mardi 7 octobre 2014

Université franco-ontarienne: on va où?

Sur le principe, pourtant, tout le monde s'accordait, et s'accorde toujours. Les francophones de l'Ontario ont le droit d'avoir leur propre université, et doivent pouvoir assumer la gestion de leurs programmes universitaires en français. Après tout, les voisins anglo-québécois n'ont-ils pas trois universités bien à eux? Une pour les Franco-Ontariens, ce n'est certes pas trop demander…

Après deux années de consultations et un quasi-consensus sur la légitimité de cette revendication, on se croyait tout près du but avec la tenue du sommet des États généraux sur le postsecondaire en Ontario français, en fin de semaine, à Toronto. Le Regroupement étudiant franco-ontarien (REFO), initiateur de cette plus récente campagne pour une université de langue française en Ontario, avait à ses côtés deux partenaires de taille, l'Assemblée de la Francophonie de l'Ontario (AFO) et la FESFO (étudiants et étudiantes du secondaire). Et le climat politique semblait favorable avec la réélection majoritaire du gouvernement Wynne…

Et voilà que tout à coup, quelque chose semble tourner moins rond. Ce qui apparaissait clair semble enveloppé d'un brouillard. Au lieu de sortir du sommet avec un objectif précis et des troupes prêtes pour l'assaut final, on parle d'attendre, d'étude de faisabilité, on voit apparaître partout la mention de l'année 2025 comme date d'aboutissement (c'est très, très loin…). Aucun modèle d'université ne semble rallier la majorité, du moins si on se fie à la couverture médiatique poreuse, et même si l'organisation des États généraux sur le postsecondaire en Ontario français fait se son mieux pour donner un spin positif aux assises de fin de semaine, le pied paraît avoir glissé de l'accélérateur au frein.

Pire, la ministre du gouvernement ontarien sur laquelle les francophones auraient dû pouvoir le plus compter, Madeleine Meilleur, vient de jeter une douche froide sur le processus de création éventuelle d'une université franco-ontarienne et l'obtention par les francophones de la gestion d'un réseau complet d'institutions francophones au postsecondaire.

Pas à Ottawa?????

En entrevue avec la station UniqueFM d'Ottawa (94,5 FM), Mme Meilleur a dit clairement que sa seule priorité, pour le moment, est l'augmentation de l'offre en français dans le secteur centre-sud-ouest de l'Ontario (corridor Toronto-London-Windsor) et qu'elle s'oppose à la création d'une université de langue française à Ottawa où, dit-elle, l'Université d'Ottawa dessert bien les francophones… Elle s'interroge même sur les conséquences d'une théorique université de langue française à Toronto (!) pour l'Université Laurentienne (bilingue) et l'Université de Hearst...

Décidément, avec une amie comme Mme Meilleur à l'universitaire, les Franco-Ontariens n'ont pas besoin d'ennemis. On me demandera sans doute de quoi je me mêle, étant Québécois. Mais je suis né et j'ai vécu les 29 premières années de ma vie en Ontario. J'ai étudié à l'Université d'Ottawa à une époque où les étudiants francophones étaient (faiblement) majoritaires et déjà, à la fin des années 60, la dynamique de l'institution bilingue - comme dans toutes les écoles bilingues ontariennes - était anglicisante. Elle l'est encore davantage aujourd'hui. En 1969-70, les mouvements de jeunes franco-ontariens et l'ancienne ACFO ont tenté d'obtenir la francisation totale de l'Université d'Ottawa, sans succès. J'y étais, et je ne souhaite pas que le REFO et ses alliés connaissent le même sort en 2014.

Le défi d'aujourd'hui, avec un projet plus vaste et une mobilisation mieux coordonnée, est certes plus complexe que notre vieil assaut contre la campus de la Côte de sable en 1969. Mais il faut se méfier de perdre la forêt de vue quand on s'approche trop des arbres. Il ne faut pas retarder des décisions essentielles en s'embourbant dans la mécanique et les modèles institutionnels. À Queen's Park, rien n'empêche de prendre immédiatement une décision de principe sur la création d'une université franco-ontarienne, quitte à laisser aux experts le soin décortiquer ce que cela implique pour l'offre existante et les meilleurs façons d'assurer une transition vers un modèle choisi par les Franco-Ontariens.

Imaginez...

J'écoutais hier l'entrevue de Mme Meilleur et je lisais certains des comptes rendus qui ont filtré du sommet, et je me demandais ce qui serait arrivé dans les années 1960 si on avait procédé de la même façon pour la création du réseau d'écoles françaises au primaire et au secondaire. Aurait-on dit, en 1966: faudrait surtout pas créer des écoles élémentaires et secondaires de langue française à Ottawa, où des écoles bilingues desservent déjà les francophones depuis longtemps. Non, ouvrons plutôt quelques écoles françaises à titre expérimental dans un coin de la province où les francophones sont très, très minoritaires et où l'offre de services est la plus déficiente… et encore, attendons une étude de faisabilité…

Et autour des années 80 et 90, quand il fut question, enfin, de créer des collèges communautaires de langue française, selon le principe appliqué aujourd'hui à l'universitaire, on n'aurait pas mis sur pied La Cité, à Ottawa, puis qu'il existait déjà le Collège Algonquin, bilingue, qui accueillait les étudiants et étudiantes francophones. On aurait campé le nouveau collège de langue française quelque part dans le sud de la province, là où l'offre est la plus insuffisante… Vraiment pas… 

Et si c'était arrivé au Québec...

