lundi 30 novembre 2015

Identité, xénophobie, racisme… sortons les dictionnaires!


«Apporte-moi-don l'affaire que j'ai laissée dans la remise.» Quelle affaire? «Tu sais, l'affaire qu'on a sortie hier. Je l'ai laissée sur l'autre affaire, dans le coin, à côté du mur… Tu sais ce que je veux dire...» Combien de fois avons-nous eu de tels échanges, résultant généralement des lacunes de notre vocabulaire ou, peut-être encore plus fréquemment, de l'hésitation à employer dans une conversation un terme précis que l'on connaît mais qui nous semble davantage à sa place dans un texte écrit…

Dans «notre petit village encerclé» d'Amérique du Nord où, à coups de Loi 101 amochée, on voudrait convaincre les nouveaux venus de parler cette langue que nous utilisons nous-mêmes de façon déficiente et que nous valorisons trop peu, des mots comme «affaire» et «chose» sont devenus des passe-partout irritants qui nous permettent de tout mêler en espérant que nos interlocuteurs, de même culture, vont facilement en décoder le sens et nous comprendre… Misère…

Mais cette fâcheuse tendance d'étirer indûment la portée de mots et d'expressions ne se limite pas aux «affaires» qu'on cherche dans nos remises. Ce matin, en feuilletant Le Devoir, je vois ce titre: «Québec Solidaire se distancie du débat identitaire». Comme je m'intéresse de près à ce type d'enjeu, l'article passe sous ma loupe. Et me voilà surpris, le texte n'aborde à peu près pas l'identitaire. Il évoque bien plus le port de symboles religieux et le degré de tolérance sociétale à l'endroit de ces signes.

Or, cela a très peu, sinon rien à voir avec l'identité québécoise ou francophone nord-américaine. Jadis, disons jusqu'aux années 1950, on aurait pu prétendre que les principales composantes de notre identité collective étaient la langue française, la religion catholique et nos vieilles souches de France (enrichies d'apports autochtones). Cependant, depuis la laïcisation accélérée des années 1960 et l'immigration massive du dernier demi-siècle, l'identitaire d'ici en 2015 repose entièrement sur la langue et la culture françaises, et s'exprime politiquement dans une variété d'options politiques, dont la souveraineté.

Tout ce qui concerne des enjeux comme la présence du niqab au moment de voter ou à une cérémonie de citoyenneté, le port du voile islamique ou d'autres signes religieux par des employés de l'État, le droit ou non de porter un turban dans les forces armées ou policières, ou encore la récitation d'une prière chrétienne au début d'un conseil municipal, tout cela entre dans la grande mouvance internationale des droits de la personne et de la séparation toujours croissante entre l'État et les religions.

Le combat humain pour la neutralité religieuse ou la laïcité de l'État dure depuis des siècles et a connu des variantes dans des centaines de pays, régions et localités. Ce débat de civilisation transcende les frontières, les cultures et les races. Les intégrismes religieux (ou anti-religieux) et leurs excès ne connaissent pas non plus de frontières. Ces questions sont à l'ordre du jour d'États et de gouvernements sur tous les continents, peu importe les identités politiques ou culturelles.

Ici même, la preuve en est faite et ceux qui continuent d'entretenir la confusion à ce sujet le font par ignorance ou, pire, exprès… Durant le débat sur la charte des valeurs en 2013 et 2014, au Québec, les sondeurs ont découvert - à leur grande surprise? - qu'environ 40% des Ontariens appuyaient les principes défendus dans la charte de la laïcité. La proportion d'appuis était appréciable partout au Canada… et provenait autant de progressistes favorables au principe d'un État laïc que de rednecks de droite intolérants à l'endroit de cultures et traditions étrangères…

Il est possible que les questions entourant la laïcité de l'État (et de la société) soient plus intimement liées aux enjeux identitaires au Canada anglais, où le salmigondis du multiculturalisme a presque été érigé au rang de religion d'État et de droit quasi constitutionnel. Tel n'est pas le cas au Québec où le principe d'intégration consacré par la Charte de la langue française a créé un tout autre environnement, du moins en principe… Quand on regarde ce qui se passe à Montréal, j'avoue qu'on pourrait avoir des doutes…

