mardi 24 novembre 2015

L'ouverture et la transparence. Où ça?


Plus j'avance (à vitesse d'escargot…) dans mes recherches sur la procédure de nomination du PDG d'Air Canada, Calin Rovinescu, au poste de chancelier de l'Université d'Ottawa (l'Université des Franco-Ontariens, affirme son recteur Allan Rock), plus je trouve que cette affaire prend l'allure d'une enquête de détective avec des portes closes, des obstacles constants et des silences suspects partout…

Le choix du chef d'une direction réprimandée à répétition par le Commissaire fédéral aux langues officielles comme figure de proue d'une institution universitaire ayant un mandat de promotion du français a été dénoncé par l'auteur de ce blogue, mais aussi en page éditoriale du quotidien Le Droit. La sélection de M. Rovinescu a aussi été critiquée par le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO), principal promoteur du projet d'université franco-ontarienne.

Mais au-delà de ces réactions, un silence quasi total règne sur la place publique, interrompu par un chuchotement discret et occasionnel dans les milieux médiatiques. Les commentaires les plus énergiques ont été publiés dans les pages Fier d'être Franco-Ontarien de Facebook, ainsi que dans l'opinion des lecteurs du Droit. La décision de la Cour suprême dans la cause Caron-Boutet a suscité des opinions partout, mais quand il s'agit de faire la morale au monstre sacré bilingue de la Côte-de-Sable (l'Université d'Ottawa), les bouches restent trop souvent cousues…

Pourquoi? Voilà en soi un bon sujet d'enquête… Les réseaux tissés à l'intérieur et autour de l'université phare de l'Ontario français, désormais fortement anglicisée, sont très puissants. C'est comme si, en dénonçant les éléments anglicisants de l'Université, on mettait en péril ses réalisations pour les francophones… et elles sont substantielles. Il reste tout de même un constat: après la nomination de M. Rovinescu, les milieux francophones se sont abstenus de critiquer, mais ils n'ont pas non plus applaudi. Je n'ai trouvé aucun message public de félicitations à l'Université ou à M. Rovinescu provenant d'un porte-parole des milieux franco-ontariens, à l'Université même (profs, étudiants) ou à l'extérieur.

Si ces silences de l'Ontario français sont de nature à susciter des interrogations, ils sont nettement moins inquiétants, pour le moment du moins, que ceux de l'administration de l'Université d'Ottawa. Dans son communiqué du 9 novembre, annonçant le choix de Calin Rovinescu comme chancelier, l'Université écrivait: «La nomination d'un nouveau chancelier est le résultat d'un processus de sélection ouvert et transparent.» Alors au nom de cette ouverture et de cette transparence qu'on clame même dans un communiqué de presse, j'ai voulu en savoir davantage:

* en cherchant à interroger un porte-parole du comité de sélection ou du Bureau des gouverneurs de l'Université d'Ottawa sur la contradiction entre la mission francophone de l'institution et la nomination comme chancelier du chef d'une des directions les plus critiquées pour ses violations de la Loi sur les langues officielles.
* en demandant si le passé linguistique de M. Rovinescu avait été l'objet d'une discussion au sein du comité de sélection ou du Bureau des gouverneurs (ou du Sénat de l'Université).
* en tentant d'obtenir un procès-verbal des assemblées d'approbation de la candidature de M. Rovinescu (Bureau des gouverneurs et Sénat), auxquelles le communiqué de presse de l'Université fait référence.

Dès qu'on a su le motif de mes interrogations, l'ouverture et la transparence de l'Université sont disparues. Le service des relations avec les médias ne savait pas quand avait eu lieu la réunion d'approbation du Bureau des gouverneurs. On m'a laissé un message téléphonique indiquant qu'une réunion spéciale avait eu lieu le 9 novembre, le jour même de l'annonce. Sur le plan officiel, je n'ai pas réussi à en savoir plus… J'ai demandé par courriel les coordonnées du président du Bureau des gouverneurs, Robert Giroux, sans succès (voir échange de correspondance ci-dessous).

Les seuls commentaires publics de M. Giroux ont été faits en conversation avec l'animateur Michel Picard sur les ondes d'Unique FM 94,5 à Ottawa, mais comme M. Picard est aussi membre du comité de sélection et du Bureau des gouverneurs de l'Université d'Ottawa, l'échange était plus sur le ton d'une conversation amicale entre collègues. Il n'était pas question ici de pousser M. Giroux à discuter du caractère controversé de la nomination de M. Rovinescu. À ce moment-là, pour une raison que j'ignore toujours, personne n'avait évoqué le passé linguistique du PDG d'Air Canada…

Après l'éditorial du Droit, paru le vendredi 20 novembre, l'Université d'Ottawa a expédié au quotidien une réponse signée par M. Giroux, mais compte tenu des similitudes avec certains éléments des communiqués et textes officiels ou publicitaires de l'Université, il y a fort à parier que Robert Giroux n'en soit pas l'auteur… Une chose est sûre. Les autorités universitaires ne sont pas désireuses de le voir interrogé sur les aspects linguistiques de cette sélection comme chancelier…

Quant aux réunions d'approbation du Bureau des gouverneurs et du Sénat, qui ont toutes les deux eu lieu le 9 novembre, il appert qu'elles se soient déroulées sous forme d'appel-conférence et qu'il n'y ait eu aucun débat sur le choix de M. Rovinescu. Mais même de cela, il n'y a aucune certitude puisque les deux réunions se seraient déroulées à huis clos. Leur existence n'apparaît même pas sur le site Web de l'Université. Et on continue de parler d'un «processus de sélection ouvert et transparent»?

