mercredi 31 décembre 2014

Bonne année 2015...

Quand on a invoqué le texte de blogue que j'avais signé le 19 mai (Le silence assourdissant des salles de rédaction) comme seul motif de renvoi de l'équipe éditoriale du quotidien Le Droit, le matin du 30 mai dernier, j'avais déclaré à mon interlocuteur, en l'occurrence le rédacteur en chef, que je trouvais «un peu stalinien» ce déni du droit d'exprimer publiquement des dissidences sur les grandes orientations de la presse (imprimée, numérique) ainsi que sur l'avenir (incertain) des quotidiens de l'empire médiatique Power/Gesca, propriétaire du Droit.

L'emploi du mot «stalinien», même adouci en le précédant d'«un peu», avait fait sursauter mon vis-à-vis, et je me suis demandé si je n'y étais pas allé «un peu» fort en évoquant l'époque la plus glaciale du soviétisme dans une entrevue qui, toute musclée qu'elle fut, s'était tout de même déroulée calmement. Cela m'a «un peu» chicoté par la suite mais en cette fin de 2014, après avoir décortiqué les jalons de la bousculade de mai et revu la suite erratique des événements jusqu'à décembre, je me réconcilie de plus en plus avec ce bref excès de langage.

J'avais cru, naïvement semble-t-il, que les organisations médiatiques ayant comme mission de diffuser l'information et l'opinion, toutes concentrées qu'elles soient entre les mains de quelques-uns, restaient forcément des milieux où le choc des idées faisait partie du pain quotidien. Même quand ce choc des idées mettait en jeu les organisations médiatiques elles-mêmes et leurs propriétaires. Or, à ma grande surprise, du moins au sein de l'empire Gesca, j'ai découvert une direction avec une conception «un peu stalinienne» de la liberté d'expression.

En mai 2014, j'étais loin d'en être à mes premiers écarts dans mes textes de blogue. Sous les yeux de la direction du Droit et de Gesca, et donc avec son approbation tacite, j'avais publiquement appuyé le Bloc québécois à Ottawa et soutenu avec toute l'énergie possible, presque sans nuances, la charte de la laïcité proposée par le gouvernement Marois. Entre autres, et sans conséquences. Cependant, le jour où, pour défendre l'avenir de mon quotidien, Le Droit, j'ai dû planter quelques éperons dans les flancs de Gesca/Power, on a rapidement et sans appel mis fin à mon statut d'éditorialiste contractuel, après 45 ans de loyaux services…

Sept mois plus tard, ayant scruté depuis le printemps (dans la mesure du possible) l'évolution du Droit et des autres quotidiens de Gesca, y compris celle du vaisseau amiral, La Presse, j'ai décelé au moins trois caractéristiques qui rapprochent l'empire Power/Gesca des régimes autoritaires de toute époque:

1. L'obligation, sous peine de sanction (visible ou pas), d'être fidèle à un «programme de parti» qui prône l'abandon de la presse imprimée (donc la disparition des versions papier des sept quotidiens de Gesca y compris Le Droit) et le passage complet aux tablettes numériques sous le modèle de LaPresse+. Le sort qu'on m'a réservé démontre l'existence de sanctions, et le silence général du personnel (y compris la gent journalistique) de l'empire témoigne avec éloquence d'un climat répressif, à moins que tous et toutes ne soient d'accord avec la ligne du parti… Les témoignages de sympathie ou de solidarité à mon endroit ont été faits en privé, presque en confidence, et il me semble que le personnel journalistique de Gesca se garde souvent une petite gêne (par choix? Pas sûr...) quand vient le temps de participer aux débats dans les médias sociaux sur les orientations de leur empire et sur leurs méfaits possibles.

2. La censure généralisée (sauf rares exceptions) de toute information allant à l'encontre du «programme de parti» ou critiquant les décisions de l'empire liées à la réalisation de ses objectifs. Le Droit a censuré toutes les réactions, y compris celle des syndicats de ses propres employés, à l'annonce de la disparition des versions imprimées par les frères Desmarais. Seul un texte de l'Assemblée de la Francophonie de l'Ontario, publié en page d'opinion, y a fait référence. L'ensemble des quotidiens de Gesca a censuré la totalité du débat médiatisé entourant mon congédiement, au printemps, et lors des échanges publics, à l'automne, entre Pierre-Karl Péladeau et Pierre Craig, président de la FPJQ. Censure totale aussi dans Gesca, à ma connaissance, des nouvelles sur la remise du Prix de journalisme Olivar-Asselin, en novembre, que la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal m'a décerné. Suppression généralisée aussi, dans ces journaux, des annonces de coupes ainsi que des réactions aux coupes de personnel et services liées à la réalisation des objectifs impériaux.

3. Un fonctionnement entrepreneurial et une présentation de l'information qui semblent exclure les réalités susceptibles de contredire le «programme du parti». La direction semble s'efforcer de présenter sa vision comme la seule, sans souffrir de contradictions. Les textes d'opinion ou les analyses qui mettent en valeur l'imprimé ou jettent le doute sur le succès du numérique tel que préconisé par l'empire sont publiés dans différents médias, mais rarement dans la presse Gesca. Et quand le Conseil supérieur de la langue française (CSLF) du Québec a décerné en septembre le Prix du 3-juillet-1608, l'éditeur du Droit, Jacques Pronovost, a évoqué le centenaire du journal et le besoin de «nous préparer aux prochaines étapes de notre développement»… en omettant bien sûr de dire aux lecteurs que son patron André Desmarais avait annoncé la disparition éventuelle du Droit quelques mois plus tôt… 

L'équipe éditoriale du Droit a perdu ses deux seuls collaborateurs en 2014. Un qu'on a mis à la porte pour délit d'opinion, l'autre qui a pu quitter de son plein gré. Je me permets de citer le dernier éditorial de Pierre Bergeron (29 décembre 2014), pour rappeler des valeurs que l'empire Gesca semble vouloir enterrer dans sa hâte de faire disparaître ses quotidiens sur papier et de tout tabletter. «En ces temps où l'avenir des journaux est remis en question, il est important de ne jamais perdre de vue le rôle de l'information et de l'opinion dans notre société.» Les changements profonds touchant la presse écrite «ébranlent nos certitudes et nous obligent à nous remettre en question». Et mon ex-collègue conclut avec la devise du Droit, que je fais toujours mienne même si je suis vieux: «L'avenir est à ceux qui luttent.»