Toujours est-il que le débat identitaire, au Québec et dans l'ensemble du Canada francophone, porte essentiellement sur la langue et la culture françaises, et sur les formes politiques les plus opportunes pour assurer la pérennité de cette langue et de cette culture. De jeter pêle-mêle dans cette marmite le niqab, le hijab, le voile, le turban et tout le reste, avec une bonne pincée de xénophobie et de racisme, autres mots galvaudés par les temps qui courent, ne sert qu'à entretenir nos lacunes de langage et des préjugés (fort bien utilisés en période électorale).

En tout cas, quand je lis un texte comme celui du Devoir d'aujourd'hui (http://bit.ly/1PVQaeq), je me dis que Québec Solidaire a peut-être trop d'affaires dans son affaire, et que ça fait l'affaire de bien du monde...




vendredi 27 novembre 2015

Une autre bouteille à la mer...

Quelques faits saillants dans l'immense sac de nouvelles des dernières semaines. Chacun pourrait justifier un texte de blogue. Tous sont intéressants - du moins pour moi. Je les lance pêle-mêle pour ne pas les oublier au cas où j'aurais le temps et l'énergie, un jour, d'aiguiser ma plume… en espérant aussi que ces «bouteilles à la mer» - c'est ainsi que je vois un blogue - soient recueillies, accueillies par des esprits ouverts et combatifs qui les relanceront...

* Dans ce pays (le Canada) où nos collectivités et nations francophones peinent à survivre, en espérant un jour prospérer, les textes constitutionnels ne sont officiels qu'en anglais! L'AANB de 1867 comme la Loi constitutionnelle de 1982. La Confédération aura 150 ans en 2017 et on en est toujours là… Et on voudrait nous faire célébrer…

Un lien: bit.ly/1SfdT6O

* Une nouvelle aigre-douce… L'adjutant-chef des Forces armées canadiennes a émis un avertissement général en rabrouant un officier qui avait affiché sur Facebook des «commentaires négatifs» au sujet du nouveau ministre fédéral de la Défense, Harjit Singh Sajjan, qui porte le turban sikh… Faut-il s'en surprendre… le «rappel à l'ordre» de l'adjudant-chef était rédigé seulement en anglais… Une plainte a été déposée auprès du Commissaire aux langues officielles… Youpi… 

Un lien: bit.ly/1O3fawK

* Avec le brouhaha entourant la décision de la Cour suprême dans la cause Caron-Boutet, portant sur le statut du français en Alberta et en Saskatchewan, tout le monde (ou presque) a oublié une autre décision rendue par nos augustes juristes suprêmes (dont deux unilingues anglophones) quelques semaines plus tôt. Cette fois, c'étaient les francophones des Territoires-du-Nord-Ouest qui avaient goûté à la médecine amère de la justice fédérale…

Un lien: bit.ly/1PZ1PYH

* Le 20 novembre, la législature ontarienne a adopté en deuxième lecture (une adoption de principe) le projet de loi de la députée néo-démocrate France Gélinas visant la création d'une université franco-ontarienne. Faute de vouloir s'attaquer au coeur du problème - les universités bilingues, et en particulier celle d'Ottawa (où étudient la majorité des étudiants de l'Ontario français) - ce projet de loi, si jamais il survit sous une forme amaigrie en troisième lecture, ne réglera à peu près rien…

Un lien: bit.ly/1jaQfMC

* L'ancien gouvernement Harper nous mijotait, pour le 150e anniversaire de la Confédération, des fêtes qui allaient refléter les valeurs conservatrices - royales, militaires, etc. - du Canada anglais. Avec le nouveau gouvernement de Trudeau-le-jeune, la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, promet un 150e qui reflétera «les valeurs progressistes du Canada»… Les valeurs du Parti libéral si j'ai bien compris… Quelle forme cela prendra-t-il? «Just watch me», dirait sans doute le nouveau PM…

Un lien: http://bit.ly/1Xw7NQW

* Le 17 novembre, la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal a décerné le titre de patriote de l'année à un anglophone, Robin Philpot. Le seul journal dans lequel j'ai trouvé un reportage, c'était la Gazette de Montréal. Mais où étaient les scribes francophones? La Presse, le Journal de Montréal, Le Devoir, les grandes agences? Si le problème est un manque d'effectifs, il faudrait en parler. Si c'est un choix politique (au sens général), il y a un problème… Ce n'était pas la manchette du jour, mais c'était digne d'intérêt pour les publics francophones.

