lundi 27 juillet 2015

Chronique d'un voyage à Terre-Neuve

En visitant pendant huit jours l'ouest de Terre-Neuve, entre la péninsule de Port-au-Port et l'extrême nord de l'île à L'Anse-aux-Meadows, je me suis rendu compte qu'entre l'école, les médias et mes propres lectures, je n'avais pas appris grand-chose d'utile sur ce territoire et ses habitants… J'en sais un peu plus maintenant, après avoir roulé près de 2 500 km en voiture et avoir eu l'occasion d'échanger avec un certain nombre de Terre-Neuviens de différentes régions… En tout cas, j'en sais assez pour savoir que j'aimerais en savoir plus… 

Voici quelques constatations qui m'ont marqué pendant mon séjour:


1. Terre-Neuve, même sans le Labrador, c'est grand (c'est beau aussi)! Plus grand que l'Irlande, presque aussi grand que l'Angleterre! L'aller-retour de Corner Brook (centre-ouest) à St. Anthony (extrémité nord de la péninsule de l'ouest) ajoutera 1000 km à votre odomètre. Un immense tapis de forêt boréale (sapins, épinettes, bouleaux) émaillé de villages côtiers et de quelques petites villes. De Port-aux-Basques, au sud-ouest, à St. John's (pointe est), c'est aussi long que le trajet Montréal-Sept-Îles!


2. Terre-Neuve a remis en question mes notions au sujet de la définition d'une île… Je n'ai pas de problème à concevoir le caractère insulaire de l'île d'Orléans, ou même de l'île d'Anticosti ou de l'Île-du-Prince Édouard… Mais Terre-Neuve, à 115,000 km carrés, c'est presque un mini continent. N'oubliez pas que l'Amérique est aussi une île… gigantesque j'en conviens. Au large de la péninsule de Port-au-Port, il y a l'Île Rouge. Ses habitants acadiens et français appelaient Terre-Neuve «la grand'terre» (mainland pour les anglophones). Aujourd'hui, l'île est déserte et en face, sur la route 463 des ancêtres français, on retrouve le village de «Grand'Terre»… aussi appelé Mainland

3. Les Terre-Neuviens s'appellent eux-mêmes des newfies… J'avais toujours cru, à l'entendre au Québec et en Ontario, que ce terme était largement péjoratif… une façon de se moquer de nos voisins de l'est (p. ex. les blagues de newfies). Alors oubliez ça, ça ne les dérange pas du tout! Le mot newfie fait partie de leur quotidien. J'ai même vu, sur un menu de restaurant, la possibilité de commander un newfie lunch ("baloney" et frites)…

Au restaurant Norsemen, de L'Anse-aux-Meadows

4. Parlant de nourriture, je n'ai jamais vu de resto de cuisine anglo-canadienne ou même ontarienne… mais je vous assure qu'il existe une fière cuisine terre-neuvienne, largement axée sur les poissons et fruits de mer. Je ne doute pas que la morue soit une espèce menacée (le moratoire sur les grandes pêches commerciales est en vigueur depuis 1992), et pourtant on en sert dans presque tous les restaurants côtiers. Et elle est délicieuse! Un plat succulent que j'ai essayé dans le petit village de Lark Harbour: le fisherman's brewis (prononcer bruise) - un mélange de morue salée, de pain dur trempé et émietté, servi avec des scrunchions (porc grillé), de la mélasse et un relish au maïs… Pour une fine cuisine locale digne des meilleures tables de Montréal, allez au Norsemen à L'Anse-aux-Meadows...


5. Sur le plan des services en français, mes attentes étaient nulles dans cette province où les francophones forment une infime minorité de quelques milliers d'habitants. À Corner Brook, par exemple, il n'y a que 75 francophones sur une population de plus de 20 000… Quelle ne fut pas ma surprise de voir l'affiche «Welcome to - Bienvenue à Corner Brook» sur la toute 1 (transcanadienne). À l'insectarium provincial près de Deer Lake, quand le personnel nous a entendus parler français, on a offert de nous fournir un guide francophone! Et au petit resto du centre-ville où on prenait le lunch, la serveuse (qui avait sans doute reconnu notre langue) a eu la gentillesse d'écrire à la main «Merci!» sur la note…


6. Je n'ai rencontré qu'une francophone originaire de Terre-Neuve, Mme Gloria Lecointre, responsable du «Cercle des mémoires« au Centre communautaire de Grand'Terre, dans la péninsule de Port-au-Port. Il y a là une chapelle et une école de langue française. Les ancêtres de Mme Lecointre ont vécu sur l'Île Rouge, près de Grand'Terre, et sont originaires de St-Pierre et Miquelon. La majorité des francophones de cette région semblent d'origine acadienne cependant, comme en témoigne le monument aux Acadiens à Cap St-Georges. La route en boucle qui fait le tour de la péninsule s'appelle d'ailleurs (en français et en anglais dans les affiches provinciales) La route des ancêtres français.


7. Le Parc national du Gros-Morne (le Gros-Morne c'est une montagne) et le Lieu historique de L'Anse-aux-Meadows comptent parmi les grandes attractions de la côte ouest et nord de Terre-Neuve. Ce sont des sites sous juridiction fédérale. Nous n'avons eu aucune difficulté à y obtenir des services en français, et à L'Anse-aux-Meadows (site de la première installation des Vikings en Amérique du Nord) il y avait une offre active en français. Nous étions une douzaine de Québécois à suivre la visite guidée en français autour de ce site consacré par l'UNESCO.