Ne jamais perdre de vue le rôle de l'information et de l'opinion… Ébranler les certitudes… Se remettre en question… Lutter… Voilà des valeurs qui s'accommodent mal d'un climat «un peu stalinien»… Si, par contre, le personnel des salles de rédaction (de tous les empires médiatiques) croit toujours à l'information, au débat, à la liberté d'expression, aux remises en question, il est grand temps de sortir les casseroles intellectuelles, car bientôt, très bientôt, dans les quotidiens régionaux de Gesca, Le Droit, Le Soleil, La Tribune, Le Quotidien, Le Nouvelliste, La Voix de l'Est, et même dans La Presse, il sera trop tard. Bonne année 2015…





dimanche 21 décembre 2014

La pauvreté d'une mère, les milliards des banques… C'est Noël!

Je viens de relire la lettre d'une mère du quartier Rosemont de Montréal qui raconte, de façon émouvante, la vie quotidienne d'une famille en situation de pauvreté, et je suis outré, indigné… Non, pire, je suis en colère. Pas une colère qui mène à la violence. Ça, jamais! Je suis pacifiste jusqu'à la moelle. Une colère saine. Dans l'esprit de Noël, on pourrait presque dire une sainte colère…

Il ne s'agit pas ici de statistiques, d'un rapport d'agence ou des déclarations d'un ministre ou député… c'est la réalité d'une mère qui pleure en lisant la liste de cadeaux de Noël de ses enfants qui espèrent une carte cadeau de pharmacie ou des vêtements neufs… et qui ne les auront pas... La réalité d'une mère qui ne peut jamais offrir de viande, de jus ou de fruits frais à ses jeunes de 11 et 12 ans parce que ça coûte trop cher… La réalité d'une famille où les enfants doivent demander la permission avant de prendre un aliment dans le garde-manger parce que tout est calculé… La réalité de vêtements d'hiver qu'on ne pourrait se payer sans l'aide de voisins ou de proches… La réalité d'une maman qui se prive de nourriture pour que ses pré-ados en aient suffisamment…

S'il n'était question que d'un individu, d'une seule famille, un élan de solidarité communautaire (cela se produit déjà pour cette jeune mère monoparentale) réglerait le problème. Mais des centaines, des milliers, des dizaines de milliers de femmes, d'hommes et d'enfants d'ici font face aux mêmes problèmes. Parlez-en à des organismes comme Centraide ou aux banques alimentaires. La clientèle augmente sans cesse et de plus en plus de gens, jadis de la classe moyenne, se retrouvent pauvres, avec des revenus stagnants ou en baisse pendant que le coût de la vie, lui, monte sans cesse!

En songeant à cette mère qui se lève tous les matins avec comme but ultime que ses enfants «aient avalé trois repas soutenants et qu'au coucher, leur faim ait été comblée», je ne peux m'empêcher de penser que les banques canadiennes viennent d'engranger des profits de 33 milliards de dollars, trop souvent à nos dépens, que leurs dirigeants se paient des salaires et primes faramineux, et que la plupart de leurs actionnaires pourraient bien se passer d'une partie appréciable de ces profits.

Pendant que la maman de Rosemont voit chaque hiver venir avec appréhension, se demandant comme elle fera pour habiller chaudement ses enfants, je vois, dans une chronique de La Presse, que la société Bombardier vient de siphonner 500 millions de dollars de profits dans des comptes au Luxembourg pour éviter d'avoir à payer des impôts chez nous! C'est légal, mais tout à fait immoral! Combien de sociétés d'ici et d'ailleurs font la même chose? Pendant ce temps, l'État, privé de ressources fiscales, coupe des services destinés aux gens comme cette mère de Montréal…

Pendant que les deux enfants de cette maman jettent les prospectus d'activités parascolaires sans même les lui montrer (parce qu'ils savent qu'elle n'a pas les moyens de les y inscrire), des spéculateurs boursiers continuent, comme des sangsues, à accumuler des fortunes jusqu'au prochain krach, alors que les victimes seront encore de simples épargnants qui ont confié leurs économies à des vautours, ou des travailleurs et travailleuses qui verront disparaître une partie ou la totalité de leurs régimes de retraite…

Pendant que cette mère doit annuler le service de garde à l'école et s'occuper presque à temps plein d'un enfant aux prises avec une forme d'autisme, je constate qu'on a élu, à Québec (et à Ottawa) un gouvernement au service des riches et puissants et qui, avant d'aller chercher des revenus dans les poches des classes les plus aisées, n'hésitera jamais à pénaliser les citoyens ordinaires en leur expliquant, avec des instruments de propagande publics et privés que le citoyen ordinaire ne peut concurrencer, que c'est pour leur propre bien qu'on augmente les taxes et coupe des services. Et que l'enfant ayant des besoins spéciaux à l'école se débrouille…

Pendant que cette maman avoue «haïr Noël», devenu une orgie de consommation, je ne peux m'empêcher de songer à toutes ces publicités que l'on voit à la télévision, sur Internet, ou dans les journaux et magazines, des publicités qui ont coûté des milliards de dollars, dont le seul objectif est de nous amener à dépenser toujours plus pour engraisser les profits de méga-entreprises qui traitent mal leurs employés et qui sont trop souvent peu scrupuleuses en matière de marges de profit et d'environnement. Le public n'a pas assez de sous pour acheter? D'autres publicités expliquent comment s'endetter davantage en empruntant…

Et il y a cette manie - très médiatique - de régler une à la fois, ou quelques-unes à la fois, les urgences de personnes comme la mère monoparentale de Rosemont… sans jamais s'attaquer à la source du problème, sans remettre en question ces 33 milliards des profits des banques, sans contester les revenus obscènes des pétrolières et d'autres géants financiers, sans s'opposer à toute cette concentration du pouvoir et des richesses entre les mains d'une infime minorité qui exerce un contrôle sur la plupart de nos gouvernements --- et sur nos grands médias (ceux qui nous expliquent comment tout cela fonctionne… pour notre bien...).