Un lien: bit.ly/1l3CCjQ

* Avec l'arrivée de milliers de réfugiés syriens, voilà que le maire de Montréal, Denis Coderre, et la ministre Kathleen Weil jonglent avec l'idée de ne pas trop s'embarrasser de la Loi 101… Ce gouvernement anglophile à l'excès, voire anglicisant, a déjà fait assez de tort depuis l'époque de Jean Charest… Il est noyauté par des fossoyeurs du français et il faudra guetter de près tout ce qu'ils feront - ouvertement et en cachette - pour renforcer la langue anglaise dans «notre petit village encerclé»…

Quelques liens:  et bit.ly/1XjOXC3 et bit.ly/1MRDHT3

* L'attaque du gouvernement Couillard contre ce qui reste de nos anciennes ouvertures vers la social-démocratie se poursuit avec férocité. Les plus récentes victimes appréhendées: les soins de santé aux vieux, où une privatisation semble se dessiner, et les services de garde subventionnés, où la hache semble être préférée au ciseau… Si on le laisse faire, ce gouvernement a le temps de tout détruire d'ici 2018… Qui sera l'âme de la résistance?

Quelques liens: bit.ly/1NRCdrX et http://bit.ly/1Shr47u

* Depuis quelques jours, je garde mon petit-fils de quatre ans, Cédric, fort de sa trisomie 21. C'est un enfant intelligent, joyeux, actif. Il sait manier l'humour en paroles, connaît par coeur des dizaines de chansons, relève défi sur défi - surtout en santé. Cet enfant est un soleil, et il approche de l'âge scolaire. Que restera-t-il pour lui et ses parents dans un système éducatif mis à sac par le régime actuel? Les Cédric du Québec sont précieux, et méritent qu'on se batte pour eux. Ce faisant, on mène un combat pour tous, toutes!


Salut Cédric! 




mardi 24 novembre 2015

L'ouverture et la transparence. Où ça?


Plus j'avance (à vitesse d'escargot…) dans mes recherches sur la procédure de nomination du PDG d'Air Canada, Calin Rovinescu, au poste de chancelier de l'Université d'Ottawa (l'Université des Franco-Ontariens, affirme son recteur Allan Rock), plus je trouve que cette affaire prend l'allure d'une enquête de détective avec des portes closes, des obstacles constants et des silences suspects partout…

Le choix du chef d'une direction réprimandée à répétition par le Commissaire fédéral aux langues officielles comme figure de proue d'une institution universitaire ayant un mandat de promotion du français a été dénoncé par l'auteur de ce blogue, mais aussi en page éditoriale du quotidien Le Droit. La sélection de M. Rovinescu a aussi été critiquée par le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO), principal promoteur du projet d'université franco-ontarienne.

Mais au-delà de ces réactions, un silence quasi total règne sur la place publique, interrompu par un chuchotement discret et occasionnel dans les milieux médiatiques. Les commentaires les plus énergiques ont été publiés dans les pages Fier d'être Franco-Ontarien de Facebook, ainsi que dans l'opinion des lecteurs du Droit. La décision de la Cour suprême dans la cause Caron-Boutet a suscité des opinions partout, mais quand il s'agit de faire la morale au monstre sacré bilingue de la Côte-de-Sable (l'Université d'Ottawa), les bouches restent trop souvent cousues…

Pourquoi? Voilà en soi un bon sujet d'enquête… Les réseaux tissés à l'intérieur et autour de l'université phare de l'Ontario français, désormais fortement anglicisée, sont très puissants. C'est comme si, en dénonçant les éléments anglicisants de l'Université, on mettait en péril ses réalisations pour les francophones… et elles sont substantielles. Il reste tout de même un constat: après la nomination de M. Rovinescu, les milieux francophones se sont abstenus de critiquer, mais ils n'ont pas non plus applaudi. Je n'ai trouvé aucun message public de félicitations à l'Université ou à M. Rovinescu provenant d'un porte-parole des milieux franco-ontariens, à l'Université même (profs, étudiants) ou à l'extérieur.

