lundi 29 juin 2015

Le regard des autres...

Je viens d'achever la lecture de La Souveraineté en héritage de Jacques Beauchemin, une oeuvre qui m'apparaît importante dans le cadre des débats identitaires actuels au Québec et dans les collectivités francophones ailleurs au Canada.

Or, l'image qu'on projette comme peuple constitue l'un des thèmes récurrents du livre. Donnons-nous l'impression d'être nés pour un petit pain, comme on disait jadis, ou sommes-nous devenus (ou pouvons-nous devenir) «quelque chose comme un grand peuple»? C'est sans doute parce que ce jaugeage de nos grandeurs et misères n'a jamais fait l'unanimité que nous restons fascinés par ce que des étrangers peuvent découvrir chez nous, par leurs perceptions et leurs jugements, souvent éclairants.


À la mi-juin (2015), l'Université d'Ottawa accueillait «L'université d'été sur la francophonie des Amériques», et le chroniqueur Denis Gratton du quotidien Le Droit (Ottawa, Gatineau) en a profité pour interviewer trois participantes étrangères: du Texas, de la Louisiane et du Brésil. Et chacune, en plus d'aborder la situation de la langue française dans son coin de pays, en a profité pour glisser quelques commentaires révélateurs sur la francophonie québécoise et canadienne.


1. Laura Atran-Fresco, professeure de français à l'Université de la Louisiane à Lafayette.

Née d'une mère parisienne et d'un père new-yorkais, à la fois citoyenne de France et des États-Unis, Mme Atran-Fresco a choisi de vivre chez les Cajuns en Louisiane pour «enrichir ses connaissances sur la francophonie en milieu minoritaire» et, finalement, pour y enseigner le français.

Cela, à prime abord, ne semble guère lié à la francophonie québécoise, jusqu'à ce qu'on apprenne  qu'elle avait, durant ses études, participé à un stage à l'Université de Montréal dans le cadre d'un programme d'échanges. «C'est à Montréal que je suis tombée amoureuse de la francophonie en Amérique du Nord. Donc je suis repartie pour les États-Unis, mon deuxième pays, pour découvrir les Cadiens du sud de la Louisiane.»

Cette jeune femme de 29 ans aurait pu faire carrière à Paris ou à New York, deux des pôles culturels les plus attrayants de la planète, mais c'est la métropole québécoise, toujours en ébullition, qui aura exercé sur elle l'influence déterminante. En dépit des menaces que courent ici la langue et la culture françaises, Montréal compte parmi les carrefours majeurs de la francophonie mondiale, et reste un phare pour les collectivités francophones nord-américaines.

2. Florina Matu, professeure de français à l'Université d'Austin, au Texas

Voilà décidément un cas assez unique, une Roumaine qui émigre aux États-Unis à l'âge de 25 ans et qui décroche un doctorat en lettres françaises à l'Université de l'Alabama, pour ensuite enseigner à Austin, capitale du Texas. On comprend un peu mieux le lien avec la francophonie quand on sait que la capitale texane est jumelée à la ville d'Angers, en France, mais on reste loin du bassin du Saint-Laurent.

Or, dans son entrevue au Droit, Mme Matu révèle qu'elle «prend toutes les opportunités» de parler du Québec à ses étudiants et qu'elle utilise un outil pédagogique inattendu… et bien de chez nous: les vidéos des Têtes à claques… «Il y a, par exemple, dit-elle, une vidéo des Têtes à claques sur un prof pas comme les autres. C'est l'histoire de Bégin, un élève victime du prof vieux jeu qui hurle et qui le terrorise. Donc cette petite vidéo - non seulement est-elle amusante - mais elle me sert d'introduction au vocabulaire en salle de classe.»

Qui, ici au Québec, aurait pu imaginer que les Têtes à claques pouvaient servir à l'apprentissage du français au Texas, par l'entremise d'une prof originaire de Roumanie? Cela sert tout au moins à démontrer l'originalité des liens tissés entre les îlots et collectivités francophones autour de la planète, mais aussi le rôle particulier de création et de diffusion qui incombe aux pays, comme le Québec, où la langue commune de l'ensemble de la société reste le français. 

3. Mariza Pereira Zanini, professeure de français à l'université fédérale de Pelotas, au Brésil

Originaire de Pelotas, ville de 340 000 habitants située au sud du Brésil, non loin de la frontière de l'Uruguay, Mme Zanini a appris le français à l'université puisque cette langue n'est enseignée ni au primaire, ni au secondaire. Avant d'entreprendre ses études universitaires, elle ne parlait donc que le portugais, la langue de plus de 200 millions de Brésiliens (...et 3e langue des Amériques après l'espagnol et l'anglais). Et sa visite à l'Université d'été sur la francophonie des Amériques était sa première présence en sol canadien.

Je ne sais pas si elle a eu l'occasion de traverser la rivière des Outaouais et de se rendre au Québec, mais ses commentaires sur la capitale canadienne sont révélateurs. Les premières impressions sont parfois les plus justes... Le chroniqueur du Droit lui demande durant l'entrevue si elle a été surprise du nombre de francophones qui vivent à Ottawa. Voici sa réponse: «Pour être honnête, je pensais que cette ville était beaucoup plus francophone. (Rires). J'ai été très bien reçue. Mais à l'extérieur du campus universitaire, j'ai eu l'impression que c'est en anglais que ça se passe. Les chauffeurs de taxi ne parlent que l'anglais. Je cherchais un souvenir dans le marché By mais ça ne marchait pas en français. Et puisque mon anglais est terrible, il a fallu que je me débrouille.»

Sa description de la capitale correspond à la réalité. Sauf pour l'offre de services et l'affichage officiel des gouvernements fédéral et municipal, et quelques quartiers avec des concentrations francophones, Ottawa présente une façade (et une réalité derrière la façade) largement unilingue anglaise. Et ça empire un peu à tous les ans. Un exemple frappant? Fraîchement rénové à grand coût, le mail commercial Centre Rideau, le seul du centre-ville, situé entre le campus de l'Université d'Ottawa et le Parlement fédéral, adjacent à la Basse-Ville (jadis beaucoup plus francophone), propose à sa clientèle un visage commercial tout à fait anglais. On pourrait se croire à Calgary…

Un dernier commentaire sur Mme Zanini, autre que pour noter son bon esprit d'observation… Aux Philippe Couillard et compagnie qui ne voient que l'anglais intensif pour les petits francophones du Québec, voilà une érudite de l'Amérique du Sud, de langue portugaise, entourée de pays hispanophones, qui a choisi comme langue seconde le français. Et elle n'est pas seule. Il y a là une leçon pour nous. Le bilinguisme et le plurilinguisme, pour ceux et celles qui le désirent ou en ont besoin, ne passe pas nécessairement ou uniquement par la langue de nos voisins…

vendredi 26 juin 2015

Assez… j'abandonne!