Les citoyens comme individus se sentent impuissants face au pouvoir. Les organisations de défense des démunis crient dans le désert. Les syndicats proposaient jadis un changement social, mais ont baissé les bras depuis longtemps. Aujourd'hui, nos mouvements syndicaux ne sont plus vraiment porteurs d'un projet de société plus juste et plus démocratique.

Le vieux rêve social-démocrate d'une répartition plus équitable des biens et revenus avec notre seul outil collectif, l'État, s'effrite sous les coups de boutoir d'une minorité toute puissante qui s'efforce de réduire le rôle de l'État au moyen de coupes sauvages, de privatisations (c.-à-d. remettre les biens et services de la collectivité à quelques propriétaires privés déjà trop riches, qui s'en serviront pour s'enrichir davantage…) et de déréglementations (en permettant à ces propriétaires privés de se soustraire aux règles publiques pour faire tout ce qui leur plaît, pour leur profit et non le nôtre).

Pendant ce temps, une mère de Rosemont et ses enfants rêvent de s'en sortir. Lise Payette écrivait vendredi dans les pages du Devoir: «Quand nous serons tous assez indignés, nous serons invincibles.» Après Noël viendra le Jour de l'An, le moment de prendre de bonnes résolutions. Le moment de se dire, comme jadis Jean Lesage et son équipe, «il faut que ça change». Et peut-être, enfin, finir par se donner les moyens collectifs d'y arriver…

Entre-temps, je m'apprête à fêter avec les miens, dans l'amour, la paix et la fraternité, Celui dont on commémore la naissance tous les 25 décembre. Celui qui a vu le jour dans la pauvreté et qui a semoncé les riches et puissants de son époque. J'ai la conviction que s'Il revenait aujourd'hui, et voyait cette mère de Rosemont et ses semblables, et les fortunes scandaleuses construites sur l'appauvrissement des autres humains, nous aurions de nouveau droit à une Sainte colère.

À tous, à toutes, malgré tout, un très joyeux Noël!








vendredi 19 décembre 2014

Les Franco-Ontariens et le Québec… suite.

J'avais de la difficulté à croire que j'avais bien compris ce que j'avais lu dans la page éditoriale de mon ancien quotidien, Le Droit, en ce 15 décembre 2014. Sous la rubrique Opinion, à l'endroit où les lecteurs et lectrices auraient dû se voir offrir un éditorial maison (le journal avait supprimé l'édito du lundi en juillet 2013, sans en informer ses abonnés), un professeur de l'Université d'Ottawa, Gilles LeVasseur, signait un texte parfois abracadabrant intitulé Les Franco-Ontariens et le Québec (http://bit.ly/1wTxinL).

L'objectif de l'article, certes louable, semblait être d'encourager les efforts de collaboration entre le Québec et de l'Ontario en matière de francophonie, ainsi que de faire la promotion des collectivités francophones hors Québec, et des Franco-Ontariens en particulier. Le texte contient cependant trop d'énormités pour laisser passer sans réplique. N'ayant plus accès aux pages du Droit, j'utilise le moyen le plus efficace qui me soit accessible: mon blogue, que je peux toujours diffuser par les réseaux sociaux.

Commençons par le pire. Je cite le professeur LeVasseur: «Il est certain qu'un appui politique (du Québec) aux revendications historiques des Franco-Ontariens est souvent une arme à deux tranchants pour le Québec: reconnaître des droits aux francophones (en Ontario) implique une réciprocité aux Anglo-Québécois, chose pas toujours facile à accepter au Québec». Déjà, il y aurait là de quoi se mettre en colère. Non, mais dans quel pays, dans quel univers, vit l'auteur de ces lignes?

Il écrit en toutes lettres que le Québec, en appuyant les «revendications historiques» des francophones de l'Ontario, devra reconnaître ces mêmes droits aux Anglo-Québécois!!! C'est incroyable. Les Anglo-Québécois ont toujours eu, depuis bien avant la Confédération, tous les droits (et plus encore!) qu'ont historiquement revendiqués les Franco-Ontariens. Ce sont les francophones de l'Ontario qui ont toujours tenté d'obtenir une certaine réciprocité devant la surabondance de droit et privilèges consentis à leurs concitoyens anglophones du Québec. 

Quand y a-t-il eu un règlement 17 au Québec contre les écoles anglaises? Quand, au Québec, a-t-on interdit l'enseignement en anglais après la deuxième année du primaire dans toutes les écoles de langue anglaise? Les Anglo-Québécois ont-ils dû attendre 100 ans pour obtenir un réseau scolaire primaire et secondaire bien à eux, et plus de 125 ans pour en exercer la gouvernance? N'y a-t-il pas trois universités de langue anglaise au Québec, alors que les francophones de l'Ontario mènent un combat (perdant, jusqu'à maintenant) pour en avoir une seule qui soit bien à eux?

On pourrait continuer les comparaisons pendant des pages et des pages, sur le même ton. Et les premiers à refuser d'envisager une réciprocité avec les Franco-Ontariens seraient les membres les mieux informés de la minorité anglo-québécoise. Ils savent que réciprocité, pour eux, signifierait un recul historique et une réduction de la place privilégiée de l'anglais au Québec.

Les États généraux de 1967

Continuons. L'auteur, évoquant la récente entente Québec-Ontario en matière de francophonie, écrit qu'il s'agit «d'une étape cruciale afin que le Québec puisse corriger la faille créée par les États généraux de 1967 où les Canadiens français ont cessé d'exister comme concept identitaire au profit d'une identification provinciale. Devant la volonté de se décrire comme Québécois, les Canadiens français de l'Ontario sont ainsi devenus Franco-Ontariens.»