Si ces silences de l'Ontario français sont de nature à susciter des interrogations, ils sont nettement moins inquiétants, pour le moment du moins, que ceux de l'administration de l'Université d'Ottawa. Dans son communiqué du 9 novembre, annonçant le choix de Calin Rovinescu comme chancelier, l'Université écrivait: «La nomination d'un nouveau chancelier est le résultat d'un processus de sélection ouvert et transparent.» Alors au nom de cette ouverture et de cette transparence qu'on clame même dans un communiqué de presse, j'ai voulu en savoir davantage:

* en cherchant à interroger un porte-parole du comité de sélection ou du Bureau des gouverneurs de l'Université d'Ottawa sur la contradiction entre la mission francophone de l'institution et la nomination comme chancelier du chef d'une des directions les plus critiquées pour ses violations de la Loi sur les langues officielles.
* en demandant si le passé linguistique de M. Rovinescu avait été l'objet d'une discussion au sein du comité de sélection ou du Bureau des gouverneurs (ou du Sénat de l'Université).
* en tentant d'obtenir un procès-verbal des assemblées d'approbation de la candidature de M. Rovinescu (Bureau des gouverneurs et Sénat), auxquelles le communiqué de presse de l'Université fait référence.

Dès qu'on a su le motif de mes interrogations, l'ouverture et la transparence de l'Université sont disparues. Le service des relations avec les médias ne savait pas quand avait eu lieu la réunion d'approbation du Bureau des gouverneurs. On m'a laissé un message téléphonique indiquant qu'une réunion spéciale avait eu lieu le 9 novembre, le jour même de l'annonce. Sur le plan officiel, je n'ai pas réussi à en savoir plus… J'ai demandé par courriel les coordonnées du président du Bureau des gouverneurs, Robert Giroux, sans succès (voir échange de correspondance ci-dessous).

Les seuls commentaires publics de M. Giroux ont été faits en conversation avec l'animateur Michel Picard sur les ondes d'Unique FM 94,5 à Ottawa, mais comme M. Picard est aussi membre du comité de sélection et du Bureau des gouverneurs de l'Université d'Ottawa, l'échange était plus sur le ton d'une conversation amicale entre collègues. Il n'était pas question ici de pousser M. Giroux à discuter du caractère controversé de la nomination de M. Rovinescu. À ce moment-là, pour une raison que j'ignore toujours, personne n'avait évoqué le passé linguistique du PDG d'Air Canada…

Après l'éditorial du Droit, paru le vendredi 20 novembre, l'Université d'Ottawa a expédié au quotidien une réponse signée par M. Giroux, mais compte tenu des similitudes avec certains éléments des communiqués et textes officiels ou publicitaires de l'Université, il y a fort à parier que Robert Giroux n'en soit pas l'auteur… Une chose est sûre. Les autorités universitaires ne sont pas désireuses de le voir interrogé sur les aspects linguistiques de cette sélection comme chancelier…

Quant aux réunions d'approbation du Bureau des gouverneurs et du Sénat, qui ont toutes les deux eu lieu le 9 novembre, il appert qu'elles se soient déroulées sous forme d'appel-conférence et qu'il n'y ait eu aucun débat sur le choix de M. Rovinescu. Mais même de cela, il n'y a aucune certitude puisque les deux réunions se seraient déroulées à huis clos. Leur existence n'apparaît même pas sur le site Web de l'Université. Et on continue de parler d'un «processus de sélection ouvert et transparent»?

