mardi 22 décembre 2015

L'anglicisation expliquée noir sur blanc par Statistique Canada

Avec un titre comme Pratiques linguistiques des enfants issus de familles francophones vivant dans un environnement linguistique minoritaire, Statistique Canada ne s'attendait sûrement pas à fracasser des records de lecture… De fait, la publication Web de ce texte de 52 pages ces dernières semaines est passée presque inaperçue, sauf dans les milieux qui s'intéressent de près à la francophonie hors-Québec.

C'est dommage. Vraiment dommage. Peut-être faudrait-il à l'occasion, quand le sujet en vaut la peine, confier la rédaction de tels documents à un auteur de romans policiers ou à un bon vieux journaliste d'enquête. À quelqu'un, en tout cas, qui le proposerait dans un style plus accrocheur, et qui garderait le lecteur en suspens au-delà des cinq ou six premiers paragraphes. Parce que dans cet amas de chiffres, d'analyses et de tableaux, il y a un drame.

Les statisticiens Émilie Lavoie et René Houle ont en effet documenté tout un pan de l'écroulement identitaire du Canada français dans les provinces à majorité anglophone, et certainement ouvert des pistes de réflexion pour une interrogation similaire au Québec même, où une comparaison de données semblables entre le Saguenay et Montréal, par exemple, serait sans doute révélatrice.

Les recensements fédéraux nous informent, jusqu'à un certain point, sur la persévérance et la transmission d'une langue dans ces provinces. En comparant les chiffres sur la langue maternelle, sur la langue la plus souvent parlée à la maison, sur la langue de travail, les langues officielles et ainsi de suite, on peut arriver à faire des diagnostics. Le français se porte bien ici, moins bien là…

Mais que le recensement identifie une personne comme francophone ne dit rien, en soi, sur l'usage qu'elle peut faire ou ne pas faire du français dans ses activités personnelles ou parascolaires, ou durant ses loisirs. La vie sociale et culturelle d'un enfant en situation minoritaire constitue à la longue un déterminant aussi important de l'identité que la vie familiale, l'éducation et le travail.

Les auteurs de l'étude, se fondant sur les résultats de l'Enquête sur la vitalité des minorités de langue officielle, réalisée en 2006, ont cherché à savoir lequel, de l'anglais ou du français, prédominait dans les activités sportives (organisées ou pas) des jeunes de ces collectivités, dans leur fréquentation de l'Internet, dans leurs habitudes de télévision et préférences de lecture. Cinq régions ont été notamment ciblées: le Nouveau-Brunswick, l'Est et le Nord de l'Ontario (comme une seule région), le Sud de l'Ontario, l'Atlantique sans le N.-B. et l'Ouest du pays.

Sans entrer dans les détails (vous pourrez vous-même lire l'étude à http://bit.ly/1P9xTY3), suffit de dire qu'à l'exception du Nouveau-Brunswick (et même là…), la situation est dramatique! La majorité des francophones du Nouveau-Brunswick vivent dans des coins de la province où ils sont nettement majoritaires. Cette situation se reflète dans les activités sportives et la lecture, où prédomine la langue française. Mais quand vient le temps de naviguer sur Internet ou de regarder la télé, à peine le tiers d'entre eux utilisent surtout le français…

Quant aux autres collectivités francophones, seules celles de l'Est et du Nord de l'Ontario offrent des concentrations appréciables, majoritaires même dans Prescott-Russell et dans le secteur Hearst-Kapuskasing tout en étant davantage exposées aux influences anglophones dans une province où elles forment, après tout, moins de 5% de la population. Ici, le français ne domine dans aucune des catégories étudiées, et la prédominance de l'anglais est le lot d'entre 60 et 70% des jeunes francophones dans les activités sportives, l'Internet et la télévision…

Dans le Sud ontarien, dans les provinces de l'Ouest et dans les provinces de l'Atlantique autres que le Nouveau-Brunswick, les résultats sont catastrophiques. La prochaine génération de francophones, si elle comprend toujours la langue maternelle, ne l'utilisera guère à l'extérieur de la famille. Et même là, le nombre de familles (exogames ou pas) où l'anglais devient la langue la plus utilisée ne cesse de croître. Seul rayon d'espoir, la lecture, où la langue française persiste davantage.

Chacun, chacune pourra en tirer ses conclusions, mais le tableau peint par ce document de Statistique Canada n'a rien de commun avec les discours de style «lunettes roses» au sujet d'un soi-disant dynamisme de la langue et de la culture française d'un océan à l'autre. Il montre droit devant nous un précipice et, pour ceux et celles qui se donnent la peine de lire l'étude, identifie des problèmes précis auxquels il est toujours possible de s'attaquer.

Pour ma part, j'aimerais bien qu'une telle étude soit effectuée auprès des enfants québécois. Les résultats en surprendraient sans doute plusieurs… et réussiraient peut-être enfin à faire comprendre aux dirigeants actuels que la priorité doit être mise sur l'excellence et l'usage du français, plutôt que sur l'anglais intensif…


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