Peu importe le magasin, la plupart des client(e)s ne tentent pas de s'informer - ou s'abstiennent de se plaindre - quand ils (elles) ne trouvent pas le produit ou le service recherchés. On se contente d'acheter autre chose ou d'aller ailleurs… Pour ma part, étant sans doute un peu malcommode de nature et curieux par profession, je crois avoir le droit d'être exigeant quant au service que ces magasins nous promettent à grands renforts de publicité…

Et inévitablement, cela crée des situations parfois rocambolesques où je finis presque par regretter de ne pas avoir m'être «fermé la trappe» comme la majorité silencieuse qui m'entoure…

En fin de semaine dernière, mon épouse avait déchiré un coin de circulaire des supermarchés IGA où l'on annonçait un panier de fines herbes assorti d'un plant de tomates cerises. Un ajout parfait à nos bacs  de fleurs dans la cour arrière. Alors me voilà dimanche matin, armé de ma liste d'épiceries et de ma coupure de circulaire, prêt pour l'aventure…

Ayant complété mes achats réguliers, je me dirige vers le comptoir du fleuriste, autour duquel sont regroupés les étalages de plantes (fleuries ou pas)… Après un examen minutieux, je n'ai pas trouvé l'article annoncé dans la circulaire. Craignant d'avoir cherché avec mes yeux d'homme (expression inventée par des femmes mais qui semble avoir un certain fondement), je décide de m'informer... mais aucun préposé ne travaille dans la section…

J'intercepte un commis d'épicerie et lui demande, image du produit en main, où je peux trouver le panier de fines herbes et de tomates cerises annoncé dans la circulaire. De toute évidence, il n'en sait rien et me dirige vers «le comptoir de courtoisie». J'aime bien cette expression même si l'endroit ne comporte pas toujours de comptoir et, parfois, encore moins de courtoisie… quoiqu'à mon IGA les gens sont le plus souvent gentils et serviables…

Mais ce matin-là, le comptoir de courtoisie est aussi désert que le comptoir des plantes… À qui demander? J'aperçois une employée du IGA à l'entrée des bureaux d'administration et lui pose la question pour laquelle le premier commis n'avait pas de réponse à m'offrir. «Adressez-vous au comptoir de courtoisie», me dit-elle sans hésitation. De toute évidence, elle a autre chose à faire que de me renseigner…

«Mais il n'y a personne au comptoir de courtoisie», lui ai-je répondu. «Alors demandez à n'importe quelle caissière ou caissier, ils appelleront un préposé au comptoir de courtoisie»… C'aurait été le bon temps d'abandonner mais je ne suis pas lâcheux… Je fais le tour des caissières, toutes sont occupées et il y a des files de clients avec leurs paniers…

Ne voulant pas faire la queue juste pour obtenir une information, je m'adresse à l'une des caissières, la plus proche du comptoir de courtoisie, pour lui demander s'il est possible d'appeler quelqu'un. Mauvaise décision… et je me fais répondre (sur un ton qui n'invitait pas la réplique) d'attendre mon tour, qu'elle est occupée à servir des clients… Là là, disons que je commence à sentir une certaine exaspération…

Après tout, je ne veux pas grand chose, et j'ai un panier plein d'épiceries qui attend lui aussi de passer aux caisses. Arrêtant au passage un autre employé qui semblait aller à toute vitesse ailleurs que vers moi, je lui montre ma petite coupure de circulaire en ajoutant qu'il est la quatrième personne à qui je tente de m'informer… Lui, enfin, ne s'esquive pas…

«Hmmm… je crois que ce produit n'est pas avec les plantes, mais dans le rayon des fruits et légumes», opine-t-il. Et on part à deux vers ce rayon que j'ai déjà vu une demi-heure plus tôt. Le type serviable ne trouve pas le panier de fines herbes et de tomates cerises lui non plus, mais ne semble pas avoir l'intention d'abandonner. Il va chercher des renforts, un commis des fruits et légumes… et nous voilà trois ratissant la section…

Sur une des tablettes, on trouve un espace vide et mes deux alliés se consultent… Ils sont d'avis que le produit que je cherche devait probablement être là… quand il en restait. Et il n'en reste sans doute plus… «En aurez-vous d'autres?» Pourquoi fallait-il que je hausse la mise? «Sais pas», répondent l'un et l'autre. Qui saurait, alors? «La gérante, mais elle a "callé" malade ce matin»… Assez, j'abandonne!

Après avoir fait la file, payé mes emplettes, je m'apprête à sortir quand le numéro quatre, celui qui m'avait emmené au rayon des fruits et légumes, me rattrape. Il avait poussé l'enquête jusque dans les bureaux de l'administration, avait appris que ce produit faisait l'objet de commandes spéciales, et que ce IGA n'en avait pas commandé… Il n'y en avait donc jamais eu dans le magasin.

Faudrait peut-être essayer un autre IGA, suggère-t-il… Pensez-vous que j'avais le goût d'aller recommencer ce manège ailleurs… Pas vraiment...

Cette expérience au IGA est loin d'être unique… Ça peut arriver dans tous les grands magasins… Je raconterai une autre fois mes péripéties de ce matin au Costco local quand j'ai voulu faire remplir - sans succès - une vulgaire bonbonne de propane…

St-Jude, priez pour nous...


jeudi 25 juin 2015

Francisation de l'Université d'Ottawa: la tentative ratée de 1970...

À tous ceux et à toutes celles qui s'intéressent au projet d'université de langue française en Ontario, j'ajoute à votre très épais dossier de rapports, de réunions, de demandes, de refus et d'atermoiements cet épisode survenu en février 1970 à l'Université d'Ottawa. Plus de 45 ans se sont écoulés depuis la publication de ce texte dans le magazine Sept-Jours, auquel je collaborais à l'occasion.

Deux éléments méritent particulièrement d'être notés:

1. Le ministère des Affaires universitaires de l'Ontario, à l'époque, n'aurait pas fait obstacle à la transformation de l'Université d'Ottawa en université de langue française; et
2. Le vice-recteur académique Maurice Chagnon favorisait ouvertement la priorité du français dans l'enseignement à l'Université d'Ottawa.

Une belle occasion ratée… Voici le texte que publia alors Sept-Jours...

cliquer sur le texte pour le grossir...

Il serait bon aussi de rappeler que cette génération d'étudiants et d'étudiantes, formée dans les années 60, avait peu d'estime pour les mémoires, les comités et les engagements de principe. Avaient-ils raison ou tort dans leur stratégie? Ces gars et ces filles, Franco-Ontariens et Québécois, ont choisi la voie de l'occupation et ont abouti dans des paniers à salade… Ils ont échoué, mais ils ne méritent pas d'être oubliés...



Depuis 2012, le Regroupement étudiant franco-ontarien (REFO), avec ses partenaires, la FESFO et l'AFO, a procédé à des consultations exhaustives et présenté des demandes plus que modestes en vue de la création d'un palier universitaire francophone autonome en Ontario. Ils ont eu droit à quelque sympathie, à des peut-être de principe mais à aucun engagement ferme.