Les États généraux du Canada français de 1967 ont certes marqué l'évolution des rapports identitaires entre les francophones du Québec et ceux des autres provinces, mais décrire ainsi cet événement relève de la quasi fiction. D'abord la «faille» (la montée d'un nationalisme québécois qui semblait exclure les autres Canadiens français et les Acadiens) n'a pas été créée par les États généraux, même si ceux-ci ont offert un forum lui permettant de s'exprimer. Quelques siècles d'histoire aboutissant à la Révolution tranquille avaient contribué à forger les traits identitaires des collectivités francophones d'ici. Les États généraux (qui n'étaient pas une émanation du gouvernement québécois) n'auront été que l'arène dans laquelle des tenants des différentes tendances de l'heure se sont finalement dit, en public, leurs quatre vérités…

On croirait, à lire cet article, que les francophones de l'Ontario se sont définis comme Franco-Ontariens à cause d'une décision quelconque des francophones du Québec, aux États généraux, de se dire Québécois plutôt que Canadiens français. Il y a du vrai là-dedans dans la mesure où les États généraux s'inscrivent dans un grand courant historique, mais la redéfinition identitaire était déjà amorcée depuis le début du 20e siècle. Elle s'est accélérée dans les années 1960 et après, tout comme l'évolution des peuples un peu partout ailleurs. Et l'ACFO d'Ottawa, dans un sondage des années 1990, a découvert que dans la génération des 18-24 ans, l'identité franco-ontarienne était désormais au second rang, derrière l'identité «bilingue»…

L'immigration francophone…

M. LeVasseur écrit aussi: «L'immigration francophone devient un outil de développement de l'espace francophone canadien et le fédéral doit agir rapidement afin de maintenir la portion francophone de la population dans les communautés de l'ensemble du Canada. L'augmentation de l'immigration francophone est essentielle à la vitalité de la communauté franco-ontarienne et leur épanouissement est renforcé par l'appui du Québec.»

Ai-je bien compris que le rôle du gouvernement canadien serait de diriger des immigrants de langue française vers les régions anglophones du pays pour y maintenir la proportion (depuis longtemps en baisse) des francophones? Il faudrait l'annoncer au premier ministre Harper, ainsi qu'à ses prédécesseurs et à ses successeurs potentiels, qui n'ont sans doute jamais entendu parler de ce mandat. D'ailleurs, sauf pour les moments précis où le Québec tenait le pays en haleine, le gouvernement fédéral a rarement appuyé les francophones contre les majorités, et les dirigeants conservateurs actuels ne font pas exception.

Veut-on vraiment croire qu'un gouvernement majoritairement anglophone, qui peine à faire respecter sa loi sur les langues officielles (pour s'en convaincre, on n'a qu'à lire les rapports annuels du Commissaire fédéral aux langues officielles), que ce gouvernement va expédier à Ottawa, Toronto, Hamilton ou Sudbury des milliers d'immigrants francophones pour que la proportion de citoyens de langue française reste supérieure à 3 ou 4% dans la province? Et quand on sait que les Franco-Ontariens eux-mêmes peinent à conserver leur langue dans plusieurs régions, comment croire que l'immigrant puisse résister plus longtemps que ceux et celles qui vivent ici depuis des générations?

Si, comme le prétend M. LeVasseur, l'immigration francophone est essentielle «à la vitalité de la communauté franco-ontarienne», l'avenir paraît plus que sombre. Mais je doute que les dirigeants franco-ontariens l'appuient bien longtemps dans cette thèse après avoir décortiqué les différentes composantes qui influent sur la conservation ou l'abandon du français en Ontario…

Les vieux stéréotypes…

Une petite dernière, ce texte étant déjà trop long… L'auteur écrit: «Les Franco-Ontariens sont un pont permettant aux Québécois d'apprivoiser l'Ontario qui est souvent perçu avec de vieux stéréotypes du passé.» Que les Franco-Ontariens aient des choses à apprendre aux Québécois, je n'en doute pas une seconde. Notamment en matière de transferts linguistiques et en éducation. Mais croire que le Québec puisse «apprivoiser» l'Ontario en utilisant les Franco-Ontariens comme «pont»? J'aimerais qu'on m'en fasse la démonstration…

Quant aux vieux stéréotypes du passé, je souhaiterais plutôt qu'on discute de ceux que trop d'Ontariens anglophones entretiennent à l'endroit du Québec et de la langue française...

jeudi 11 décembre 2014

Entre 1967 et 2017...


Je suis assez vieux pour me souvenir des longs et houleux palabres qui avaient précédé les fêtes du centenaire de la Confédération, en 1967. J'étais Franco-Ontarien à cette époque, à l'aube de la vingtaine. Je militais depuis quelques années au sein d'organismes de jeunes francophones, et même au sein de la grande organisation parapluie de l'Ontario français, l'Association canadienne-française d'éducation de l'Ontario (l'ACFEO, devenue par la suite l'ACFO et, aujourd'hui, l'AFO).

Les Québécois ont 1967 en mémoire - du moins ceux qui ont dépassé la soixantaine - comme l'année de l'Exposition universelle de Montréal, bien plus que celle du centenaire de la fédération canadienne. Dans le climat d'ébullition de la Révolution tranquille et des débats sur l'avenir d'un Québec en transformation rapide, l'Expo 67 offrait un point de ralliement bien plus attrayant. Et s'il faut absolument se souvenir d'un événement d'intérêt pan-canadien lié à la Confédération en juillet 1967, la visite du général De Gaulle éclipse aisément les cérémonies du 1er juillet…

En Ontario, la question se posait autrement. Pour les anglophones de cette province co-fondatrice du pays, abritant par surcroit la capitale fédérale, Ottawa, les mots «fête», «célébration» et «fierté» étaient sur toutes les lèvres. À Ottawa comme à Toronto, on pressait les Franco-Ontariens de participer aux activités du centenaire et pour la plupart des gens de l'époque, cela semblait aller de soi. Nous étions cependant un petit groupe, au sein de l'Association de la jeunesse franco-ontarienne (AJFO), à remettre en question cette belle unanimité.

