mercredi 3 juin 2015

Tocqueville avait tout compris dès 1831...

Le grand philosophe et sociologue français Alexis de Tocqueville a visité les États-Unis en 1831 et 1832. Ses études sur la démocratie américaine sont encore aujourd'hui au menu de base des étudiants et étudiantes de science politique en Amérique du Nord. Le hasard voulut cependant qu'il bifurque vers la vallée du Saint-Laurent pour y découvrir un peuple à la fois français et nord-américain. Ses observations ont été regroupées dans un volume intitulé Tocqueville au Bas-Canada, publié aux Éditions du Jour en 1973.

Ce livre est peu connu, mais mérite bien d'être relu tellement il reste d'actualité en ce début du 21e siècle. Les parties en présence ont évolué depuis l'été de 1831, mais le fond des différends entre nos deux solitudes et les débats sur l'avenir de la nation québécoise et de la langue française prenaient déjà forme à l'époque. Et un observateur comme Tocqueville a vite compris les enjeux. Voici quelques extraits qui pourraient vous donner le goût de retrouver ce livre (disponible en ligne et en librairie - voir liens ci-dessous) et d'en faire une lecture attentive.

1. Extrait d'une lettre du 26 novembre 1831:

«Les Français d'Amérique avaient en eux tout ce qu'il fallait pour faire un grand peuple. Ils forment encore le plus beau rejeton de la famille européenne dans le nouveau monde. Mais, accablés par le nombre, ils devaient finir par succomber. Leur abandon est une des plus grandes ignominies de l'ignominieux règne de Louis XV.

«Je viens de voir dans le Canada un million de Français braves, intelligents, faits pour former un jour une grande nation française en Amérique, qui vivent en quelque sorte en étrangers dans leur pays. Le peuple conquérant tient le commerce, les emplois, la richesse, le pouvoir. Il forme les hautes classes et domine la société entière. Le peuple conquis, partout où il n'a pas l'immense supériorité numérique, perd peu à peu ses meurs, sa langue, son caractère national.»

2. Observations dans son carnet de voyage, 29 août 1831

«Tout annonce que le réveil de ce peuple approche. Mais si dans cet effort les classes intermédiaires et supérieures abandonnent les basses classes et se laissent entraîner dans le mouvement anglais, la race française est perdue en Amérique. Et ce serait en vérité dommage car il y a ici tous les éléments d'un grand peuple.

«Les Français d'Amérique sont aux Français de France ce que les Américains sont aux Anglais. Ils ont conservé la plus grande partie des traits originaux du caractère national, et l'ont mêlé avec plus de moralité et de simplicité. Ils sont débarrassés d'une foule de préjugés et de faux points de départ qui font  et feront peut-être toujours les misères de l'Europe. En un mot, ils ont tout ce qu'il faudrait pour créer un grand souvenir de la France dans le Nouveau monde.

«Mais parviendront-ils jamais à reconquérir complètement leur nationalité? C'est ce qui est probable sans malheureusement être assuré. Un homme de génie qui comprendrait, sentirait et serait capable de développer les passions nationales du peuple aurait ici un rôle admirable à jouer.»

3. Lettre de 1838, après la rébellion au Bas-Canada

«Méfiez-vous de ce que les Anglais établis au Canada et les Américains des États-Unis vous disent de la population canadienne (québécoise). Ils ne la voient qu'à travers d'incroyables préjugés et ils perdront le gouvernement qui ne verra lui-même que par leurs yeux».

4. Observations dans son carnet de voyage, août 1831

«Les blancs de France, disent les Indiens du Canada, sont aussi bon chasseurs que nous. Comme nous, ils méprisent les commodités de la vie et bravent les terreurs de la mort. Dieu les avait créés pour habiter la cabane du sauvage et vivre dans le désert.» (désert signifie les régions sauvages du centre et de l'ouest nord-américain, non colonisées par des Européens au début des 1830).

«Antipathie des Indiens pour la langue anglaise, leur goût pour les Français. Dans les déserts les plus éloignés, les Indiens saluent les Européens en disant: Bonjour!»

Et ce commentaire de Canadiens (francophones) rencontrés près des Grands Lacs: «Ils (les Indiens) ne consentent à parler que le français. Dans les déserts les plus éloignés, la qualité de Français est la meilleure recommandation auprès d'eux. Ils se rappellent toujours nos bons traitements lorsque nous étions maîtres du Canada. D'ailleurs beaucoup d'entre nous leur sont alliés et vivent presque comme eux.»

5. Et enfin, cette note qui n'a rien à voir avec le contexte politique… (juillet 1831)

«L'animal qu'on appelle mosquito en anglais et maringouin en français canadien est un petit insecte semblable en tout au cousin de France dont il diffère seulement par la grosseur. Il est généralement plus grand et sa trompe est si forte et si acérée que les étoffes de laine peuvent seules garantir de ses piqûres. Ces petits moucherons sont le fléau des solitudes de l'Amérique. Leur présence suffirait pour rendre un long séjour insupportable!»

Lien au livre en ligne:
Tocqueville au Bas-Canada
http://bit.ly/1ALfRbv

La plus récente réédition imprimée
Regards sur le Bas-Canada, d'Alexis de Tocqueville
Éditions Typo
http://bit.ly/1BL5bV7



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