Un jour, pas trop lointain, ils devront sans doute entreprendre des actions plus vigoureuses sur le terrain. Comme à l'époque de l'école Guigues. Comme aux sciences sociales de l'Université d'Ottawa en 1968 et en 1970.  Comme dans de multiples conflits scolaires ailleurs en Ontario. Comme à Montfort.

Un jour, si on attend patiemment que les gouvernements remplissent leurs promesses, il sera trop tard…





mardi 23 juin 2015

Gens du pays...


Faute de célébrer nos victoires, nous pouvons toujours chanter nos espoirs. En attendant.

Voici un choix de chansons pour raviver l'esprit combatif en cette fête nationale 2015… 

1. La grenouille, composition de Raymond Lévesque interprétée par Pauline Julien. «Levons le poing quand il le faut…» http://bit.ly/1hSsWWo

2. Comme un bel oiseau, de Diane Dufresne (version 1990). «Ne mets plus jamais les pieds sur mon drapeau!» http://bit.ly/16XsQUE

3. Mon Joe, de Paul Piché. Rien à voir avec la St-Jean mais tout le monde la connaît… http://bit.ly/1e1jNKp

4. Les gens de mon pays, de Gilles Vigneault. «Je vous entends demain parler de liberté.» http://bit.ly/1J25K2c

et bien sûr...
5. Le plus beau voyage, de Claude Gauthier. «Je suis Québec mort ou vivant. Vivant!» http://bit.ly/1Jg9hwH


Et en rappel, comme toujours…
Gens du pays, de la St-Jean de 1975…

Bonne fête nationale!

mercredi 17 juin 2015

Les sondages, comme l'argent: de bons serviteurs, de mauvais maîtres...

Le sondage d'opinion publique, comme l'argent, est «un bon serviteur et un mauvais maître». Qu'on utilise Léger, CROP, Ipsos, Ekos ou leurs semblables pour vérifier la popularité d'un parti, d'un chef ou d'un programme politique, cela va de soi. Mais on glisse du «côté sombre» quand on se fonde sur les résultats de sondages pour choisir son chef, pour positionner ses candidats ou, pire, pour tarabiscoter des promesses électorales…

En 2013, les libéraux fédéraux se voyaient déjà au pouvoir en couronnant Justin Trudeau comme leader. Ils salivaient devant des sondages qui indiquaient une avance de 7 ou 8 points (ou plus) sur les conservateurs de Stephen Harper. Le NPD croulait aux alentours de 20%, pendant que le PLC avec Justin à la barre dépassait le seuil des 45% des intentions de vote au Québec. J'avais alors estimé, en éditorial dans Le Droit, qu'il s'agissait d'un pari risqué, parce qu'on «ne voyait que l'aura de réussite qui entoure le nom et le personnage».

Deux ans plus tard, le plus récent sondage Ekos (12 juin 2015) donne près de sept points d'avance au NPD sur les conservateurs de Stephen Harper. Le parti de Justin Trudeau occupe la troisième place pan-canadienne avec moins de 25% des intentions de vote, et se classe quatrième au Québec, où le Bloc s'est hissé en deuxième position - loin derrière le NPD cependant. D'autres sondages viendront - en quantités obscènes - et tout cela peut bien changer de semaine en semaine d'ici l'élection fédérale d'octobre. Reste que bien des libéraux doivent désormais se poser des questions…

Le Bloc québécois vient lui aussi de mettre en scène sa variante d'un couronnement par maison de sondage. Selon les textes des médias, la perception de l'état actuel de l'opinion publique est au coeur du changement surprise de chef, la semaine dernière. Un article publié dans Le Soleil précisait qu'un sondage «déterminant» (commandé par le Bloc) donnait une part de 16-17% des votes au Bloc québécois sous Mario Beaulieu, 23-24% avec Bernard Landry et 28-29% avec Gilles Duceppe. Et cela, semble-t-il, a suffi pour convaincre à peu près tout le monde…

Personne ne met en doute les qualités de chef de parti de Gilles Duceppe. Dans la bagarre électorale, il peut facilement tenir tête à Stephen Harper, Thomas Mulcair et Justin Trudeau. Et je concède qu'il est sans doute le mieux placé, en 2015, pour diriger (une dernière fois) les troupes du Bloc. Mais pendant qu'un sondage prédit la catastrophe sous Mario Beaulieu, il faudrait peut-être rappeler qu'au seul sondage qui comptait vraiment en 2011, celui du 2 mai, Gilles Duceppe était aux commandes quand le parti s'est effondré devant le sympathique homme à la canne du NPD.

Sans doute n'aurait-il pu rien faire pour contrer la marée orange. Une telle vague emporte tout sur son passage. Mais Gilles Duceppe n'avait pas la mine d'un gagnant après le scrutin, et sa démission n'a surpris personne. Avec seulement quatre députés, bien des observateurs étaient prêts à enterrer le Bloc, qui a poursuivi sa glissade dans l'opinion publique après l'élection. L'arrivée d'un gouvernement péquiste minoritaire en septembre 2012 aurait pu contribuer à raviver la ferveur pour le Bloc à Ottawa, mais la défaite de l'équipe Marois en avril 2014 après un règne pour le moins tumultueux semblait un clou de plus dans le cercueil…

Puis, en juin 2014, quelque 11 000 des 19 000 membres du Bloc participent au choix d'un nouveau chef, et 6000 d'entre eux donnent leur appui à Mario Beaulieu. Un choix surprise. Vraiment pas un choix «sondage». Alors que les appuis à la souveraineté vivotent et que l'éventualité d'un référendum gagnant n'apparaît même plus sur le radar, voici qu'entre en scène un chef qui dénonce le «défaitisme» et qui veut que «le Bloc québécois soit le moteur de la relance du mouvement indépendantiste».

Au lieu d'envelopper l'option indépendantiste de «peut-être» et de «si» et de «on verra» pour ne pas trop agacer l'opinion publique des sondeurs, il la place à l'avant-scène, en vitrine, comme principal cheval de bataille. «Le temps de rêver à la liberté et de croire en l'avenir est revenu», dit-il. Le chef du Bloc aurait sans doute pu se montrer moins abrasif en commentant ses prédécesseurs, mais ces mêmes prédécesseurs auraient pu mieux encaisser les coups. Après tout, la politique est un sport extrême, et le choc des idées devrait être accepté comme partie intégrante du train-train quotidien dans un mouvement qui regroupe autour de la souveraineté toute la gamme des tendances gauche-droite.

Quoiqu'il en soit, Mario Beaulieu a réussi - sans l'aide des sondages - à amasser l'appui de 6000 partisans. Et il a entrepris de sillonner le Québec, reprenant un travail de mobilisation d'une base sans doute démotivée depuis l'élection. Un à un. Cuisine par cuisine. Assemblée par assemblée. Page Facebook par page Facebook. Sans trop d'aide des vedettes. Peut-être n'avait-il pas eu le temps de brasser suffisamment la cage avant le scrutin fédéral, mais il me semble que n'eut été de lui, les dernières braises auraient pu s'éteindre au sein du Bloc. Mario Beaulieu a gardé le Bloc en vie, lui ramenant par surcroit l'appui de centaines de militants parmi les plus engagés.