Sous le thème «Cent ans d'injustice», nous voulions mettre en vitrine les persécutions dont avaient été victimes l'ensemble des communautés francophones hors-Québec, et notamment les Canadiens français de l'Ontario. Et n'oublions pas qu'en 1965 et en 1966, dans les années précédant le centenaire de la Confédération, il n'existait toujours pas de régime public d'écoles françaises en Ontario. Nous subissions toujours les séquelles du Règlement 17, promulgué avant la Première Guerre mondiale, pendant que les Anglo-Québécois avaient toujours eu droits et privilèges en surabondance!

Inutile de dire que nos appels sont tombés sur de sourdes oreilles. Pire, on s'est fait traiter de séparatistes et, de fait, certains le sont devenus et ont fini par traverser l'Outaouais. Mais ce qui me frappe encore, 50 ans plus tard, c'est cette espèce d'horreur - chez des francophones pourtant informés - à imaginer qu'on puisse jouer les trouble-fête quand le Canada anglais nous invite à célébrer avec lui. Non, non, disaient-ils, ne ressortons pas les vieilles chicanes (même quand elles restent actuelles) et amusons-nous! Et l'histoire? Et les injustices? Non, ce n'est pas le temps… Soyez gentils, agitez vos petits unifoliés tout neufs et levez votre verre aux cent ans de notre beau et grand bilingue pays…

Et c'est ce que la plupart ont fait… en Ontario… en 1967.

Avance rapide à 2014.

Au moment où Ottawa met en branle les «fêtes» du 150e anniversaire de la Confédération, j'ai quitté l'Ontario depuis déjà près de 40 ans, sans trop m'en éloigner cependant. On peut passer de Gatineau à mon quartier natal, à Ottawa, en moins de cinq minutes… Et assez remarquablement, je commence à trouver, dans ce coin du Québec le plus rapproché de la tour du Parlement canadien, que le climat entourant les célébrations du cent-cinquantenaire du pays ressemble drôlement à celui que j'ai vécu jadis comme Franco-Ontarien, au milieu des années 1960…

Fierté, unité, célébration...

Encore une fois, pour les autorités fédérales et en particulier pour les promoteurs de l'anniversaire à Patrimoine canadien, tout apparaît évident. Ce ministère vient justement de lancer à l'intention des étudiants du pays un concours de logo des fêtes du 150e de la Confédération. Les règlements du concours indiquent bien l'esprit qui animera l'ensemble des activités entourant le centenaire et demie du pays. «Le logo, écrit-on, doit tenter d'évoquer la fierté, l'unité et l'idée de célébration. Le logo doit représenter le Canada en tant que nation diversifiée ayant un passé riche et un avenir prometteur.»

Ces deux phrases décrivent avec éloquence la vision anglophone du Canada et n'ont rien à voir avec l'expérience vécue par les francophones, tant ceux du Québec que les collectivités canadiennes-françaises et acadiennes des provinces à majorité anglaise. Une «nation diversifiée», c'est quoi au juste? Une nouvelle expression pour définir l'idéologie multiculturaliste dominante à Ottawa? Le Québec constitue une nation, reconnue d'ailleurs par le Parlement canadien. Certains affirment toujours l'existence de la vieille nation canadienne-française. Il y a une nation acadienne. Et que dire des Premières Nations autochtones?

Quant à l'unité, passons. Si tel sentiment existe au Canada anglais, ce qui n'est pas si sûr, il ne trouve pas sa contrepartie au Québec, qui n'a jamais été aussi divisé. Près de la moitié des francophones du Québec voteraient encore «oui» à un référendum sur l'indépendance, et l'autre moitié, tout en refusant l'option souverainiste, parfois vigoureusement, ne manifeste aucun enthousiasme pour les projets d'anniversaires pan-canadiens. On n'a qu'à voir l'absence quasi-totale de rassemblements le 1er juillet, comparé aux festivités qui marquent un peu partout la St-Jean…

Et la fierté… «Nous» sommes un peuple fier, sans doute. Je parle ici des francophones, de souche et d'ailleurs, du Québec et des autres provinces. Fiers d'avoir survécu dans un océan anglophone nord-américain, en dépit de persécutions historiques et de tentatives multiples d'assimilation par des gouvernements à majorité anglaise, à Ottawa et ailleurs au pays, depuis 1867. Fiers d'avoir fait du Québec un État où le français est devenu, tant bien que mal, dans un climat de précarité, la langue commune. Fiers de nos auteurs, de nos chansonniers, de nos créateurs, et de toutes celles et toutes ceux qui assurent l'essor de notre langue et de notre culture. Et fiers aussi, il va sans dire, de nos réalisations dans bien d'autres secteurs d'activité.

Et à Gatineau?

Cela m'amène à relancer la question d'un débat sur ce 150e anniversaire de la Confédération. J'ai noté, sur le site Web de la ville de Gatineau, que - contrairement à Patrimoine canadien - on ne parle pas de célébrer ou de fêter… mais de commémorer. Je trouve le mot opportun. On y évoque l'organisation «d'activités de commémoration du 150e anniversaire», ou «d'événements commémoratifs» pour l'année 2017. Mais je ne suis pas sûr que cette nuance entre célébration et commémoration dépasse le langage du texte de la résolution municipale…

La ville de Gatineau vient d'annoncer l'investissement de 350 000 $ pour sa programmation du 150e, programmation qui se mijotera en concertation avec la ville d'Ottawa, et probablement sous l'ombre enveloppante de Patrimoine canadien ou de la Commission de la capitale nationale. Les remises en question du climat de «célébration» du cent-cinquantenaire, dans le but d'accentuer le volet «commémoration», risquent de ne pas y être particulièrement bien accueillies… 

Dans la ruée vers les projets et arrimages de tous genres, dans l'espoir d'attirer à Gatineau et d'encaisser une partie des millions de dollars qui seront dépensés ici par d'innombrables touristes en 2017, ceux et celles qui souhaiteraient discuter du principe même de «fêter», pour organiser des activités plus conformes à notre vécu historique (et non à la propagande d'Ottawa), risquent fort d'être reçus comme notre petit groupe de Franco-Ontariens le fut au milieu des années 1960. 

