mardi 3 mars 2015

Le sabre et le goupillon...

Le plus souvent, les funérailles d'un ami, d'un proche, ou même d'une simple connaissance, favorisent une ambiance de rassemblement, d'accolades, de retrouvailles amicales, d'échanges, de condoléances, de partage de souvenirs agréables, et même - à l'occasion - de réconciliations. Plusieurs vieilles chicanes et animosités ont été enterrées avec des personnes décédées. Et c'est sans doute bien ainsi.

Voilà sans doute pourquoi j'ai sursauté en voyant, dans le quotidien Le Droit, à la mi-février, cette lettre à l'opinion du lecteur, portant la signature d'un prêtre par surcroit! De toute évidence, celui-ci n'avait pas enterré la mauvaise expérience vécue aux funérailles récentes d'un ex-militaire de Gatineau. Si l'auteur de la lettre, Marcel Lahaie, avait voulu mettre le feu aux poudres, il n'aurait pas procédé autrement!

Pour ceux et celles qui veulent lire cette lettre, elle est reproduite ci-dessous. Suffit de dire qu'elle reprochait au sergent d'armes de la section de Pointe-Gatineau de la Légion canadienne d'avoir livré un hommage unilingue anglais, au Québec, dans le cadre d'une cérémonie en langue française dans une paroisse de langue française…



Célébrant aux funérailles, le prêtre n'y allait pas avec le dos de la cuillère, évoquant la réputation de l'armée canadienne comme «outil d'assimilation», puis qualifiant l'emploi de l'anglais d'humiliation et de «mépris total» pour notre langue. Jamais, de toute ma vie, je n'avais lu de telles affirmations faites par un prêtre à propos d'un service religieux... et surtout à propos de funérailles religieuses, où les gens sont rassemblés pour pleurer la perte d'un être cher...

Bien sûr, comme il fallait s'y attendre, les propos virulents du prêtre ont attiré une réplique tout aussi ferme du président de la section de Pointe-Gatineau de la Légion royale canadienne, Vincent Prud'homme, publiée elle aussi dans la page d'opinion du quotidien Le Droit cinq jours plus tard…



Contre le goupillon vinaigré, il a sorti le sabre, aurait dit Jean Ferrat. M. Prud'homme ne s'est pas gêné pour dénoncer l'attitude «totalement intolérable, méprisante et inacceptable» du prêtre, qualifiant ses propos d'«exagérés, méprisants et gratuits». Pas vraiment beaucoup de place pour les nuances, de part et d'autre...

Le représentant de la Légion reproche au célébrant de ne pas avoir été au courant que la langue des proches du défunt était l'anglais. Dans un article du Journal de Montréal (http://bit.ly/17Z6o3j), M. Prud'homme déclarait cependant que le sergent d'armes (un anglophone ayant toutefois servi dans le très francophone Royal 22e Régiment) avait préféré l'anglais à cause de «son français cassé»...

Qui a raison?

Alors, au-delà de la chicane linguistique (ce sont des choses qui se produisent sur les rives de l'Outaouais) qui marquera à jamais le sillage de ces funérailles d'un ex-militaire, la question qui se pose, évidemment, c'est de savoir qui des deux a le plus raison... Comme tout n'est jamais blanc ou noir mais cinquante fois nuancé de gris, il y a probablement du vrai dans les accusations du prêtre et du président de la section locale de la Légion.

Une chose est sûre. La paroisse Saint-François-de-Sales est une paroisse francophone, et de toute évidence, que le célébrant connaisse ou non la famille, le service se déroulait seulement en français. En tout cas, personne n'a fait mention d'un service bilingue... Si la langue des proches du défunt était l'anglais, il est surprenant qu'ils n'aient pas commandé les funérailles en conséquence.

Mon expérience, dans cette région, tant du côté ontarien que québécois, c'est que les francophones en général (et à plus fort titre ceux qui sont anglicisés) n'hésitent pas une seconde à inclure de l'anglais dans leurs funérailles... même dans les paroisses de langue française. Chez les anglophones, cependant, on voit rarement de tels égards pour les proches francophones d'un défunt de langue anglaise...

Alors dans un service de langue française, dans une paroisse de langue française, on peut comprendre la surprise et l'irritation d'un célébrant qui assiste à une allocution unilingue anglaise d'un sergent d'armes de la Légion royale canadienne.

Quant aux commentaires du prêtre Marcel Lahaie sur les forces canadiennes comme outil d'assimilation, il aurait peut-être pu nuancer... Dans ses unités et départements intégrés, les forces canadiennes anglicisent les francophones comme partout ailleurs dans la Fonction publique fédérale, mais il existe au sein des trois armes (armée, aviation, marine) des unités où la langue de fonctionnement est le français... On y trouve donc le pire et le meilleur...

En tout cas, je trouve étonnant que ces funérailles aient viré en bagarre linguistique sur la place publique. Peut-être, pour le repos de l'âme du guerrier enterré, le prêtre-célébrant et le président de la section de la Légion pourraient-ils aller prendre un bon café ensemble, apporter un calepin ou un portable, et tâcher de voir s'il n'y a pas de terrain d'entente possible entre les deux.

Le résultat pourrait, sait-on jamais, être une troisième lettre au quotidien Le Droit, qu'ils cosigneraient cette fois...

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