Avec l'élection de PKP comme chef du PQ en 2015, lui aussi partisan de placer l'objectif d'indépendance à l'avant-scène du discours électoral, Mario Beaulieu semblait tout à coup bien moins isolé au sein de l'élite souverainiste. Et on s'aperçoit que parler davantage d'indépendance ne fait pas culbuter l'option dans les sondages. Elle se maintient et montre parfois des signes de progression. Avec la mort de Jacques Parizeau et le discours sur «la fin des exils» de Jean-Martin Aussant, voilà soudainement le climat favorable au resserrement des troupes. Une certaine urgence s'installe.

Cela aurait dû suffire à ramener les Gilles Duceppe et Mario Beaulieu à renouer. Mais non, il aura fallu qu'une maison de sondage confirme une rentabilité électorale appréhendée pour que les choses bougent. En attendant ce jour où notre petite nation se donnera un pays à son image, la présence du Bloc québécois reste essentielle à Ottawa, si ce n'est que pour empêcher les grands partis fédéraux d'utiliser des élus de chez nous pour bloquer nos aspirations nationales. Le NPD de Tom Mulcair a dénoncé avec virulence la charte québécoise de laïcité et propose maintenant d'envahir des compétences provinciales avec l'aide de ses 50 et quelque députés québécois… Les libéraux et les conservateurs ont fait la même chose pendant des décennies…

Le Bloc québécois ne manque pas d'arguments de fond pour solliciter l'appui des électeurs et électrices du Québec. Qu'il les présente franchement, ouvertement, et fasse confiance au jugement de l'électorat plus qu'aux conseils des sondeurs. Gilles Duceppe et Mario Beaulieu et leurs alliés savent déjà qu'ils auront contre eux les puissantes machines partisanes de Stephen Harper, Thomas Mulcair et Justin Trudeau, et qu'ils ne peuvent compter que sur une sympathie marginale dans de grands médias qui leur seront largement opposés. Un message clair, intègre, présenté avec force, vaudra cent fois plus qu'un message trafiqué par des experts en marketing pour gagner quelques points d'opinion publique...

«Entre la résignation tranquille et sa liberté, cette brave nation choisira la liberté», avait prédit André Boisclair dans son discours d'adieu. Mario Beaulieu avait fait ce pari en faisant fi des sondages. Il semble avoir semé en terre fertile. 

dimanche 14 juin 2015

Pas d'argent pour une université franco-ontarienne? Quoi?

Qu'en 2015, le gouvernement ontarien n'ait toujours pas mis sur pied d'université de langue française constitue déjà une très grave injustice. Mais d'affirmer par l'entremise de sa ministre francophone Madeleine Meilleur, que telle université verra le jour seulement quand le budget le permettra? Ça, c'est proprement scandaleux!

L'Ontario a accumulé une énorme dette, plus que centenaire, envers les Franco-Ontariens. Une dette que la province est loin, très loin d'avoir remboursée. Une dette de justice, mais aussi une dette de $$$… Un retour sur le dernier siècle, depuis le Règlement 17, permet à quiconque veut fouiller de constater que les gouvernements Whitney et ses successeurs, jusqu'à l'époque contemporaine, ont privé d'argent les écoles de langue française... après les avoir carrément abolies pendant une quinzaine d'années (1912-1927).

Encore au début des années 1960, dans son livre Le scandale des écoles séparées en Ontario, Joseph Costisella avait fait état de la discrimination fiscale dont étaient victimes les écoles séparées, y compris celles de langue française. Sous-financement, répartition inéquitable des impôts des entreprises, taux d'imposition plus élevés pour de nombreuses entreprises francophones… combien de deniers publics ontariens que la justice aurait destinés aux écoles de langue française ont-ils été détournés vers les écoles anglaises… ou tout simplement ailleurs…

Et combien de millions de dollars, voire de milliards, Queen's Park a-t-il économisés aux dépens des Franco-Ontariens en attendant 100 ans pour leur octroyer un réseau adéquat d'écoles primaires et secondaires, et quelques décennies de plus pour quelques collèges communautaires? Et en les privant toujours d'un réseau universitaire de langue française? Combien de centaines de milliers d'Ontariens d'ascendance française sont-ils anglicisés aujourd'hui parce que systématiquement, les gouvernements ontariens leur ont refusé leurs droits scolaires et empoché l'argent?

Et on vient leur dire aujourd'hui, par la bouche d'une francophone par surcroit, qu'«il y aura une université franco-ontarienne quand les finances de l'Ontario le permettront?» Non mais quel genre de valeurs ce gouvernement (comme ceux qui l'ont précédé) véhicule-t-il? Il peut ainsi faire table rase du passé et mettre l'université de langue française tel un enjeu comme les autres, un enjeu qui - aux dires de Mme Meilleur - n'était même pas prioritaire en 2013 quand le Regroupement étudiant franco-ontarien avait déjà entrepris de mobiliser ses effectifs…

Cette université, les Franco-Ontariens y ont droit. Ce n'est pas qu'un vulgaire privilège offert en prime à la suite d'un théorique équilibre budgétaire en 2018… et c'est aussi bien plus qu'un petit campus ouvert éventuellement dans le sud-ouest ontarien (ce qui semble déjà devoir être une grosse concession du gouvernement ontarien…). L'université franco-ontarienne doit avoir son siège social là où sont la masse des étudiants francophones… et ça c'est à Ottawa, ainsi qu'à Sudbury.

Bien sûr ça va coûter cher. Allez voir ce que coûtent au trésor québécois les trois universités de langue anglaise, grassement soutenues depuis la Confédération! Et il faudrait attendre un budget équilibré en Ontario? Je n'en reviens tout simplement pas, et je ne comprends pas que les organismes franco-ontariens ne portent pas la lutte sur ce plan, au lieu de voir dans les «peut-être», les «si» et les «éventuellement» de Queen's Park des marques d'ouverture et des pas dans la bonne direction.

Toronto peut poser un geste tout de suite sans trop dépenser. Que Queen's Park donne son accord immédiat au principe de cette université et mandate sur-le-champ un groupe d'experts (il en a des tonnes à sa disposition) pour voir comment elle peut être créée sans délai (pas d'ici 2025…), en englobant dans sa juridiction tous les programmes de langue française existants, y compris ceux d'Ottawa, de Sudbury, de Hearst et de Toronto…

De quoi je me mêle, direz-vous? J'habite à Gatineau. Mais j'étais Franco-Ontarien, je le reste dans mes tripes, et je faisais partie d'un groupe qui a cherché sans succès, de 1968 à 1970, à franciser l'Université d'Ottawa alors que les francophones y étaient majoritaires. Je cite ici la conclusion du mémoire présenté en février 1970 par l'Assemblée provinciale des mouvements de jeunes de l'Ontario français (APMJOF), position appuyée dans un second mémoire par l'Association canadienne-française de l'Ontario: «Nous croyons que seul l'unilinguisme français à l'Université d'Ottawa rend justice aux francophones d'Ontario.»