C'est dans des situations semblables qu'on voit le plus clairement l'effet des compressions dans les salles de rédaction. Il y a 40 ans, 30 ans même, Le Droit ou Radio-Canada aurait demandé à un reporter ou deux de joindre - un par un au besoin - les membres du Bureau des gouverneurs et du Sénat jusqu'à ce l'un d'entre eux crache le morceau. Ils auraient pourchassé les élites franco-ontariennes et les auraient obligé à sortir de leur mutisme. Ils auraient demandé des comptes au recteur de l'Université, interrogé le Commissaire aux langues officielles. Et à force d'insister et de publier, un débat public animé aurait suivi. Aujourd'hui, qu'en est-il?

Qu'en est-il?

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Voici mon courriel original du 16 novembre à l'Université d'Ottawa:

Chère Mme (…),

Je cherche à joindre M. Robert Giroux, président du Bureau des gouverneurs et du comité de sélection du chancelier.

J'aimerais l'interviewer au sujet du choix de M. Rovinescu.

Serait-il possible d'obtenir ses coordonnées, tout au moins une adresse courriel?

Merci d'avance,
Pierre Allard
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J'ai reçu cette réponse le lendemain: 

Bonjour M. Allard,

On vient de porter à mon attention votre courriel envoyé à M. Robert Giroux, président du Bureau des gouverneurs de l'Université d'Ottawa. Je sais également que vous avez été en contact avec notre gestionnaire des relations avec les médias, Néomie Duval (en cc), au cours des derniers jours, au sujet de la nomination récente de M. Calin Rovinescu au poste de chancelier de l'Université.

Je me permets, au nom de l'Université, de vous transmettre notre position officielle:

D'abord, je tiens à rappeler que le nouveau chancelier de l'Université d'Ottawa a été nommé à la suite d'un processus de sélection rigoureux. Les détails du processus sont disponibles sur notre site web: http://www.uottawa.ca/administration-et-gouvernance/selection-du-chancelier-chanceliere

L'Université est fière d'accueillir Calin Rovinescu, dont le parcours professionnel est remarquable. M. Rovinescu a fait preuve d'un grand leadership dans un secteur d'activité hautement concurrentiel et est reconnu partout dans le monde. Il sera un excellent ambassadeur bilingue de l'Université.

Il ne revient pas à l'Université de commenter sur les dossiers qui relèvent de la compagnie aérienne qu'il dirige.

Patrick Charette
Directeur, Communications institutionnelles | Director, Institutional Communications
Direction générale des communications | Communications Directorate
Université d'Ottawa | University of Ottawa

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Et après une conversation téléphonique substantielle avec M. Charette, j'ai répondu le même jour (17 novembre) à la première personne à qui j'avais écrit:

Chère Mme (…),

De toute évidence, on a mal compris ma requête.

Je ne veux pas que l'Université commente des dossiers qui relèvent de la compagnie que dirige M. Rovinescu.

Je veux parler à M. Giroux, comme président du Bureau des gouverneurs, au sujet du processus de sélection de l'Université.

Je réitère ma requête. Puis-je obtenir de vous les coordonnées de M. Giroux, ou devrai-je les obtenir autrement?

Merci de clarifier cette situation.


Pierre Allard

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Je n'ai jamais reçu de réponse à ce courriel du 17 novembre…
Et voilà pour l'ouverture et la transparence de l'Université d'Ottawa…

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Textes critiques et suivis publiés jusqu'à maintenant:

1) mardi 10 novembre, sur mon blogue. Université d'Ottawa: la nomination de Calin Rovinescu, une gifle pour les francophones. http://bit.ly/1HwFsrI

2) Une nomination à l'Université d'Ottawa agace les francophones, sur #ONfr. http://bit.ly/1iVryDV

3) lundi 16 novembre, sur mon blogue. C. Rovinescu, une semaine plus tard… http://bit.ly/1H57gn7

4) vendredi 20 novembre, dans Le Droit. Le paradoxe, éditorial de Pierre Jury. http://bit.ly/1lwnWKy

5) lettre aux lecteurs dans Le Droit du samedi 21 novembre.
5) lundi 23 novembre, dans La Rotonde. Nouveau chancelier de l'U. dO.: Rovinescu, est-il paré au décollage? http://bit.ly/1IbcmcD

6) Voir aussi sur Facebook les pages Fier d'être Franco-Ontarien/Fière d'être Franco-Ontarienne.

vendredi 20 novembre 2015

Cette cour n'aurait pas sauvé Montfort...


