samedi 17 octobre 2015

Jack et le Québec avaient ouvert une belle brèche...


Le 2 mai 2011, en offrant aux troupes de Jack Layton une soixantaine de sièges, les Québécois ont entrouvert une porte jusque là fermée au Nouveau Parti démocratie: un accès fragile mais réel, après quatre ans de purgatoire comme Opposition officielle, aux clés du pouvoir à Ottawa. Pour y arriver, le parti aurait besoin d'un «sans faute» aux Communes... suivi d'un autre «sans faute» durant la campagne électorale de 2015.

Malheureusement pour le NPD, celui que les Québécois appelaient affectueusement «Jack» est décédé quelques mois plus tard. Son successeur Thomas Mulcair, malgré ses talents indéniables de bagarreur efficace dans l'arène parlementaire, avait des antécédents bariolés, ayant été ministre libéral au Québec et avocat des droits des Anglo-Québécois contre la Loi 101. Le fil idéologique et linguistique sur lequel il serait obligé de se balancer serait fort mince et instable…

De plus, le NPD se retrouvait dans la position, plutôt inhabituelle, d'un parti pancanadien dont la majorité des députés étaient québécois et/ou francophones, alors que sa clientèle traditionnelle et loyale était très majoritairement anglo-canadienne. Parler aux uns et aux autres sans se faire accuser d'un double langage serait ardu, ce dont M. Mulcair s'est d'ailleurs aperçu au cours des derniers mois.

En mai 2011, quelques semaines après l'élection fédérale, j'avais écrit en éditorial, dans le quotidien Le Droit: «Jack Layton (il est décédé en août 2011) devra convaincre le Canada anglais d'accentuer le statut déjà particulier du Québec. Il devra expliquer ce que signifie fédéralisme asymétrique. Il doit réaffirmer la Déclaration de Sherbrooke… Il doit leur faire comprendre que les Québécois ne partagent pas la vision du Canada anglais, qui voit son gouvernement "national" à Ottawa. Le gouvernement "national" des Québécois siège dans la Vieille Capitale.»

Et j'ajoutais: «S'il veut faire avaler ça au Canada anglais, il aura bien du monde à convaincre. Il doit s'atteler à la tâche tout de suite et marteler le message sans répit pendant quatre ans, sans le diluer.» Je ne suis pas sûr que M. Layton aurait relevé ce défi. Il louvoyait déjà sur le «50% + 1» à un référendum sur la souveraineté, un élément de la Déclaration de Sherbrooke. On ne saura jamais. Ses jours étaient comptés.

Ce que l'on sait, c'est que son successeur Thomas Mulcair a ressorti la Déclaration de Sherbrooke sur le tard, pendant la campagne électorale, lors des débats télévisés, quand Justin Trudeau l'a attaqué sur le principe du «50% + 1».  Entre-temps, entre 2011 et 2015, le NPD-Mulcair avait réussi à ébranler plusieurs appuis québécois francophones en s'opposant, entre autres, au projet de charte de laïcité du gouvernement Marois. Et rien n'avait été fait pendant quatre ans pour convertir le Canada anglais à l'asymétrie…

En dépit de ces errements dans les méandres des deux solitudes, le NPD avait réussi à arriver à l'aube de cette campagne électorale en tête des sondages et s'est retrouvé clairement, pour quelques semaines, favori dans la course aux intentions de vote… surtout au Québec où ses appuis frisaient le seuil des 50%! La table était mise pour la dégringolade, et je crains que Thomas Mulcair - comme tous les chefs de tous les partis - ne finisse par porter le bonnet d'âne. De fait, ses jours politiques pourraient bien être comptés…

De mon point de vue, M. Mulcair a commis deux erreurs majeures dans cette campagne qui, s'ajoutant aux négligences de quatre ans dans le dossier fédéralisme asymétrique, ont contribué à le couler. Il a sous-estimé le parti-pris des médias (et de leurs sondages), et trop orienté le NPD vers le centre de l'échiquier politique. Est-ce à cause de son passé au pouvoir comme libéral, dans cet univers où tout gravite le plus loin possible des extrêmes et où les grands médias appartenant au grand capital tirent de nombreuses ficelles, je ne sais pas mais M. Mulcair n'a pas relevé les défis qui l'attendaient comme un véritable néo-démocrate… comme un Jack Layton, comme Ed Broadbent, comme Tommy Douglas.

Les vrais néo-démocrates, ceux et celles qui sont tombés dans la marmite quand ils ou elles étaient petits, naviguent à gauche du centre, et sont habitués à être boudés, quand ça compte, par les grandes pages éditoriales du pays. Après tout le NPD c'est la gauche, ce sont les socialistes, les syndicalistes, les laissés-pour-compte, les démunis… leurs intérêts ne pas ceux que défendent - sauf exception - les propriétaires des grandes chaînes médiatiques canadiennes. 

C'est dans une campagne électorale fédérale ou provinciale qu'on peut vraiment mesurer l'indépendance des salles de rédaction, et il y a nettement place à l'amélioration. Le journaliste individuel peut toujours proclamer sur la Bible (ou autre chose…) que personne ne l'a influencé dans sa rédaction mais quand on aligne l'ensemble du fonctionnement - choix des nouvelles, tri des manchettes, confection des titres, placement dans l'ordre des priorités, contenu des éditoriaux et chroniques, sélection des photos, etc. - le produit porte invariablement l'empreinte des intérêts des actionnaires.

Thomas Mulcair avait connu la sympathie des médias durant son séjour avec les libéraux. Croyait-il vraiment, avec une opinion publique disposée à écarter neuf ans de règne conservateur obscurantiste, que les médias mettraient les options néo-démocrates et libérales sur le même pied? Au Québec, le NPD aurait été toléré comme alternative au Bloc, mais guère plus. Dès que Trudeau le jeune s'est montré moins nul qu'annoncé, les puissances médiatiques ont largué Mulcair comme le marginal qu'ils auraient voulu qu'il soit dès le départ…

Le chef néo-démocrate pensait-il vraiment qu'en louvoyant vers le centre de l'échiquier politique (un autre legs de son passé libéral?), sur le plan fiscal entre autres, que les grands médias imprimés et électroniques du pays feraient la promotion enthousiaste de son option pour le 19 octobre? M. Mulcair aurait mieux fait de se camper carrément à gauche et d'incarner un changement qui l'aurait peut-être maintenu en tête des sondages. Que je jeune Trudeau puisse être vu par des millions de Canadiens comme l'incarnation du changement à l'heure actuelle en dit long sur les manquements du NPD…

Personnellement, je n'appuie pas le NPD, ayant depuis longtemps opté comme Québécois pour le Bloc et n'ayant pas vacillé dans cet appui. Mais si j'avais habité une autre province, comme anglophone ou francophone, j'aurais souhaité que Tommy Douglas et ses héritiers aient une chance de montrer au reste du pays ce que pourrait donner une gouvernance fédérale autre que celle des vieilles cliques libérales et conservatrices soumises au grand capital.

Jack et le Québec avaient ouvert une belle brèche pour l'ensemble des Canadiens. Or, lundi, j'ai l'impression que cette fenêtre se sera transformée en mur de béton à moins d'un miracle. Si j'étais Thomas Mulcair, je prendrais ce qui reste des finances de combat pour allumer des milliers de lampions à St-Jude. Sait-on jamais…










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