Quarante-cinq années plus tard, il n'y a toujours aucune université autonome de langue française en Ontario et les francophones ne forment plus que 30% du corps étudiant à l'Université d'Ottawa… Mettez cette injustice là en dollars, ajoutez-la à toutes les autres depuis 1867, et dites-moi ce que ça donne… Sans doute mieux qu'un «peut-être si jamais on équilibre notre budget»…

Misère!








vendredi 12 juin 2015

Un silence de plus dans un océan de silences

Photo Google Street View via Radio-Canada

La nouvelle n'a pas fait de bruit. Un silence de plus dans un océan de silences. Ni Le Droit, ni Le Devoir, ni le Journal de Montréal, ni La Presse n'en ont parlé. Ni les bulletins nationaux de Radio-Canada*, et encore moins ceux de TVA. Heureusement, pour la postérité, il y avait toujours le petit journal Le rempart, de Windsor (Ontario). C'est là que je l'ai appris…

De quoi s'agit-il au juste? De la fermeture, annoncée la semaine dernière, du centre communautaire francophone La Girouette, à Chatham-Kent, dans le sud-ouest ontarien. Et pourquoi cela pourrait-il nous intéresser, direz-vous? Je répondrai ceci. Dans le combat multi-centenaire que nous menons pour assurer la pérennité de la francophonie nord-américaine, quand un avant-poste vacille et tombe - même s'il est tout petit, et éloigné - tous et toutes sont concernés. Même au Québec. Surtout au Québec.

Je ne suis jamais allé à Chatham-Kent, une agglomération de plus de 100 000 habitants qui englobe un ancien village francophone, Pain Court, située entre les villes de London et Windsor. Ce que je sais, cependant, c'est que ce coin de l'Ontario, y compris la région de Détroit, aux États-Unis, a été colonisé dès l'époque du régime français, vers 1700. La présence francophone remonte donc à plus de 300 ans!

Selon le site Web de la localité, plus de 20% des citoyens sont d'ascendance française, mais à peine 3000 d'entre eux déclarent toujours le français comme langue maternelle selon le recensement fédéral de 2011. Et seulement 640 de ces francophones parlent le plus souvent le français à la maison. Pourtant, en dépit de taux d'assimilation dramatiques, ce qui restait de la communauté francophone avait continué d'affirmer sa présence.

Il y avait notamment ce centre communautaire, La Girouette, situé au centre-ville de Chatham-Kent. Cet organisme a pour mission officielle «de promouvoir la langue, la culture et l'héritage francophone dans la région (…) par le bais d'activités sociales, culturelles, éducatives et sportives». La survie de La Girouette était déjà menacée en 2013, mais un partenariat avec le conseil scolaire Providence, s'ajoutant aux autres soutiens, avait sauvé la mise.

Cette fois, en juin 2015, il ne s'agit plus de sous, mais d'un essoufflement général. «Les administrateurs et bénévoles de La Girouette sont épuisés et ne voient pas de changement à l'horizon», précise l'article du Rempart. En dépit d'une programmation de qualité, le président de la Girouette, Guy Deslauriers, constate un manque d'engagement des membres de la communauté. «Sans relève et sans une participation conséquente de la communauté, nous allons être confrontés, année après année, à la même situation», dit-il.

D'où la décision de cesser les activités et de fermer le centre communautaire. Je vous laisse intégralement la fin du texte comme matière à réflexion, pour ce jour où ce qui se produit à Chatham-Kent finira par arriver plus près de chez nous: «L'équipe (de La Girouette a cependant mis sur pied une programmation automnale intéressante et a même prévu des montants pour un dernier spectacle. D'ici là, la Saint-Jean sera célébrée à La Girouette, le 24 juin, comme le veut la tradition, avec le sentiment d'avoir tout fait pour changer la situation et avoir consacré le temps et les efforts nécessaires avant d'arriver à la décision de fermer.»

Le combat tenace de ces francophones isolés de Chatham-Kent ne doit pas s'effacer de nos mémoires sans qu'on lui rende l'hommage dû aux vaillants. Comment ne pas s'empourprer, au moment où ils doivent baisser les armes, devant ces francophones majoritaires de l'Est ontarien qui veulent mettre leurs enfants de quatre ans à l'apprentissage de l'anglais, et devant cet engouement suicidaire de la majorité des Québécois pour les programmes d'anglais intensif au primaire?

Et permettez-moi de ressortir une fois de plus cette citation d'Omer Latour, parlant de l'assimilation de ses compatriotes de Cornwall, qui pourrait tout aussi bien s'appliquer aux braves de Chatham-Kent: «Vous me demandez pourquoi ils sont morts? Je vous demande comment ils ont fait pour résister si longtemps».

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* mentionné dans un texte plus général du réseau ontarien de Radio-Canada sur le financement des organismes communautaires, aujourd'hui, 12 juin. http://bit.ly/1INLrYZ

Lien à l'article dans le journal Le remparthttp://bit.ly/1Qrnbjm

mercredi 10 juin 2015

L'anglais en maternelle? Demi-tour!

J'étais en train de lire au sujet de l'opinion publique anglo-ontarienne durant la crise du Règlement 17, en 1912, quand j'ai été informé par Facebook de la décision du CSDCEO (Conseil scolaire de district catholique de l'Est ontarien) d'enseigner l'anglais aux élèves francophones à partir de la maternelle dans ses écoles de Vankleek Hill, L'Orignal, Hawkesbury et Saint-Eugène. Je n'ai pas de mot juste pour décrire ma réaction. Mettez des parts égales de colère et de tristesse dans un contenant et brassez-le vigoureusement… ouais, c'est à peu près ça.

Les conseillers scolaires qui ont pris cette décision, et les parents qui leur ont demandé de la prendre, auraient avantage à lire le livre Le siècle du Règlement 17, une oeuvre collective sous la direction des professeurs Michel Bock et François Charbonneau, de l'Université d'Ottawa, sortie en librairie cette semaine. Ça changerait leur humeur, et peut-être auraient-ils le goût - connaissant mieux l'histoire des écoles franco-ontariennes - de ne pas répéter «les erreurs du passé», comme le disait fort bien hier Tina Desabrais, présidente de l'ACFO de Prescott-Russell.

Après s'être retrempés dans les persécutions maintenant centenaires dont avaient été victimes leurs grands-parents et arrière-grands-parents, ces mêmes conseillers scolaires et citoyens pourraient se taper quelques pages de statistiques du recensement fédéral de 2011 - notamment celles qui permettent de brosser un portrait linguistique précis des communautés dans lesquelles ils veulent atteler leurs tout-petits à l'apprentissage d'une langue seconde qu'ils ne connaîtront que trop bien.