Il y a fort à parier qu'on va encore assister à une réécriture de l'histoire pour réinventer ce «pays des merveilles» au «passé riche» et à «l'avenir prometteur»… avec un accent (si les conservateurs restent au pouvoir) sur les éléments royalistes et militaires… On est censé en savoir plus sur les projets locaux au printemps 2015. Espérons que des gens informés et sensibilisés, connaissant bien l'histoire de ce pays depuis 1867, se manifestent et proposent de mettre en évidence des événements, des personnages et des lieux dignes d'être commémorés, de notre point de vue national.

Tiens… Louis Riel...

Je lisais récemment un texte du blogue de l'historien Raymond Ouimet, de Gatineau, qui parlait des péripéties de Louis Riel, élu député à la Chambre des Communes en 1874, pourchassé par des Orangistes fanatiques de l'Ontario, se présentant déguisé aux Communes et se cachant pour le reste du temps dans des résidences de Hull et de Pointe-Gatineau. Il me semble y avoir là un sujet digne de commémoration pour le 150e anniversaire du Canada. Un sujet qui touche les francophones, Métis et Autochtones des Prairies, les francophones du Québec, la ville d'Ottawa et l'institution parlementaire.

Mais ce n'est probablement pas le genre d'activité que souhaite Patrimoine canadien...




mardi 9 décembre 2014

Quyon (Québec?)… Première communion ou «first communion»...

Le mouvement Impératif français (voir bit.ly/1ufK4Fw) vient de soulever, maladroitement quoiqu'avec de bonnes intentions sans doute, la question d'un enfant auquel la paroisse catholique de Quyon refuse le droit de faire sa première communion en français. Avant de porter un jugement sur le comportement spécifique du curé Michael Costello ou du comité paroissial qui ont signifié aux parents leur décision ferme de n'utiliser que l'anglais, il est important de comprendre le bourbier dans lequel s'enfoncent les francophones du Pontiac depuis bien plus d'un siècle…

Les gens d'ailleurs vont regarder la carte et constater que la localité de Quyon est située au Québec, à quelques dizaines de kilomètres à l'ouest de la grande ville de Gatineau. Bon voilà, dira-t-on, la question est réglée, cela doit donc se passer en français, sans discussion, même à l'intérieur de l'Église catholique… Eh bien non, ce n'est pas si simple que cela, et le résultat, c'est que les Québécois francophones y sont traités comme les Franco-Ontariens l'ont été pendant trop longtemps et que les taux d'anglicisation au Pontiac, y compris dans la région de Quyon, sont parfois dramatiques.

D'abord, précisons que sur le plan municipal, la localité de Quyon fait partie de la municipalité de Pontiac, laquelle n'est pas véritablement incluse dans la région du Pontiac comme telle. Elle est plutôt intégrée à une grappe de municipalités qui ceinturent la ville de Gatineau sous l'appellation «MRC des Collines-de-l'Outaouais». Sur le plan religieux, toutefois, la partie est de la municipalité de Pontiac (secteur Eardley-Luskville) relève de l'archidiocèse de Gatineau, alors que la partie ouest (y compris le secteur Quyon) est soumise au diocèse ontarien de Pembroke.

Les francophones du Pontiac souffrent sous l'autorité du diocèse de Pembroke le 19e siècle et personne, y compris l'actuel archevêque de Gatineau, Mgr Durocher, ne semble avoir l'intention de leur porter secours. Lisez le livre de Luc Bouvier, Les sacrifiés de la bonne entente, et vous saurez à quoi vous en tenir quant au comportement anti-francophone historique de nombreux Anglo-Catholiques du Pontiac et de la région de Pembroke. Après plus d'un siècle de persécutions et de négligence, une forte proportion des Pontissois francophones sont brisés, n'ont plus de volonté de résistance, et les rares qui lèvent la tête pour s'affirmer sont identifiés comme des trouble-fête…

Et voilà que tout à coup, des parents de Quyon voudraient bien que leur enfant fasse sa première communion en français… Une demande tout à fait légitime… Or, la paroisse St. Mary's de Quyon, d'après le site Web du diocèse de Pembroke, est une paroisse de langue anglaise. Si c'était le contraire, un anglophone qui demandait la première communion dans sa langue dans une paroisse francophone, que dirions-nous? Certains diraient oui, d'autres non… mais la réponse ne serait pas automatique. J'ai tendance à croire que nous serions plus accommodants que les anglos du Pontiac et de l'Ottawa Valley… Mais la question se pose.

Alors, acceptons pour un instant (ce qui n'est vraiment pas le cas) que les anglophones de Quyon se sentent menacés et que, pour protéger leur langue et leur culture, ils veuillent conserver une petite oasis anglaise autour du clocher paroissial. Les francophones de Quyon devront alors aller à la paroisse francophone la plus rapprochée ou s'en fonder une (la dernière option est irréaliste). Mais la paroisse de langue française la plus proche est celle de Luskville (paroisse Saint-Dominique), dans la même municipalité mais dans un tout autre diocèse… celui de Gatineau. Cela cause-t-il des problèmes? Si oui, il faudra aller aux paroisses plutôt éloignées du Lac-des-Loups ou de Bryson…

J'aurais voulu inclure des données sur la situation des francophones dans le secteur Quyon, pour démontrer leur précarité mais les tableaux du recensement fédéral ne font pas de distinction entre les secteurs plus francophones et plus anglophones de la municipalité de Pontiac. Selon la langue maternelle, cette ville de 5635 habitants est à 56% francophone, mais seulement à 52% francophone selon le critère de la langue d'usage (langue utilisée le plus souvent à la maison). Il y a un taux réel d'assimilation des francophones, sans doute concentré dans le secteur de Quyon, qui avoisine les localités les plus férocement anglophones du Pontiac.