Imaginez le scénario s'il se déroulait au Québec, que le tandem McGill-Concordia était bilingue, et que c'étaient les anglophones qui n'avaient pas de réseau postsecondaire bien à eux (c'est difficile à imaginer, mais essayez…). Non, non, diraient-ils, on ne peut pas créer d'université anglaise dans le centre-ouest de Montréal, là où la masse d'élèves anglophones est concentrée, ça nuirait aux institutions bilingues qui rendent de bons services à nos étudiants de langue anglaise… Allons plutôt ouvrir un campus à Québec, ou Drummondville, ou Rimouski… où l'offre est déficiente… Ça n'aurait pas de bon sens, comme ça n'a pas de bon sens d'écarter Ottawa du scénario franco-ontarien!

Des études de faisabilité il en faut et il en faudra. Tout le monde en convient. Mais cela ne doit pas empêcher la collectivité franco-ontarienne de garder l'oeil bien fixé sur le but ultime, et cela ne doit pas ralentir le processus de décision. Il est minuit moins cinq, et dix ans c'est trop long. Les décisions auraient dû être prises dès 1867, ou à la fin des années 1960 quand on a décidé que le temps était venu (sous la menace québécoise) de réparer une injustice centenaire. On dira bien ce que l'on voudra, et je sais qu'il existe des tiraillements de longue date entre les régions franco-ontariennes (n'oubliez jamais que l'Ontario, c'est grand comme un pays), mais le campus principal d'une future université doit être situé là où se trouve la plus importante masse d'étudiants et d'étudiantes francophones: à Ottawa.

Une décision immédiate!

Plus de la moitié des étudiants franco-ontariens inscrits à l'universitaire en français étudient à l'Université d'Ottawa. Je maintiens ce que j'ai écrit au début de janvier 2014 dans un texte de blogue (et ce, en conformité avec la douzaine d'éditoriaux que j'ai signés dans Le Droit): «il faut décréter sans délai, par loi, l'existence d'une université de langue française et ordonner que tous les programmes francophones actuels dans des institutions bilingues en fassent partie. Et que le tout passe sous gouvernance franco-ontarienne!» Nos armées d'experts en gestion de crise, après de futurs palabres avec le REFO et ses alliés, arriveront par la suite à assurer la transition vers une gouvernance francophone des programmes universitaires en français et à préférer un modèle institutionnel.

La clé de l'universitaire franco-ontarien est à Ottawa et à Sudbury. Que l'on inclue des offres de services ailleurs, à Toronto, à Windsor, à Hearst, à Timmins ou ailleurs, cela va de soi. Mais le point de départ, ce sont les deux «monstres» bilingues: l'Université d'Ottawa et l'Université Laurentienne. En 1970, dans son mémoire sur le projet de francisation de l'Université d'Ottawa, l'Association canadienne-française de l'Ontario écrivait: «Pourquoi une minorité, qui a besoin de toutes ses énergies pour survivre et vivre, devrait-elle se payer le luxe d'une université bilingue dont le coût serait peut-être une assimilation lente mais certaine?» Et ça c'était à une époque où l'environnement universitaire était nettement plus francophone qu'aujourd'hui sur le campus.

L'audace!

Personne ne nie que l'offre en français se soit améliorée à Ottawa. Je ne sais pas pour Laurentienne. Là n'est pas la question. La question c'est de savoir si les Franco-Ontariens auront ou non leur réseau scolaire du primaire jusqu'à l'universitaire. Et si oui, cela veut dire - comme à l'élémentaire, comme au secondaire, comme au collégial - mettre fin à une situation qui oblige les francophones à étudier dans des institutions bilingues qu'ils ne contrôlent pas et où ils sont minoritaires. Si ce n'est pas le coeur du problème, qu'on le dise et qu'on arrête de perdre du temps pour un dossier qui risque de ne jamais aboutir.

L'heure n'est pas à la prudence mais à l'audace. On aura tout le temps voulu, après quelques décisions clés, pour une bonne dose de prudence!

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Comme je n'assistais pas au sommet des États généraux du postsecondaire en Ontario français, l'information que je possède est nécessairement fragmentaire. Si j'ai mal interprété ce que j'en ai lu et ce que j'ai vu et entendu, je n'hésiterai pas, comme toujours, à rectifier le tir et à faire des mea culpa. La seule liste des modèles à l'étude que j'ai vue dans les médias était dans l'excellent texte de F.-P. Dufault (TFO), à lire à bit.ly/1nXCz9Y.

  









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