Ils s'apercevraient vite qu'il n'y a aucun problème de bilinguisme chez les francophones de l'Est ontarien, même dans les municipalités et localités où ils forment une majorité écrasante. La grande majorité des Franco-Ontariens de Prescott-Russell sont bilingues. Trop, même. Plusieurs s'anglicisent. Ce sont plutôt les anglophones qui auraient besoin de cours de français, parce que plus de la moitié d'entre eux restent unilingues anglais même dans des milieux majoritairement francophones. Ils peuvent passer toute une vie dans une ville comme Hawkesbury (et le font) sans être obligés d'apprendre le français!

De fait, dans les quatre localités où le Conseil veut implanter le programme très, très précoce d'anglais, les transferts linguistiques favorisent l'anglais même quand la minorité anglophone forme moins de 20% de la population. Il y a déjà assimilation - pas trop inquiétante pour le moment mais quand même - à Hawkesbury et à L'Orignal, les deux municipalités les plus francophones du groupe. Une comparaison des chiffres de la langue maternelle et de la langue d'usage (la langue la plus souvent utilisée à la maison) permet d'y voir clair très vite.

Prenons Hawkesbury, la seule ville ontarienne de 10 000 habitants et plus à majorité francophone. Environ 15% de la population est de langue maternelle anglaise, mais cette proportion grimpe à plus de 18% en utilisant le critère de l'anglais langue d'usage. Cela signifie qui quelques centaines de francophones de Hawkesbury parlent le plus souvent l'anglais à la maison. Comparez avec la majorité francophone: 79% de langue maternelle française, 77% selon la langue d'usage… Une perte, légère mais réelle… Et environ 60% des anglophones y sont unilingues…

La situation à L'Orignal, une localité d'environ 2000 habitants adjacente à Hawkesbury, est similaire, avec de légères pertes pour la langue française, et de légers gains pour l'anglais. C'est ici cependant que les anglophones sont les plus bilingues (55%), quoique moins que les francophones (plus de 75%).

C'est plus dramatique à Vankleek Hill, un gros village de près de 2000 habitants au sud de Hawkesbury. Les anglophones y sont en majorité (58% de langue maternelle anglaise), contre 37% de francophones. Selon le recensement de 2011, le taux d'assimilation des francophones dépasse déjà le seuil des 15%. Les chiffres de la langue d'usage en témoignent: 67,5% pour l'anglais, seulement 30,6% pour le français. C'est moins désolant qu'ailleurs en Ontario, mais le taux massif de bilinguisme chez les francophones (plus de 85%) indique que l'érosion du français s'accélère…

Quant à Saint-Eugène, le recensement de 2011 n'a pas de données pour cette localité seule. Il faut prendre l'ensemble du canton de Hawkesbury-Est, où la majorité francophone de 59% rétrécit à 56% quand on la mesure selon la langue d'usage. En utilisant la même méthode, la minorité anglophone passe de 34% (langue maternelle) à 40% (langue d'usage). Et encore là, ce sont les anglophones qui sont le plus souvent unilingues…

Il y avait hier un débat fort animé sur la page Facebook Fier d'être Franco-Ontarien/Fière d'être Franco-Ontarienne (http://on.fb.me/1FK7o4U), justement sur cette question de l'anglais à la maternelle au CSDCEO. Confrontés à l'histoire des écoles françaises en Ontario et aux données crues du recensement fédéral, sans oublier les nombreuses études sur les transferts linguistiques et identitaires en Ontario français, les conseillers scolaires doivent absolument reprendre la discussion et étudier plus à fond les conséquences.

Les comtés unis de Prescott-Russell sont l'une des rares régions de l'Ontario où l'on pourrait toujours présenter un visage franco-ontarien dans la rue, dans l'affichage public et commercial, dans les réunions et assemblées publiques, et même dans la plupart des milieux de travail. Si les conseillers scolaires francophones ont à coeur leur langue et leur identité, la direction à prendre n'est pas d'accentuer l'anglais. Vivement, demi-tour!








lundi 8 juin 2015

«Nous voulions une intervention en faveur de la minorité (sic) anglophone du Pontiac.»

Chassez le naturel, il revient au galop…

Dans son différend avec l'Office québécois de la langue française (OQLF), le Pontiac Journal du Pontiac s'érige depuis quelques mois en défenseur du bilinguisme, en promoteur de l'harmonie franco-anglo, et bien sûr en victime de gangsters plus ou moins fascisants et séparatistes de Montréal…

Les Anglo-Pontissois utilisent volontiers l'argumentaire du bilinguisme et de «la bonne entente» pour défendre leur domination historique sur les francophones du Haut-Outaouais. Mais parfois le jupon dépasse. Ainsi dans les pages du journal de la semaine dernière, l'éditeur Fred Ryan et la co-éditrice Lily Ryan s'en prennent au député - pourtant libéral et bien bilingue - André Fortin, qui semble avoir eu le réflexe salutaire de vouloir mieux s'informer de la situation avant d'émettre un commentaire de fond.

Hésiter de défendre les yeux fermés des adversaires de l'OQLF dans le Pontiac, c'est toujours risqué. Aussi Mme Ryan lui lance-t-elle sans nuances (original en anglais, mais la traduction est du Pontiac Journal du Pontiac): «Ceci n'est pas ce que nous attendions de notre député. Nous voulions une intervention du gouvernement libéral en faveur de la minorité anglophone du Pontiac.» Voilà donc pour qui ce journal lutte dans ses habits bilingues. Il ne demande surtout pas au député de protéger la minorité francophone du Pontiac (de fait ce sont les anglophones qui forment ici la majorité!).

Encore une fois, le débat soulevé par le conflit entre l'OQLF et le bimensuel du Pontiac n'est pas très clair, le tout tournant autour de l'interprétation des articles 58 et 59 de la Loi 101 sur le placement de publicités dans des journaux publiés en tout ou en partie dans une langue autre que le français. Mais peut-on reprocher à l'Office de vouloir protéger la langue française dans une région qui en a bien besoin et où le bilinguisme a toujours été synonyme d'assimilation des francophones?

Le Pontiac Journal du Pontiac n'a pas publié la lettre de son député à l'Assemblée nationale, mais il semble, si on se fie au texte de l'éditeur Fred Ryan, que M. Fortin ait voulu «faire retomber la faute sur les annonceurs (du journal) et particulièrement ceux d'Ontario (il y en a plusieurs) qui préfèrent les annonces en anglais seulement». L'argent étant le nerf de la guerre dans un journal régional, j'imagine facilement la réaction des propriétaires…

La réponse de Mme Ryan n'a pas tardé: «Cela revient à dire à nos annonceurs (unilingues anglais) que nous n'allons plus publier leurs annonces. C'est une suggestion inconcevable et nous disons à notre député que nous voyons ici l'abdication à son désir de nous venir en aide.»

Et pour bien marquer l'ordre d'importance des deux langues pour ce journal, l'éditorial indique: «La solution la plus simple serait de supprimer le français pour satisfaire l'agence gouvernementale. Elle (Mme Ryan) a ajouté que le Journal s'opposerait à cette suggestion car il a la vocation de servir toute la communauté dans sa spécificité bilingue».

