vendredi 27 février 2015

Entre la cravate et le hidjab...

S'il faut porter une cravate… voici ma préférée.

À l'automne 1969, alors que j'étais journaliste depuis seulement quatre mois, j'ai obtenu un poste de courriériste parlementaire au quotidien Le Droit. Une occasion inouïe de suivre les grands dossiers du pays, de côtoyer les Trudeau, Marchand, Pelletier, Douglas, Stanfield, Caouette et bien d'autres. Mais à 23 ans, quand on est jeune et rebelle, ce qui nous frappe peut paraître surprenant aux vieux routiers…

Dans mon cas, ce fut le code vestimentaire de la Chambre des communes, qui obligeait tous les journalistes mâles à porter veston et cravate… Je détestais les cravates (je me suis quelque peu adouci depuis…), les considérant comme le seul vêtement humain à n'avoir aucune utilité. Mais le règlement était là, et ma contestation du code vestimentaire m'a valu quelques expulsions des Communes et des interventions des autorités de la Tribune de la presse parlementaire auprès de mes patrons à la salle des nouvelles…

J'étais pourtant vêtu proprement, avec pantalon, veston et col roulé assortis. Après ma dernière expulsion, je suis revenu le lendemain avec de vieux pantalons, une chemise carreautée, une cravate horrible et un veston style cowboy, à franges sur les manches (genre Davy Crockett). La chienne à Jacques. Mais c'était conforme au règlement et on m'a laissé prendre place à la Chambre des communes avec cet accoutrement…

Tout ça pour dire que souvent, comme dans le cas de la presse parlementaire (et je crois que ce règlement est toujours en vigueur, seulement pour les hommes), les codes vestimentaires ne s'appuient que sur des traditions, des coutumes, ou encore des perceptions de bienséance qui changent avec les époques et qui relèvent, au fond, du plus pur arbitraire. Ce qui m'amène au propos d'aujourd'hui: cette décision de la juge de la Cour du Québec d'interdire le hidjab (foulard complet, visage découvert) dans son tribunal…

Voilà le genre de situation qui se produit quand on laisse aux bons soins d'un juge ou d'un autre juge, chacun dans son tribunal, d'interpréter une directive voulant que les personnes présentes soient vêtues convenablement. Cette juge obligeant les témoins à enlever chapeaux et lunettes de soleil, elle ordonne aussi à cette femme d'enlever le foulard qui lui couvre la tête, ne le jugeant pas convenable. Elle ajoute, pour renforcer, que son tribunal est un endroit «laïc»…

Encore une fois, c'est le plus pur arbitraire. Je ne veux pas comparer ma cravate à son foulard islamique, mais dans un cas comme dans l'autre, les motifs invoqués pour obliger la personne à modifier sa tenue vestimentaires sont fondés sur des règles vagues et sujettes à interprétations variées…

Voilà pourquoi j'étais favorable (et que je le suis toujours) à la charte de la laïcité de Bernard Drainville (pas la plus récente version adoucie mais la première, claire et sans trop de compromis). Le projet du gouvernement Marois proposait des règles claires s'appuyant sur un concept éminemment défendable de neutralité et de la laïcité de l'État, ainsi que sur des préceptes constitutionnels comme l'égalité hommes-femmes. Des règles qui n'ont rien à voir avec l'arbitraire, mais qui consacrent l'égalité de tous les citoyens devant l'État et l'obligation pour les représentants de l'État de se conformer (jusque dans l'apparence) à des règles de neutralité.

Mais cette charte visait les personnes à l'emploi des institutions publiques dans leur rôle de serviteur du public. Elle ne concernait pas la vie privée des gens, ni la tenue vestimentaire des citoyens qui se présentent devant l'État (ou un tribunal) pour obtenir des services. Dans la vie privée, les règles sont établies par la constitution et par les autres lois et, en règle générale, ce qui n'est pas interdit, ordonné ou réglementé doit être permis… qu'on aime ça ou pas.

Personnellement, je n'aime pas beaucoup le foulard islamique, et ce, pour des raisons qui relèvent de l'égalité hommes-femmes. Je reste persuadé que ce foulard et ses variantes (allant jusqu'au niqab et la burqa) sont des manifestations publiques de l'inégalité des sexes et de l'infériorisation des femmes dans l'islam. De la même façon, j'aurais désapprouvé qu'on continue à obliger les femmes à couvrir leur tête dans les églises catholiques, comme jadis. Les religions, en général, ont cette fâcheuse tendance de reléguer les femmes à un statut d'inférieures…

Quoiqu'il en soit, ce que je pense du foulard islamique importe assez peu, parce que des milliers de citoyens n'ont pas la même opinion, et que pour un débat de ce genre, dans une société démocratique, il est malaisé pour une faction, même si elle estime avoir raison, d'imposer ses vues aux autres factions. Si une femme me dit qu'elle porte le foulard ou le voile par conviction, et si tel autre me dit que cela relève de la liberté de religion plus que de l'égalité hommes-femmes, je peux bien tenter de les convaincre… mais je me refuse à leur imposer mes valeurs.

Évidemment, si jamais un consensus social se dégageait à l'effet que tel ou tel vêtement ou signe extérieur constitue une violation de l'égalité entre les hommes et les femmes, une loi ou un règlement pourrait l'interdire. Mais nous n'en sommes pas là… En France on a interdit le port du niqab en public par loi, pour des motifs d'identification et de sécurité. Peut-être pourrait-on finir par en arriver à certains consensus sur les formes les plus extrêmes de ces tenues religieuses, mais certainement pas sur les foulards ou voiles qui laissent le visage découvert. Pas ici, pas maintenant.

Alors cette juge qui interdit le hijab dans sa cour patine sur une glace juridique fort mince… et son intervention aura probablement pour effet principal de nous relancer dans des débats hystériques (surtout dans la presse anglo-canadienne) sur la soi-disant xénophobie des Québécois, l'intégrisme et les mosquées dans les quartiers. On aura droit à des manchettes saugrenues et à des insultes de tous genres dans les médias sociaux, qui ne feront avancer en rien un débat pourtant fort pertinent… et important.

Ce qu'il nous faut, ce sont des repères constitutionnels et juridiques clairs, appliqués sans mille et une exceptions. Avec la charte du gouvernement Marois, on aurait fait du chemin. Mais là, on se trouve à la merci des décisions judiciaires, de conseillers municipaux obscurantistes, de gouvernements aux principes élastiques selon la proximité ou pas d'élections, de lobbys de toutes tendances et de la foire (la jungle?) des débats dans les médias traditionnels et sociaux… On n'est pas sortis du bois...

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