En juillet 2013, après l'échec des Franco-Colombiens en Cour suprême dans une cause qu'ils auraient dû gagner (le droit d'admettre des preuves en français devant un tribunal civil de leur province), j'avais conclu mon éditorial dans Le Droit (voir http://bit.ly/15t9OoD) de la façon suivante:

«L'ère Harper s'amorce à la Cour suprême et pour les francophones, la tenue de combat semble désormais indiquée. Cette cour, eut-elle été appelée à trancher, n'aurait pas sauvé (l'hôpital) Montfort.»

Or, ce matin, dans la cause Caron-Boutet (voir texte intégral du jugement de la Cour suprême à http://bit.ly/218n13r), les juges qui ont rendu une décision défavorable à deux francophones de l'Ouest canadien formaient essentiellement la même cour qui avait débouté les francophones de Colombie-Britannique deux ans plus tôt, et qui avaient envoyé paître le célèbre couple Thibodeau sans compensation pour leurs démêlés avec des membres unilingues du personnel d'Air Canada…

L'enjeu cette fois, il faut l'admettre, était substantiel. Ce qui avait débuté par une simple demande d'obtenir une contravention routière en français était devenu un débat sur le statut linguistique de l'Alberta (et peut-être aussi de la Saskatchewan) qui replongeait les juristes dans les actes de fondation des territoires et provinces au 19e siècle.

Le fond du litige juridique aura finalement porté sur l'interprétation des lois et décrets entre 1867 et 1870. C'est selon moi un aspect important de la cause, mais pas l'essentiel, puisque six juges disent noir de façon mi-convaincante pendant que trois disent blanc avec un argumentaire beaucoup plus solide. Quand la zizanie règne autour de la table des neuf sommités juridiques du pays, comment voulez-vous que le commun des mortels - avec une faible connaissance du droit - démêle le tout?

Non, à mon avis, quelques éléments bien plus fondamentaux viennent remettre en cause cette décision à la fois injuste et insidieuse. D'abord, les deux plaignants étaient dans l'impossibilité de se faire comprendre sans interprète par l'ensemble des neuf juges. Deux d'entre eux, les juges Rothstein et Moldaver, sont unilingues anglais à toutes fins utiles. Cela, en soi, était un motif suffisant de disqualification de ces deux membres du tribunal.

N'importe quel Anglo-Québécois, ou anglophone de toute province, aurait pu faire valoir ses droits linguistiques en anglais du plus humble tribunal à la Cour suprême sans avoir à utiliser des écouteurs pour s'expliquer, ou à utiliser une langue qu'il connaît moins ou pas pour s'assurer qu'un juge unilingue français (telle chose existe-t-elle?) saisisse mal le sens de ses propos ou de ses documents ou, pire, les nuances de textes juridiques d'une autre époque.

Secundo, à l'impossibilité de se faire comprendre en français de tous les membres du tribunal s'est ajoutée la rédaction officielle du jugement en anglais, alors que les plaignants sont francophones. Cela signifie que la décision, son libellé, sa construction, sa logique, ont été conçus en anglais - à l'intention de plaignants francophones. Imaginez des anglophones confrontés à la situation inverse… C'est indigne d'un système et d'un pays qui proclament l'égalité des deux langues officielles.

Revenons brièvement au jugement. Il n'y a pas de doute que la constitution de 1867 n'offrait pas grand protection à la langue française. Les droits de l'anglais étaient blindés au Québec, tant à l'assemblée législative que devant les tribunaux, mais les droits du français étaient laissés à la merci de majorités intolérantes en Ontario, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse. Par contre le français avait un statut officiel au fédéral - ainsi qu'au Manitoba quand cette province a été créée en 1870.