Alors comprenons bien. Si une langue doit disparaître du journal, ce sera la moins importante pour le journal: le français. Mais la direction du bimensuel s'oppose à la suppression du contenu français à cause de la «spécificité bilingue» du Pontiac. Qu'ils sont gentils… Mais parlons-en de cette spécificité bilingue de la région: plus de 40% des Pontissois sont unilingues anglais (c.-à.-d. près de 75% des anglophones de la région…) et comptant les francophones bilingues (80% et plus), près de 95% de la population du Pontiac comprend l'anglais… On voit vite laquelle des deux langues est la plus utile…

Quant aux mérites d'un journal bilingue, tel qu'on le voit dans le Pontiac, le débat reste ouvert. Une chose m'apparaît sûre, cependant. Si les francophones du Pontiac n'avaient pas été si systématiquement persécutés et assimilés de force pendant le premier siècle de la Confédération, les Franco-Pontissois seraient bien plus nombreux (la majorité?), et auraient une vitalité suffisante pour supporter un journal régional de langue française bien à eux.

Alors quand des héritiers de nos anciens Rhodésiens (l'expression de René Lévesque) viennent nous dire qu'ils nous aiment et qu'ils veulent vivre en harmonie à condition que l'anglais domine, je me méfie. Mes expériences de jeunesse comme militant franco-ontarien m'ont au moins appris ça…

Et enfin une note à l'intention de l'OQLF. Je sais que des inspecteurs de l'Office ont été chassés de Shawville, dans le Pontiac, il y a une quinzaine d'années, mais il serait peut-être temps que nos défenseurs officiels de la Loi 101 s'achètent des costumes blindés, empruntent quelques chars d'assaut pour se protéger et se rendent à nouveau en territoire pontissois (et vraiment dans tous les coins du Pontiac) pour constater sur place la situation alarmante des francophones…

En plus de se renseigner, peut-être les éclaireurs de l'OQLF réussiraient-ils à trouver des solutions novatrices au litige qui les oppose au journal local...


(NB - pour ceux et celles qui ne le sauraient toujours pas, le Pontiac, c'est au Québec.)



mercredi 3 juin 2015

Tocqueville avait tout compris dès 1831...

Le grand philosophe et sociologue français Alexis de Tocqueville a visité les États-Unis en 1831 et 1832. Ses études sur la démocratie américaine sont encore aujourd'hui au menu de base des étudiants et étudiantes de science politique en Amérique du Nord. Le hasard voulut cependant qu'il bifurque vers la vallée du Saint-Laurent pour y découvrir un peuple à la fois français et nord-américain. Ses observations ont été regroupées dans un volume intitulé Tocqueville au Bas-Canada, publié aux Éditions du Jour en 1973.

Ce livre est peu connu, mais mérite bien d'être relu tellement il reste d'actualité en ce début du 21e siècle. Les parties en présence ont évolué depuis l'été de 1831, mais le fond des différends entre nos deux solitudes et les débats sur l'avenir de la nation québécoise et de la langue française prenaient déjà forme à l'époque. Et un observateur comme Tocqueville a vite compris les enjeux. Voici quelques extraits qui pourraient vous donner le goût de retrouver ce livre (disponible en ligne et en librairie - voir liens ci-dessous) et d'en faire une lecture attentive.

1. Extrait d'une lettre du 26 novembre 1831:

«Les Français d'Amérique avaient en eux tout ce qu'il fallait pour faire un grand peuple. Ils forment encore le plus beau rejeton de la famille européenne dans le nouveau monde. Mais, accablés par le nombre, ils devaient finir par succomber. Leur abandon est une des plus grandes ignominies de l'ignominieux règne de Louis XV.

«Je viens de voir dans le Canada un million de Français braves, intelligents, faits pour former un jour une grande nation française en Amérique, qui vivent en quelque sorte en étrangers dans leur pays. Le peuple conquérant tient le commerce, les emplois, la richesse, le pouvoir. Il forme les hautes classes et domine la société entière. Le peuple conquis, partout où il n'a pas l'immense supériorité numérique, perd peu à peu ses meurs, sa langue, son caractère national.»

2. Observations dans son carnet de voyage, 29 août 1831

«Tout annonce que le réveil de ce peuple approche. Mais si dans cet effort les classes intermédiaires et supérieures abandonnent les basses classes et se laissent entraîner dans le mouvement anglais, la race française est perdue en Amérique. Et ce serait en vérité dommage car il y a ici tous les éléments d'un grand peuple.

«Les Français d'Amérique sont aux Français de France ce que les Américains sont aux Anglais. Ils ont conservé la plus grande partie des traits originaux du caractère national, et l'ont mêlé avec plus de moralité et de simplicité. Ils sont débarrassés d'une foule de préjugés et de faux points de départ qui font  et feront peut-être toujours les misères de l'Europe. En un mot, ils ont tout ce qu'il faudrait pour créer un grand souvenir de la France dans le Nouveau monde.

«Mais parviendront-ils jamais à reconquérir complètement leur nationalité? C'est ce qui est probable sans malheureusement être assuré. Un homme de génie qui comprendrait, sentirait et serait capable de développer les passions nationales du peuple aurait ici un rôle admirable à jouer.»

3. Lettre de 1838, après la rébellion au Bas-Canada

«Méfiez-vous de ce que les Anglais établis au Canada et les Américains des États-Unis vous disent de la population canadienne (québécoise). Ils ne la voient qu'à travers d'incroyables préjugés et ils perdront le gouvernement qui ne verra lui-même que par leurs yeux».

4. Observations dans son carnet de voyage, août 1831

«Les blancs de France, disent les Indiens du Canada, sont aussi bon chasseurs que nous. Comme nous, ils méprisent les commodités de la vie et bravent les terreurs de la mort. Dieu les avait créés pour habiter la cabane du sauvage et vivre dans le désert.» (désert signifie les régions sauvages du centre et de l'ouest nord-américain, non colonisées par des Européens au début des 1830).

«Antipathie des Indiens pour la langue anglaise, leur goût pour les Français. Dans les déserts les plus éloignés, les Indiens saluent les Européens en disant: Bonjour!»

Et ce commentaire de Canadiens (francophones) rencontrés près des Grands Lacs: «Ils (les Indiens) ne consentent à parler que le français. Dans les déserts les plus éloignés, la qualité de Français est la meilleure recommandation auprès d'eux. Ils se rappellent toujours nos bons traitements lorsque nous étions maîtres du Canada. D'ailleurs beaucoup d'entre nous leur sont alliés et vivent presque comme eux.»

5. Et enfin, cette note qui n'a rien à voir avec le contexte politique… (juillet 1831)

«L'animal qu'on appelle mosquito en anglais et maringouin en français canadien est un petit insecte semblable en tout au cousin de France dont il diffère seulement par la grosseur. Il est généralement plus grand et sa trompe est si forte et si acérée que les étoffes de laine peuvent seules garantir de ses piqûres. Ces petits moucherons sont le fléau des solitudes de l'Amérique. Leur présence suffirait pour rendre un long séjour insupportable!»

