mardi 2 juin 2015

Horreur… une Gatinoise à l'ACFO...

Depuis le samedi 30 mai, le quotidien Le Droit a consacré trois textes substantiels - un grand interview, un reportage et un éditorial! - à la nomination de la nouvelle directrice générale de l'Association des communautés francophones d'Ottawa (ACFO). Pourquoi? Parce qu'Isabelle N. Miron demeure à Gatineau. Elle est donc Québécoise et, pire, son conjoint est indépendantiste. Pire encore, elle pourrait l'être aussi et le chroniqueur du Droit, Denis Gratton, a tout fait pour le lui faire avouer…

Tant d'espace, tant d'insistance, tant de réflexion, la question doit être grave… pour quelqu'un en tout cas… Alors profitons-en pour réfléchir tout haut et voir où cela nous mène… Ça risque d'être décousu (je suis expert en la matière) mais je tâcherai de rattacher les bouts à la fin.

Dimanche (31 mai), je me suis rendu au Congrès des sciences humaines à l'Université d'Ottawa pour entendre une conférence de Joseph-Yvon Thériault intitulée: «Qu'est devenue l'Amérique française?» La première question de la salle, après l'exposé, a été posée en anglais, et le type voulait savoir comment on définissait un francophone. Est-ce une personne de langue maternelle française, ou peut-on y inclure un anglophone issu de l'immersion française, etc...

Personnellement, j'ai trouvé la réponse de M. Thériault vague et évasive, et avoir été cet anglophone, j'aurais été insatisfait. Si ce dernier m'avait posé la même question, j'aurais sans hésitation répondu que pour moi, toute personne qui peut converser en français, le lire et l'écrire doit être comptée comme un ou une francophone. Cela ne signifie pas qu'on ne puisse pas ensuite élaborer des catégories…

J'estime qu'on peut regrouper les francophones en trois grandes catégories: 1) ceux et celles qui connaissent le français, sans plus; 2) ceux et celles qui connaissent le français et l'utilisent (au travail, en lisant, sur Internet, au cinéma, à la télé, à la maison, entre amis, etc…); et enfin, ceux et celles qui connaissent le français, l'utilisent et et s'y associent sur le plan identitaire. Distinguer entre ces catégories permet de mieux comprendre la dynamique linguistique d'une société.

Je ne sais pas si c'était en 2013 (probablement, il y avait un lien avec le centenaire du Droit), j'étais encore une fois à l'Université d'Ottawa, pour un colloque sur les médias francophones hors-Québec auquel participait, entre autres, le Commissaire aux langues officielles Graham Fraser. Or, une dirigeante d'origine européenne de l'hebdo franco-manitobain centenaire La liberté avait mentionné l'existence d'une certaine résistance à la présence de rédacteurs francophones étrangers dans le bassin de la Rivière Rouge…

Et elle avait indiqué tout bonnement qu'il était difficile de recruter des Franco-Manitobains intéressés ou capables de remplir les fonctions rédactionnelles. Dans un contexte d'assimilation, le milieu sociétal est anglo-dominant. Au Manitoba, le bassin de francophones aptes et désireux de joindre l'équipe d'un hebdo de langue française rétrécit de décennie en décennie. Alors on recrute parfois à l'extérieur. La Société Radio-Canada s'est retrouvée en même situation dans les régions les plus anglophones du pays.

Revenons à l'Ontario français, et en particulier à Ottawa où, sur plus de 100 000 francophones, on peut certainement espérer trouver des candidats et candidates qualifiés pour la direction générale de l'ACFO. Faut-il pour autant exclure les francophones de l'autre rive, plus nombreux, dans une région où le va-et-vient démographique est intense depuis très longtemps. Des milliers de Québécois de Gatineau et des environs sont nés en Ontario, et des milliers d'Ottaviens francophones sont originaires du Québec.

Les conséquences identitaires sont multiples et variées. J'ai passé les 30 premières années de ma vie à Ottawa, ma ville natale, et je reste Franco-Ontarien dans mes tripes. Mais depuis 1975 j'habite au Québec, qui est devenu ma patrie d'adoption. Cela m'empêche-t-il de vouloir militer pour les causes franco-ontariennes? Pas du tout. Je ne cherche pas ici à minimiser l'importance du lieu de résidence, mais il ne faut pas non plus l'exagérer.

Dans Le Droit de ce matin, un texte revient sur le passage turbulent de David Levine, souverainiste québécois (juif et anglophone par surcroit) nommé en 1998 à la direction du méga Hôpital d'Ottawa. Sa présence avait suscité toute une tempête et l'actuel maire d'Ottawa, Jim Watson, avait réclamé sa démission. Un souverainiste québécois dans un milieu anglo-dominant, c'est encore pire que chez les Franco-Ontariens…

De retour au point de départ. L'ACFO a besoin d'un ou d'une francophone de la troisième catégorie - ceux et celles qui connaissent bien le français, qui l'utilisent et qui s'y identifient. Elle a besoin, en plus, d'une personne avec une «volonté militante», prête à s'engager dans des situations parfois conflictuelles, dans un contexte souvent difficile. Ce type de candidate ou de candidate ne court par les rues, ni à Ottawa, ni à Gatineau. Il faut trouver la perle rare.

Le choix s'est porté sur Isabelle N. Miron. Au départ, c'est tout de même l'ACFO qui l'a sélectionnée. Il ne s'agit pas d'un parachutage imposé. Cela risque-t-il de causer des difficultés? Avec certaines personnes sans doute, mais je ne suis pas sûr qu'il faille exagérer l'ampleur du défi. À l'exception de quelques esprits fermés, la plupart des francophones de l'Ontario «ne se réveillent pas la nuit pour haïr» les Québécois… même les Québécois indépendantistes.

À la conférence de M. Thériault, dimanche, ce dernier avait conclu en disant qu'il ne fallait pas nécessairement reconstruire le vieux Canada français. Mais, ajouta-t-il, «il faut créer des ponts et des liens d'unité» entre le Québec et les collectivités francophones de l'est du pays, de l'Ontario, de l'ouest et des États-Unis. La nomination d'Isabelle Miron n'est peut-être pas un «pont», mais on pourrait croire qu'il y a là une amorce de passerelle. Donnons la chance au coureur…

Une note cocasse en terminant. Il y avait dans Le Droit du 2 juin une lettre hostile d'une lectrice, dénonçant l'arrivée de Mme Miron. La correspondante écrit: «La nomination d'Isabelle Miron à la tête de l'ACFO d'Ottawa est une insulte. Je me souviens de ce que les séparatistes nous ont dit en 1976», etc. On pourrait croire à un cri du coeur d'une Franco-Ontarienne enracinée... mais non la lettre provient d'une résidente de… Gatineau! 







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