8. J'ai été étonné de voir assez fréquemment, en plus du drapeau de Terre-Neuve et du drapeau canadien, un drapeau tricolore vert-blanc-rose devant des magasins et des résidences. Il est d'ailleurs en vente dans les boutiques de souvenirs et même sur les sites fédéraux où il est identifié comme le drapeau de la «République de Terre-Neuve». C'est un des drapeaux officieux de ce territoire assez unique, et il existe depuis le milieu du 19e siècle. On l'appelle le Newfoundland Tricolour et il s'agit, semble-t-il, du seul drapeau au monde qui utilise le rose. Je devrai m'informer davantage…

Tuques, manteaux chauds s'imposent parfois même en juillet.

9. On s'imagine qu'à Terre-Neuve, le climat doit être différent de Gatineau ou Montréal, où l'on croule aujourd'hui sous la chaleur et l'humidité. Samedi matin, j'étais à St. Anthony et L'Anse-aux-Meadows, où le mercure a chuté à trois degrés et où, vent du large aidant (il y avait même un iceberg dans la baie), des gens se promenaient avec des tuques et des gants… Dans notre semaine, le mercure a seulement dépassé le seuil des 20 degrés les deux derniers jours… C'est plus froid que d'habitude mais quand même, je n'ai vu aucune plage et personne ne songerait à se baigner dans le golfe, dans le détroit de Belle-Ilse ou dans le nord de l'Atlantique… On mourrait d'hypothermie en quelques minutes…

10. Ne doutez jamais de l'attachement des Terre-Neuviens à leur coin de pays. Un ancien Haut Commissaire de Grande-Bretagne à Terre-Neuve (avant 1949) disait qu'au ciel, seuls les Terre-Neuviens seraient malheureux. Ils s'ennuieraient de leur île… Un Franco-Ontarien de Timmins que nous avons rencontré à L'Anse-aux-Meadows disait connaître une Terre-Neuvienne établie à Timmins: elle était en contact avec tous les Terre-Neuviens (ils ne sont pas nombreux) habitant cette ville du Nord ontarien. Partout où ils se retrouvent, ils se regroupent… tant le sentiment d'appartenance est profond.

À Pasadena (entre Deer Lake et Corner Brook), à un marché d'alimentation où mon épouse et moi étions arrêtés pour des provisions, une vieille dame cherchait des fraises (c'est la saison des fraises, présentement, à Terre-Neuve). Et elle n'allait pas quitter avant qu'un membre du personnel lui garantisse que les fraises qu'elle achetait étaient locales (de Terre-Neuve) et non d'une place étrangère comme… la Nouvelle-Écosse. Je n'ai pas été témoin du dénouement de sa quête mais nous en avons achetées et elles étaient fraîches et délicieuses…


À Eddies Cove, le Labrador est bien visible.

11. Une dernière considération… géographique. Terre-Neuve c'est à l'est, mais un peu plus que je ne le croyais. Quand nous sommes arrivés, il y avait à la télé l'Omnium britannique de golf et je me suis tout à coup rendu compte qu'il n'y avait que trois heures et demie de différence entre Terre-Neuve et la Grande-Bretagne… alors qu'il y en a quatre et demie avec Vancouver… Et en regardant la carte, j'ai aussi réalisé que la deuxième province la plus à l'est, c'est le Québec. Natashquan est située à l'est de Halifax, et Blanc-Sablon se trouve encore plus à l'est que Corner Brook, à Terre-Neuve!

J'ai compris cela vivement quand, roulant près d'Eddies Cove, dans le nord de la péninsule ouest de Terre-Neuve, j'ai aperçu en face les côtes sombres du Labrador et un peu plus loin, la région de Blanc-Sablon, au Québec, port d'attache du traversier du détroit de Belle-Isle qui fait la navette avec St. Barbe, Terre-Neuve, à 36 km de distance…

Décidément, les voyages forment la vieillesse…




1 commentaire:

  1. Bonjour,

    J'ai trouvé votre chronique sur Terre-Neuve particulièrement intéressante. J'ai eu le grand plaisir de visiter le Canada, à quelques reprises, jusqu'à l'Île de Vancouver, de même que les maritimes incluant l'Île-du-Prince-Édouard.

    Au cours de mes voyages, j'avais rencontré des «newfies», Joe et Marg avec lesquels j'avais eu le plaisir de jaser un peu. C'est sympathiques gens avaient visités le Québec et avaient un merveilleux sens de l'humour. Rien à voir avec votre correspondante du Pontiac.

    Nous partons demain pour visiter une partie de la famille en Gaspésie où nous allons assez souvent l'été. Ensuite, nous traverserons via Matane - Baie-Comeau pour nous rendre jusqu'à Kégaska, après avoir visité Natashquan le pays natal de Gilles Vigneault.

    Au retour, après quelques jours dans Charlevoix, nous ferons une halte d'un jour au pays de Félix Leclerc, l'Île-d'Orléans.

    L'an prochain, je souhaite aller pour au moins 1 semaine aux Îles-de-la-Madeleine mais la planification détaillée n'est pas encore faite. Comme Terre-Neuve pourrait faire partie d'une autre escapade, j'aimerais savoir comment vous vous êtes rendu à T-N, via Blanc-Sablon ou via l'I-P-É.

    Je lis vos articles avec beaucoup d'intérêt.

    Gilles Sauvageau

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