Lien au livre en ligne:
Tocqueville au Bas-Canada
http://bit.ly/1ALfRbv

La plus récente réédition imprimée
Regards sur le Bas-Canada, d'Alexis de Tocqueville
Éditions Typo
http://bit.ly/1BL5bV7



mardi 2 juin 2015

Horreur… une Gatinoise à l'ACFO...

Depuis le samedi 30 mai, le quotidien Le Droit a consacré trois textes substantiels - un grand interview, un reportage et un éditorial! - à la nomination de la nouvelle directrice générale de l'Association des communautés francophones d'Ottawa (ACFO). Pourquoi? Parce qu'Isabelle N. Miron demeure à Gatineau. Elle est donc Québécoise et, pire, son conjoint est indépendantiste. Pire encore, elle pourrait l'être aussi et le chroniqueur du Droit, Denis Gratton, a tout fait pour le lui faire avouer…

Tant d'espace, tant d'insistance, tant de réflexion, la question doit être grave… pour quelqu'un en tout cas… Alors profitons-en pour réfléchir tout haut et voir où cela nous mène… Ça risque d'être décousu (je suis expert en la matière) mais je tâcherai de rattacher les bouts à la fin.

Dimanche (31 mai), je me suis rendu au Congrès des sciences humaines à l'Université d'Ottawa pour entendre une conférence de Joseph-Yvon Thériault intitulée: «Qu'est devenue l'Amérique française?» La première question de la salle, après l'exposé, a été posée en anglais, et le type voulait savoir comment on définissait un francophone. Est-ce une personne de langue maternelle française, ou peut-on y inclure un anglophone issu de l'immersion française, etc...

Personnellement, j'ai trouvé la réponse de M. Thériault vague et évasive, et avoir été cet anglophone, j'aurais été insatisfait. Si ce dernier m'avait posé la même question, j'aurais sans hésitation répondu que pour moi, toute personne qui peut converser en français, le lire et l'écrire doit être comptée comme un ou une francophone. Cela ne signifie pas qu'on ne puisse pas ensuite élaborer des catégories…

J'estime qu'on peut regrouper les francophones en trois grandes catégories: 1) ceux et celles qui connaissent le français, sans plus; 2) ceux et celles qui connaissent le français et l'utilisent (au travail, en lisant, sur Internet, au cinéma, à la télé, à la maison, entre amis, etc…); et enfin, ceux et celles qui connaissent le français, l'utilisent et et s'y associent sur le plan identitaire. Distinguer entre ces catégories permet de mieux comprendre la dynamique linguistique d'une société.

Je ne sais pas si c'était en 2013 (probablement, il y avait un lien avec le centenaire du Droit), j'étais encore une fois à l'Université d'Ottawa, pour un colloque sur les médias francophones hors-Québec auquel participait, entre autres, le Commissaire aux langues officielles Graham Fraser. Or, une dirigeante d'origine européenne de l'hebdo franco-manitobain centenaire La liberté avait mentionné l'existence d'une certaine résistance à la présence de rédacteurs francophones étrangers dans le bassin de la Rivière Rouge…

Et elle avait indiqué tout bonnement qu'il était difficile de recruter des Franco-Manitobains intéressés ou capables de remplir les fonctions rédactionnelles. Dans un contexte d'assimilation, le milieu sociétal est anglo-dominant. Au Manitoba, le bassin de francophones aptes et désireux de joindre l'équipe d'un hebdo de langue française rétrécit de décennie en décennie. Alors on recrute parfois à l'extérieur. La Société Radio-Canada s'est retrouvée en même situation dans les régions les plus anglophones du pays.

Revenons à l'Ontario français, et en particulier à Ottawa où, sur plus de 100 000 francophones, on peut certainement espérer trouver des candidats et candidates qualifiés pour la direction générale de l'ACFO. Faut-il pour autant exclure les francophones de l'autre rive, plus nombreux, dans une région où le va-et-vient démographique est intense depuis très longtemps. Des milliers de Québécois de Gatineau et des environs sont nés en Ontario, et des milliers d'Ottaviens francophones sont originaires du Québec.

Les conséquences identitaires sont multiples et variées. J'ai passé les 30 premières années de ma vie à Ottawa, ma ville natale, et je reste Franco-Ontarien dans mes tripes. Mais depuis 1975 j'habite au Québec, qui est devenu ma patrie d'adoption. Cela m'empêche-t-il de vouloir militer pour les causes franco-ontariennes? Pas du tout. Je ne cherche pas ici à minimiser l'importance du lieu de résidence, mais il ne faut pas non plus l'exagérer.

Dans Le Droit de ce matin, un texte revient sur le passage turbulent de David Levine, souverainiste québécois (juif et anglophone par surcroit) nommé en 1998 à la direction du méga Hôpital d'Ottawa. Sa présence avait suscité toute une tempête et l'actuel maire d'Ottawa, Jim Watson, avait réclamé sa démission. Un souverainiste québécois dans un milieu anglo-dominant, c'est encore pire que chez les Franco-Ontariens…

De retour au point de départ. L'ACFO a besoin d'un ou d'une francophone de la troisième catégorie - ceux et celles qui connaissent bien le français, qui l'utilisent et qui s'y identifient. Elle a besoin, en plus, d'une personne avec une «volonté militante», prête à s'engager dans des situations parfois conflictuelles, dans un contexte souvent difficile. Ce type de candidate ou de candidate ne court par les rues, ni à Ottawa, ni à Gatineau. Il faut trouver la perle rare.

Le choix s'est porté sur Isabelle N. Miron. Au départ, c'est tout de même l'ACFO qui l'a sélectionnée. Il ne s'agit pas d'un parachutage imposé. Cela risque-t-il de causer des difficultés? Avec certaines personnes sans doute, mais je ne suis pas sûr qu'il faille exagérer l'ampleur du défi. À l'exception de quelques esprits fermés, la plupart des francophones de l'Ontario «ne se réveillent pas la nuit pour haïr» les Québécois… même les Québécois indépendantistes.

À la conférence de M. Thériault, dimanche, ce dernier avait conclu en disant qu'il ne fallait pas nécessairement reconstruire le vieux Canada français. Mais, ajouta-t-il, «il faut créer des ponts et des liens d'unité» entre le Québec et les collectivités francophones de l'est du pays, de l'Ontario, de l'ouest et des États-Unis. La nomination d'Isabelle Miron n'est peut-être pas un «pont», mais on pourrait croire qu'il y a là une amorce de passerelle. Donnons la chance au coureur…

Une note cocasse en terminant. Il y avait dans Le Droit du 2 juin une lettre hostile d'une lectrice, dénonçant l'arrivée de Mme Miron. La correspondante écrit: «La nomination d'Isabelle Miron à la tête de l'ACFO d'Ottawa est une insulte. Je me souviens de ce que les séparatistes nous ont dit en 1976», etc. On pourrait croire à un cri du coeur d'une Franco-Ontarienne enracinée... mais non la lettre provient d'une résidente de… Gatineau!