C'est dans des situations semblables qu'on voit le plus clairement l'effet des compressions dans les salles de rédaction. Il y a 40 ans, 30 ans même, Le Droit ou Radio-Canada aurait demandé à un reporter ou deux de joindre - un par un au besoin - les membres du Bureau des gouverneurs et du Sénat jusqu'à ce l'un d'entre eux crache le morceau. Ils auraient pourchassé les élites franco-ontariennes et les auraient obligé à sortir de leur mutisme. Ils auraient demandé des comptes au recteur de l'Université, interrogé le Commissaire aux langues officielles. Et à force d'insister et de publier, un débat public animé aurait suivi. Aujourd'hui, qu'en est-il?

Qu'en est-il?

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Voici mon courriel original du 16 novembre à l'Université d'Ottawa:

Chère Mme (…),

Je cherche à joindre M. Robert Giroux, président du Bureau des gouverneurs et du comité de sélection du chancelier.

J'aimerais l'interviewer au sujet du choix de M. Rovinescu.

Serait-il possible d'obtenir ses coordonnées, tout au moins une adresse courriel?

Merci d'avance,
Pierre Allard
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J'ai reçu cette réponse le lendemain: 

Bonjour M. Allard,

On vient de porter à mon attention votre courriel envoyé à M. Robert Giroux, président du Bureau des gouverneurs de l'Université d'Ottawa. Je sais également que vous avez été en contact avec notre gestionnaire des relations avec les médias, Néomie Duval (en cc), au cours des derniers jours, au sujet de la nomination récente de M. Calin Rovinescu au poste de chancelier de l'Université.

Je me permets, au nom de l'Université, de vous transmettre notre position officielle:

D'abord, je tiens à rappeler que le nouveau chancelier de l'Université d'Ottawa a été nommé à la suite d'un processus de sélection rigoureux. Les détails du processus sont disponibles sur notre site web: http://www.uottawa.ca/administration-et-gouvernance/selection-du-chancelier-chanceliere

L'Université est fière d'accueillir Calin Rovinescu, dont le parcours professionnel est remarquable. M. Rovinescu a fait preuve d'un grand leadership dans un secteur d'activité hautement concurrentiel et est reconnu partout dans le monde. Il sera un excellent ambassadeur bilingue de l'Université.

Il ne revient pas à l'Université de commenter sur les dossiers qui relèvent de la compagnie aérienne qu'il dirige.

Patrick Charette
Directeur, Communications institutionnelles | Director, Institutional Communications
Direction générale des communications | Communications Directorate
Université d'Ottawa | University of Ottawa

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Et après une conversation téléphonique substantielle avec M. Charette, j'ai répondu le même jour (17 novembre) à la première personne à qui j'avais écrit:

Chère Mme (…),

De toute évidence, on a mal compris ma requête.

Je ne veux pas que l'Université commente des dossiers qui relèvent de la compagnie que dirige M. Rovinescu.

Je veux parler à M. Giroux, comme président du Bureau des gouverneurs, au sujet du processus de sélection de l'Université.

Je réitère ma requête. Puis-je obtenir de vous les coordonnées de M. Giroux, ou devrai-je les obtenir autrement?

Merci de clarifier cette situation.


Pierre Allard

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Je n'ai jamais reçu de réponse à ce courriel du 17 novembre…
Et voilà pour l'ouverture et la transparence de l'Université d'Ottawa…

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Textes critiques et suivis publiés jusqu'à maintenant:

1) mardi 10 novembre, sur mon blogue. Université d'Ottawa: la nomination de Calin Rovinescu, une gifle pour les francophones. http://bit.ly/1HwFsrI

2) Une nomination à l'Université d'Ottawa agace les francophones, sur #ONfr. http://bit.ly/1iVryDV

3) lundi 16 novembre, sur mon blogue. C. Rovinescu, une semaine plus tard… http://bit.ly/1H57gn7

4) vendredi 20 novembre, dans Le Droit. Le paradoxe, éditorial de Pierre Jury. http://bit.ly/1lwnWKy

5) lettre aux lecteurs dans Le Droit du samedi 21 novembre.
5) lundi 23 novembre, dans La Rotonde. Nouveau chancelier de l'U. dO.: Rovinescu, est-il paré au décollage? http://bit.ly/1IbcmcD

6) Voir aussi sur Facebook les pages Fier d'être Franco-Ontarien/Fière d'être Franco-Ontarienne.

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