jeudi 11 décembre 2014

Entre 1967 et 2017...


Je suis assez vieux pour me souvenir des longs et houleux palabres qui avaient précédé les fêtes du centenaire de la Confédération, en 1967. J'étais Franco-Ontarien à cette époque, à l'aube de la vingtaine. Je militais depuis quelques années au sein d'organismes de jeunes francophones, et même au sein de la grande organisation parapluie de l'Ontario français, l'Association canadienne-française d'éducation de l'Ontario (l'ACFEO, devenue par la suite l'ACFO et, aujourd'hui, l'AFO).

Les Québécois ont 1967 en mémoire - du moins ceux qui ont dépassé la soixantaine - comme l'année de l'Exposition universelle de Montréal, bien plus que celle du centenaire de la fédération canadienne. Dans le climat d'ébullition de la Révolution tranquille et des débats sur l'avenir d'un Québec en transformation rapide, l'Expo 67 offrait un point de ralliement bien plus attrayant. Et s'il faut absolument se souvenir d'un événement d'intérêt pan-canadien lié à la Confédération en juillet 1967, la visite du général De Gaulle éclipse aisément les cérémonies du 1er juillet…

En Ontario, la question se posait autrement. Pour les anglophones de cette province co-fondatrice du pays, abritant par surcroit la capitale fédérale, Ottawa, les mots «fête», «célébration» et «fierté» étaient sur toutes les lèvres. À Ottawa comme à Toronto, on pressait les Franco-Ontariens de participer aux activités du centenaire et pour la plupart des gens de l'époque, cela semblait aller de soi. Nous étions cependant un petit groupe, au sein de l'Association de la jeunesse franco-ontarienne (AJFO), à remettre en question cette belle unanimité.

Sous le thème «Cent ans d'injustice», nous voulions mettre en vitrine les persécutions dont avaient été victimes l'ensemble des communautés francophones hors-Québec, et notamment les Canadiens français de l'Ontario. Et n'oublions pas qu'en 1965 et en 1966, dans les années précédant le centenaire de la Confédération, il n'existait toujours pas de régime public d'écoles françaises en Ontario. Nous subissions toujours les séquelles du Règlement 17, promulgué avant la Première Guerre mondiale, pendant que les Anglo-Québécois avaient toujours eu droits et privilèges en surabondance!

Inutile de dire que nos appels sont tombés sur de sourdes oreilles. Pire, on s'est fait traiter de séparatistes et, de fait, certains le sont devenus et ont fini par traverser l'Outaouais. Mais ce qui me frappe encore, 50 ans plus tard, c'est cette espèce d'horreur - chez des francophones pourtant informés - à imaginer qu'on puisse jouer les trouble-fête quand le Canada anglais nous invite à célébrer avec lui. Non, non, disaient-ils, ne ressortons pas les vieilles chicanes (même quand elles restent actuelles) et amusons-nous! Et l'histoire? Et les injustices? Non, ce n'est pas le temps… Soyez gentils, agitez vos petits unifoliés tout neufs et levez votre verre aux cent ans de notre beau et grand bilingue pays…

Et c'est ce que la plupart ont fait… en Ontario… en 1967.

Avance rapide à 2014.

Au moment où Ottawa met en branle les «fêtes» du 150e anniversaire de la Confédération, j'ai quitté l'Ontario depuis déjà près de 40 ans, sans trop m'en éloigner cependant. On peut passer de Gatineau à mon quartier natal, à Ottawa, en moins de cinq minutes… Et assez remarquablement, je commence à trouver, dans ce coin du Québec le plus rapproché de la tour du Parlement canadien, que le climat entourant les célébrations du cent-cinquantenaire du pays ressemble drôlement à celui que j'ai vécu jadis comme Franco-Ontarien, au milieu des années 1960…

Fierté, unité, célébration...

Encore une fois, pour les autorités fédérales et en particulier pour les promoteurs de l'anniversaire à Patrimoine canadien, tout apparaît évident. Ce ministère vient justement de lancer à l'intention des étudiants du pays un concours de logo des fêtes du 150e de la Confédération. Les règlements du concours indiquent bien l'esprit qui animera l'ensemble des activités entourant le centenaire et demie du pays. «Le logo, écrit-on, doit tenter d'évoquer la fierté, l'unité et l'idée de célébration. Le logo doit représenter le Canada en tant que nation diversifiée ayant un passé riche et un avenir prometteur.»

