lundi 2 février 2015

Quand y a-t-il blasphème?

J'ai finalement reçu en fin de semaine un exemplaire papier du Charlie Hebdo du 14 janvier, l'édition après les assassinats. Et hier soir, j'ai écouté l'entrevue de la journaliste Zineb El Rhazoui, de Charlie Hebdo, à Tout le monde en parle. L'émission de Radio-Canada a présenté en ondes la page couverture controversée du magazine, que CBC avait censurée. Après avoir épluché les 16 pages de la revue, j'ose ce commentaire bien personnel...
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Liberté d'expression. Liberté de presse. Censure. Autocensure. Satire. Provocation. Blasphème. Intégrisme. Terrorisme. Répression. Laïcité. Égalité. Tout s'enchevêtre. Tout se mêle. On nous bombarde d'opinions à gauche, à droite, par devant, par derrière. Chacun, chacune apporte son flambeau et le jette dans le brasier. Je suis presque toujours Charlie, mais à l'occasion, je ne suis pas Charlie… Comment tirer quelque clarté de cet immense chaudron d'idées?

Impossible - pour moi en tout cas - de tout prendre et de tout classer en vases communiquants. Il faut parfois isoler un des arbres de cette vaste forêt et y fixer toute son attention. Pour moi, le blasphème constitue un excellent «arbre» de départ. La notion même de blasphème varie selon les pays, les lois, les cultures et les religions. Et que dire du concept de Dieu, de divinité, inséparable de la définition du blasphème et tout aussi confus, d'un catéchisme à l'autre? Pour les uns, le blasphème justifie la mise à mort; pour d'autres, le blasphème est un droit… et même un devoir!

Commençons par définir le blasphème. Je propose cette description tirée du site Web de l'Église catholique de France, l'une des plus complètes que j'ai vues dans ma quête Internet: «Le blasphème consiste à proférer contre Dieu, intérieurement ou extérieurement, des paroles de haine, de reproche, de défi, à dire du mal de Dieu, à manquer de respect envers Lui dans ses propos, à abuser du nom de Dieu pour couvrir des pratiques criminelles, réduire des peuples en servitude, torturer ou mettre à mort.»

Cela nous amène nécessairement à définir Dieu, parce qu'en principe celui ou celle qui ne croit pas à l'existence de Dieu ne peut, d'aucune façon, commettre un blasphème - du moins pas de son point de vue. Je propose ici de revenir à la toute première encyclique du pape Benoît XVI (théologien de premier ordre quoiqu'on en pense pour le reste...). Le prédécesseur de François y affirmait tout simplement que Dieu est Amour. Comme «espérant» plus que comme croyant, je souscris à cette opinion. Dieu, s'il existe, c'est l'amour parfait. La perfection de l'amour. Pas un vieux monsieur barbu trônant sur une armée d'anges, mais une présence aimante et agissante, essentiellement spirituelle.

Benoît XVI ajoutait, et c'est là selon moi un élément clé de compréhension, qu'aimer ce Dieu-Amour et aimer son prochain (les autres humains) étaient indissociables. «Aime Dieu et ton prochain comme toi-même», voilà le principal commandement laissé à l'humanité par Jésus Christ, l'humain au sein duquel cet Amour parfait se serait incarné il y a quelques millénaires. Impossible, selon ce pape, d'aimer Dieu-Amour sans aussi aimer son prochain sur Terre. Moi, j'ajouterais que l'inverse est tout aussi vrai: impossible d'aimer son prochain sans souscrire à un idéal d'amour bien plus grand que soi…

Campé dans ces définitions, qui ont au moins le mérite de leur clarté, le blasphème prend la forme de paroles ou de gestes de haine ou de violence prononcés ou commis au nom de ce Dieu-Amour ou contre ce même Dieu-Amour. Brûler des libre-penseurs sur les bûchers comme l'a jadis fait l'Église catholique durant les inquisitions, c'est un blasphème! Assassiner des journalistes de Charlie Hebdo à la gloire d'Allah ou flageller un blogueur en invoquant la charia, ce sont des blasphèmes. Violenter les membres d'une religion au nom de l'athéisme, c'est aussi un blasphème. Inférioriser la femme, la moitié de l'humanité, pour des motifs théologiques, c'est également blasphémer.

Critiquer, dénoncer, remettre en question ou même, rire de religions organisées par des humains, ou de leurs chefs et représentants, pour y étaler sur la place publique leurs lacunes, leurs imperfections ou les injustices commises en leur nom, ne peuvent d'aucune façon être associés au blasphème. Les caricatures et textes qui visent Jésus Christ, le pape, Mahomet ou les Juifs dans Charlie Hebdo peuvent être comiques pour certains, irrévérencieux pour d'autres, de mauvais goût pour plusieurs, mais ils ne sont certainement pas blasphématoires. Ce n'est pas l'idéal spirituel d'Amour qu'on y vise, mais des institutions et des humains qui souvent, par leurs actions, ont invité au fil des siècles des reproches souvent fort justifiés.

L'oeuvre de Charlie Hebdo, clairement, est inspirée par la solidarité et par l'amour du prochain, et par l'engagement de son équipe contre ceux qui voudraient brimer l'humanité. Quant à savoir si on y transgresse les limites de la liberté d'expression, je ne le crois pas mais c'est un tout autre débat avec d'autres termes qui doivent, eux aussi, être clairement définis. Ce dont j'ai la certitude, si Dieu existe, s'Il est Amour et si l'amour reste son principal commandement aux humains, c'est que présenter une caricature de Mahomet portant une affiche «Je suis Charlie» sous le titre «Tout est pardonné!» n'a rien d'un blasphème.

Les véritables blasphémateurs sont ces intégristes-terroristes qui, au nom de ce Dieu-Amour, sèment la haine, la violence et la mort !







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