Alors bonne chance à M. Bossé et Mme Duval de Quyon, ainsi qu'à Impératif français. Vous venez de vous buter à un problème que personne ne semble avoir pu résoudre depuis les années 1800… comment se sentir chez soi comme francophone dans le Pontiac québécois. Vous devrez lutter contre un diocèse (Pembroke) qui a historiquement persécuté ses fidèles francophones. Vous devrez lutter contre l'indifférence des autorités de l'archidiocèse de Gatineau, qui continuent de fermer les yeux sur l'injustice parce que la majorité des francophones du Pontiac, battus jusqu'à soumission docile, ne protestent plus. Vous devrez lutter contre une opinion publique et des médias qui ignorent tout de votre situation. Et vous ne pouvez espérer l'appui d'un gouvernement très provincial qui fait tout sauf promouvoir le français (y compris votre député qui a prêté serment en anglais comme en français)…

Je vous dirais «bonne chance» mais ici «merde!» est tout indiqué. Avec le diocèse de Pembroke, si le passé est garant du présent et de l'avenir, vous avez les deux pieds dedans…
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Quelques renseignements additionnels trouvés après rédaction du blogue.

Selon le site Web de la municipalité de Pontiac, l'église de Quyon portait jadis le nom Sainte-Marie-de-Quyon, en français. Elle a été incendiée par des Orangistes fanatiques et 1854 et rebâtie l'année suivante. Dans un rapport sur la situation linguistique des paroisses du diocèse de Pontiac, rédigé en 1957, un siècle plus tard, on écrit: «…sous la direction de Father Wingle (le prêtre local), il n'y a jamais un mot de français et il n'y en a jamais eu…» à l'église Sainte-Marie, à Quyon. Selon Luc Bouvier, en 1961, 53% des catholiques de la paroisse de Quyon étaient d'origine française.

J'ai aussi découvert qu'Impératif français avait volontairement omis le diocèse de Pembroke de son envoi, refusant de reconnaître sa légitimité comme autorité diocésaine sur une région québécoise. Avoir su dès le départ, j'aurais omis le mot «maladroitement» au début de mon texte de blogue et aurais plutôt commenté cette stratégie, qui se défend bien.



Liens à d'autres textes sur le Pontiac et l'Église catholique:

L'archidiocèse incomplet. http://bit.ly/15RWQSh

Francophones du Pontiac: l'Archidiocèse de Gatineau doit assumer ses responsabilités. http://bit.ly/14Hk4rt

La longue agonie des francophones du Pontiac. http://bit.ly/TNLLYD



jeudi 4 décembre 2014

Où tu vas, j'irai...


«Où tu vas, j'irai… Où tu vas, j'irai...»

Ces paroles, attribuées par l'auteur-compositeur-interprète Alexandre Belliard (Collectif Légendes d'un peuple) à Marie-Anne Gaboury (http://bit.ly/1s10im4), grand-mère de Louis Riel, qui avait choisi de quitter la Mauricie et de suivre «son beau Jean-Baptiste› à Pembina dans les contrées de la Rivière Rouge, au début du 19e siècle, ne cessent de me hanter depuis que je les ai entendues. Nous voyageons rarement seuls dans la vie, mais à combien de personnes ferions-nous une telle promesse?

Marie-Anne a suivi son conjoint d'un bout à l'autre des Prairies, devenant la première femme blanche à habiter l'Ouest du pays aux côtés des Amérindiens. Mais existe-t-il plus puissante motivation que l'amour qui cimente un couple depuis des décennies? Quand, récemment, on a menacé de séparer, pour une question de sous, un couple marié depuis près de 70 ans dans un foyer de St-Jérôme, l'homme a dit préférer le suicide à la séparation. Son épouse l'aurait suivi de près, sans doute. «Où tu vas, j'irai…»

Parfois, la solidarité ou l'engagement pour une même cause amènent à cheminer ensemble et loin. Dans le documentaire de janvier 2014 sur Lise Payette (oeuvre de sa petite-fille Flavie), l'ex-animatrice à Radio-Canada et actuelle chroniqueure du Devoir rappelait la victoire du PQ en 1976 et sa participation au gouvernement comme ministre. Son admiration pour René Lévesque était telle qu'elle l'aurait suivi «au bout du monde» pour faire «ce qu'il disait qu'il fallait faire»… «Où tu vas, j'irai…»

Certains suivront, au péril de leur vie, un chef qui se démarque par la bravoure dans l'adversité. Ce fut le cas de l'ancien journaliste québécois Olivar Asselin, qui avait combattu comme officier durant la Première Guerre mondiale, affrontant la boucherie des tranchées de France et de Belgique. Ses soldats montaient avec lui à l'assaut des mitraillettes allemandes (le plus souvent en rampant, sur ses ordres) parce qu'Asselin fonçait vers les lignes ennemies devant eux, debout, les balles sifflant autour de lui et ne l'atteignant jamais! «Où tu vas, j'irai…»

Je mijotais tout ça la semaine dernière, pêle-mêle, après avoir reçu de l'auteur Jules Tessier, par la poste, un exemplaire de son plus récent livre intitulé Avant de quitter ces lieux*. Et j'ai compris, après avoir savouré l'oeuvre d'une page couverture à l'autre, que c'était une invitation à le suivre, à visiter, par la plume de ses souvenirs, quelques-uns de «ces lieux» qui avaient modelé son attachement passionné à la langue française, mais aussi son identité québécoise et son affection pour la francophonie hors Québec. Et que j'avais résolu, à chaque page, de l'accompagner: «Où tu vas, j'irai…»

Marie-Anne Gaboury revient vite en mémoire dans le chapitre «Quand nous étions tous Canadiens français», où Jules Tessier raconte un voyage «sur le pouce» quand il était scout, en 1961. Son trajet du Séminaire de Nicolet à Saint-Boniface avait suivi la légendaire route ontarienne numéro 17 qui relie le Québec au Manitoba, en passant par l'Est ontarien, puis longeant l'Outaouais jusqu'au virage vers North Bay, Sudbury, Sault-Ste-Marie, pour enfin contourner le Lac Supérieur et déboucher, éventuellement, sur les vastes plaines de l'Ouest.