Ces deux phrases décrivent avec éloquence la vision anglophone du Canada et n'ont rien à voir avec l'expérience vécue par les francophones, tant ceux du Québec que les collectivités canadiennes-françaises et acadiennes des provinces à majorité anglaise. Une «nation diversifiée», c'est quoi au juste? Une nouvelle expression pour définir l'idéologie multiculturaliste dominante à Ottawa? Le Québec constitue une nation, reconnue d'ailleurs par le Parlement canadien. Certains affirment toujours l'existence de la vieille nation canadienne-française. Il y a une nation acadienne. Et que dire des Premières Nations autochtones?

Quant à l'unité, passons. Si tel sentiment existe au Canada anglais, ce qui n'est pas si sûr, il ne trouve pas sa contrepartie au Québec, qui n'a jamais été aussi divisé. Près de la moitié des francophones du Québec voteraient encore «oui» à un référendum sur l'indépendance, et l'autre moitié, tout en refusant l'option souverainiste, parfois vigoureusement, ne manifeste aucun enthousiasme pour les projets d'anniversaires pan-canadiens. On n'a qu'à voir l'absence quasi-totale de rassemblements le 1er juillet, comparé aux festivités qui marquent un peu partout la St-Jean…

Et la fierté… «Nous» sommes un peuple fier, sans doute. Je parle ici des francophones, de souche et d'ailleurs, du Québec et des autres provinces. Fiers d'avoir survécu dans un océan anglophone nord-américain, en dépit de persécutions historiques et de tentatives multiples d'assimilation par des gouvernements à majorité anglaise, à Ottawa et ailleurs au pays, depuis 1867. Fiers d'avoir fait du Québec un État où le français est devenu, tant bien que mal, dans un climat de précarité, la langue commune. Fiers de nos auteurs, de nos chansonniers, de nos créateurs, et de toutes celles et toutes ceux qui assurent l'essor de notre langue et de notre culture. Et fiers aussi, il va sans dire, de nos réalisations dans bien d'autres secteurs d'activité.

Et à Gatineau?

Cela m'amène à relancer la question d'un débat sur ce 150e anniversaire de la Confédération. J'ai noté, sur le site Web de la ville de Gatineau, que - contrairement à Patrimoine canadien - on ne parle pas de célébrer ou de fêter… mais de commémorer. Je trouve le mot opportun. On y évoque l'organisation «d'activités de commémoration du 150e anniversaire», ou «d'événements commémoratifs» pour l'année 2017. Mais je ne suis pas sûr que cette nuance entre célébration et commémoration dépasse le langage du texte de la résolution municipale…

La ville de Gatineau vient d'annoncer l'investissement de 350 000 $ pour sa programmation du 150e, programmation qui se mijotera en concertation avec la ville d'Ottawa, et probablement sous l'ombre enveloppante de Patrimoine canadien ou de la Commission de la capitale nationale. Les remises en question du climat de «célébration» du cent-cinquantenaire, dans le but d'accentuer le volet «commémoration», risquent de ne pas y être particulièrement bien accueillies… 

Dans la ruée vers les projets et arrimages de tous genres, dans l'espoir d'attirer à Gatineau et d'encaisser une partie des millions de dollars qui seront dépensés ici par d'innombrables touristes en 2017, ceux et celles qui souhaiteraient discuter du principe même de «fêter», pour organiser des activités plus conformes à notre vécu historique (et non à la propagande d'Ottawa), risquent fort d'être reçus comme notre petit groupe de Franco-Ontariens le fut au milieu des années 1960. 

Il y a fort à parier qu'on va encore assister à une réécriture de l'histoire pour réinventer ce «pays des merveilles» au «passé riche» et à «l'avenir prometteur»… avec un accent (si les conservateurs restent au pouvoir) sur les éléments royalistes et militaires… On est censé en savoir plus sur les projets locaux au printemps 2015. Espérons que des gens informés et sensibilisés, connaissant bien l'histoire de ce pays depuis 1867, se manifestent et proposent de mettre en évidence des événements, des personnages et des lieux dignes d'être commémorés, de notre point de vue national.

Tiens… Louis Riel...

Je lisais récemment un texte du blogue de l'historien Raymond Ouimet, de Gatineau, qui parlait des péripéties de Louis Riel, élu député à la Chambre des Communes en 1874, pourchassé par des Orangistes fanatiques de l'Ontario, se présentant déguisé aux Communes et se cachant pour le reste du temps dans des résidences de Hull et de Pointe-Gatineau. Il me semble y avoir là un sujet digne de commémoration pour le 150e anniversaire du Canada. Un sujet qui touche les francophones, Métis et Autochtones des Prairies, les francophones du Québec, la ville d'Ottawa et l'institution parlementaire.

Mais ce n'est probablement pas le genre d'activité que souhaite Patrimoine canadien...




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