcher le génocide de cette communauté francophone, les anglophones sont sur le point de gagner la partie. Ils ont presque réussi, par le chantage, l'hypocrisie et le racisme à assimiler le plus grand nombre, utilisant l'école pour arriver à leurs fins, ostracisant ceux-là qui, désespérément, refusent d'abandonner. "Anglicization is almost complete."


«À Maillardville, les basses besognes sont le lot des Canadiens français. Les postes-clés appartiennent d'autorité aux anglophones. Pour échapper à la misère, nourrir les familles, les Maillardvilliens apprennent tôt la résignation, premier pas vers l'assimilation.

«En tout cas, ils ne tardent pas à comprendre, obligés de fouler aux pieds leur dignité, que le bilinguisme. hors du Québec, n'est qu'un songe creux. Là où les anglophones sont en majorité, comme c'est le cas en Colombie, le racisme ne tarde pas à montrer les dents…


«Humiliés, insultés quotidiennement parce qu'ils parlent français, traités de "white niggers", de "pea soup" ou de "frog" par de stupides anglophones, obligés de parler leur langue en cachette, comme s'il s'agissait d'un geste honteux, les Maillardvilliens n'ont plus qu'une seule solution: regagner le Québec. C'est ce qu'ils feraient sans hésitation s'il n'y avait tant de chômage.»


2. La seconde lettre est signée par Pauline Tétreault, résidente de l'Outaouais, et a paru dans Le Droit en décembre 1992. La municipalité rurale de La Broquerie (Manitoba) compte aujourd'hui 5 200 habitants dont 850 de langue maternelle française (660 utilisent principalement le français à la maison):


«Je suis née à La Broquerie, au Manitoba, dans un petit village à 98% francophone à l'époque. J'ai fait toutes mes études en anglais seulement… J'ai vécu mon enfance dans la crainte et la peur des inspecteurs anglophones protestants qui visitaient nos écoles régulièrement. Nous devions cacher tous nos livres et cahiers de français avant leur arrivée afin d'éviter de sévères sanctions.


«J'ai donc décidé, il y a 25 ans, de venir vivre au Québec afin de ne pas m'assimiler. Je veux tout simplement dire aux anglophones du Québec qu'ils sont chanceux de vivre dans un Québec accueillant où tous leurs droits sont respectés et non bafoués comme les miens l'ont été au Manitoba. C'est pour cette raison et beaucoup d'autres que je veux vivre dans un Québec français...»


3. La dernière, signée par Sigfried Kleinschmidt, est publiée dans La Presse en novembre 1992. Âgé de 76 ans, M. Kleinschmidt avait quitté Winnipeg l'année précédente pour s'installer au Québec: 


«Là, je dois vous dire que j'en avais plein le dos d'entendre des francophones se faire traiter de "crazy Frenchmen" et ma femme était fatiguée de se faire dire "speak white". Laissez-moi vous dire que je suis venu ici pour faire la souveraineté, ce qui signifie sortir de la Confédération canadienne avec honneur et dignité.»


En lisant la lettre de M. Ardouin de Maillardville, je me suis souvenu d'une visite dans une ville du Sud ontarien, il y a une vingtaine d'années. Notre groupe était le seul qui soit francophone à une réception, et j'avais remarqué que les gens nous jetaient des coups d'oeil en entendant notre conversation «en langue étrangère». Mais ce qui m'a le plus frappé, ce fut un type qui s'est approché et nous a glissé à l'oreille, en chuchotant, que lui aussi était francophone… Puis il s'est éloigné… On a compris…

Et je me suis rappelé que l'épisode des inspecteurs à La Broquerie avait aussi été le lot des élèves franco-Ontariens à l'époque du Règlement 17. C'était moins pire qu'en Louisiane, où les élèves qui parlaient français étaient physiquement battus, mais les épisodes de répression ont laissé des marques indélébiles sur le comportement et les attitudes des francophones minoritaires.

Il ne faut pas que ces lettres de simples citoyens sombrent dans un oubli permanent. Ils témoignent d'une réalité dont nous subissons toujours les conséquences.






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