L'auteur nous fait revivre une époque où l'appellation canadienne-française était partagée autant par les Franco-Manitobains et Franco-Ontariens que par les Québécois francophones, même si je soupçonne que derrière le vernis d'une plaque commune, le sens territorial de la nation était fort différent selon qu'on vivait sur les rives du Saint-Laurent, aux abords des Grands Lacs ou le long du parcours sinueux de la rivière Rouge. Quoiqu'il en soit, Jules Tessier évoque avec justesse les vieilles solidarités issues des persécutions dont avaient été victimes les Métis francophones des Prairies, y compris la pendaison de Louis Riel, et les Franco-Ontariens, dont les écoles avaient été interdites à partir de 1912.

«Je ne peux, écrit-il, qu'exprimer une profonde admiration pour ceux-là de la francophonie hors-Québec, encore et toujours nos frères et nos soeurs, auxquels nous rattachent des liens d'une telle profondeur qu'ils ne peuvent être annihilés», même si la montée du mouvement indépendantiste au Québec dans les années soixante et les frictions survenues aux États généraux du Canada français en novembre 1967 ont provoqué de sérieux remous identitaires chez les francophones outre-Outaouais. 

L'immense majorité des francophones d'ici et d'aujourd'hui n'ont jamais connu ce pays que l'auteur ramène vers le futur. Où tu vas, diront la plupart, nous n'irons pas parce que nous ne savons pas comment nous y rendre... Le Montréalais contemporain peut-il imaginer un jeune scout québécois, faisant de l'auto-stop jusqu'à Saint-Boniface pour aller porter la modique somme de 77,80$ (amassée à coups de 10 cents et de 25 cents) afin d'assurer la survie d'écoles françaises, et s'y sentir accueilli «comme un membre de la même famille», «comme si nous arrivions à la maison d'un proche parent»?

Et pourtant, même à cette époque d'«unité» canadienne-française, le jeune Jules Tessier prend vite conscience (à son grand premier périple hors-Québec) qu'en arrivant à Ottawa, il n'est plus «un citoyen à part entière de ce pays», dès le moment qu'il s'affiche «en tant que francophone». Que les francophones de Saint-Boniface ne sont plus chez eux quand ils traversent le pont Provencher vers Winnipeg. En revenant à Montréal à la fin d'août 1961, dit-il, «je ressentis comme jamais par la suite la satisfaction qu'on éprouve en rentrant à la maison après une longue absence».

Dans le premier chapitre du livre, Jules Tessier invite le lecteur ou la lectrice à visiter des maisons subtilement, voire agréablement hantées, c'est-à-dire des maisons où l'on ressent la présence d'une personne célèbre qui l'a longtemps habitée (par exemple la résidence de Marguerite Yourcenar dans l'État du Maine). Mais parfois, quand il s'agit d'une collectivité, la «maison» peut prendre la forme d'un vaste territoire, le Québec en l'occurrence. Et c'est par une Franco-Manitobaine, Gabrielle Roy, sans doute consciente de son éloignement du foyer national, que Jules Tessier en fait la révélation. «Peut-être, écrit l'auteure dès 1955 dans Rue Deschambault, les générations mortes respirent-elles encore autour des vivants, en ce vieux pays du Québec»… 

La Révolution pas-si-tranquille-que-ça des années 1960 n'a pas diminué l'intérêt que porte M. Tessier à la francophonie hors-Québec. Parmi «ces lieux» qu'il a fait siens et auxquels il nous convie, du moins avec nos mains en tournant les pages d'un vrai livre imprimé, il y a le département des lettres françaises de l'Université d'Ottawa et son campus satellite de Cornwall où, des années 1970 au début du 21e siècle, des auteurs francophones du Québec, de l'Ontario, de l'Ouest et de l'Acadie ont séjourné en résidence ou comme participants à des colloques ou à des lectures. Il consacre d'ailleurs un chapitre à Lisa LeBlanc et à d'autres Acadiens, qui ne se sont jamais considérés canadiens-français… Il s'aventure même dans l'univers médiatique, pour rappeler les souvenirs agréables d'émissions, de textes et de chroniques sur le bon usage de la langue française.

La fin du livre nous ramène à la case départ, quand les ancêtres de France ont traversé l'Atlantique et que leurs conjoints et enfants ont, les premiers, dit: «Où tu vas, j'irai…» C'étaient, écrit Jules Tessier, «de valeureux pionniers qui avaient accepté de laisser derrière eux parents et amis, pour s'embarquer dans un voyage vers l'inconnu». Nous sommes aujourd'hui les héritiers de cette «terre de nos aïeux» qui, pour emprunter les paroles de l'Ô Canada de 1880, n'était pas la vaste contrée de la version anglaise de l'hymne. «Sous l'oeil de Dieu, près du fleuve géant, le Canadien grandit en espérant», chante le second couplet. Près du fleuve géant…

Dans le dernier chapitre, qui porte le titre du livre, Jules Tessier se dit inquiet de l'avenir du français chez nous, ce français qui reste la pierre d'assise de notre nation distincte. Mais pour réussir «les grandes mutations» qui s'imposent, l'auteur rappelle que «les bonds en avant partent d'abord du ventre, des tripes, là où se situe le courage». Et il y a eu chez l'auteur, comme chez tous ceux et toutes celles qui comptent beaucoup plus d'années derrière que devant (y compris moi), l'angoisse de «manquer de temps». Avec ce livre, il a bouclé la boucle, peut-être, mais quelque chose me fait croire qu'il avance toujours. Et je lui dis, avec ma tête mais aussi, et peut-être surtout, avec mes vieilles tripes: Jules, «où tu vas, j'irai... nous irons...»

Je termine avec le dernier couplet, opportun, de la chanson de Légendes d'un peuple (http://bit.ly/1s10im4) où s'exprime la courageuse Marie-Anne Gaboury, morte à 95 ans en 1875 après avoir été témoin de la première victoire de Louis Riel, son petit-fils, à la rivière Rouge: 

«Voilà qu'aujourd'hui ma vie s'achève…
Et je n'ai pas peur...
Un dernier voyage qui m'emmène...
Où tu vas, j'irai… Où tu vas, j'irai…»


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* Jules Tessier, Avant de quitter ces lieux, Éditions Del Busso, Montréal, 2014, 222 p.