Comme les territoires au nord et à l'ouest de la petite boîte manitobaine de Louis Riel avaient été cédés à peu près en même temps au gouvernement fédéral, le bon sens aurait dû dicter qu'ils devaient être soumis au même régime linguistique que le gouvernement central… Enfin, selon six juges de la Cour suprême, cela n'est pas le cas…

Oui, oui, j'arrive à ce que je considère comme le coeur de la question. C'est un paragraphe dans le jugement dissident des juges Abella, Wagner et Côté. On oublie trop souvent que l'interprétation constitutionnelle ne se fonde pas uniquement sur des textes de loi, des règlements et des précédents, mais aussi sur des principes.

Voici ce qu'écrivent à ce sujet les juges de la minorité, qui mettent en valeur trois principes fondamentaux d'interprétation constitutionnelle. «Selon le premier, la Constitution doit être interprétée à la lumière de ses contextes historique, philosophique et linguistique. Selon le deuxième, les dispositions doivent faire l'objet d'une interprétation large et téléologique (en fonction des buts recherchés). Le troisième est de l'essence même d'une constitution, laquelle représente l'expression de la volonté d'un peuple.»

L'application de ces principes, concluent-ils, «mène à la conclusion que (l'Adresse de 1867) consacre une garantie de bilinguisme législatif applicable dans l'ensemble des territoires annexés en 1870». Ces territoires incluent l'Alberta et la Saskatchewan. Or l'oubli de ces principes est justement ce que je dénonçais dans mon éditorial de 2013 dans le quotidien Le Droit au sujet des Franco-Colombiens:

Dans ce jugement, disais-je, «la forme remplace largement la substance, les principes directeurs de la Constitution ont été enfouis sous un légalisme outrancier, la réalité d'une minorité en péril est passée au crible d'une loi britannique désuète et le moindre souci de protéger la langue française semble s'être évaporé…»

Alors posons la question de l'Alberta et de la Saskatchewan en fonction de ces principes. Que conclut-on quand on applique des principes philosophiques ou linguistiques? Quels buts recherche-t-on et favorise-t-on une interprétation plus large en fonction de les atteindre? Et si elle existe, quelle est ici l'expression de la volonté populaire? Quand j'y réfléchis bien, au regard de ce jugement, je vois un ciel juridique bien sombre à l'horizon pour les francophones, d'un océan à l'autre…

Et je réitère. Cette cour - celle de 2015 - n'aurait pas sauvé Montfort…

lundi 16 novembre 2015

C. Rovinescu, une semaine plus tard...

Dans la pleine page de pub achetée dans Le Droit du samedi 14 novembre par l'Université d'Ottawa, il n'est même pas question de la mission francophone de l'institution ou du bilinguisme de M. Rovinescu...
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Une semaine après la nomination du PDG d'Air Canada, Calin Rovinescu, comme chancelier de l'Université d'Ottawa, les milieux francophones et francophiles n'ont toujours pas protesté, ou même commenté ce choix d'un individu qui chapeaute depuis six ans une direction fréquemment blâmée par le Commissaire fédéral aux langues officielles pour ses graves manquements…

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Voir mon blogue à http://bit.ly/1HwFsrI.
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Depuis le 9 novembre, le jour où l'Université a officiellement annoncé que M. Rovinesco serait pour elle «un excellent ambassadeur bilingue» en dépit de sa piètre performance linguistique comme chef de la direction d'Air Canada, seul le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO) - organisme regroupant les étudiants et étudiantes francophones du post-secondaire en Ontario - a osé critiquer la décision de l'Université d'Ottawa.

«Nous trouvons que la nomination de M. Rovinescu au poste de chancelier, une personne n'ayant pas une réputation très reluisante en ce qui concerne le respect des langues officielles au sein d'Air Canada, envoie un drôle de message de la part d'une institution qui se dit fière de son bilinguisme», a déclaré le 11 novembre Rym Ben Berrah, coprésidente du RÉFO, dans un échange de courriels avec #ONfr (voir le texte de TFO à http://bit.ly/1iVryDV).

Depuis cette date, plus rien… C'est le silence à peu près total, même à l'Assemblée de la Francophonie de l'Ontario (AFO) et à la FESFO (Fédération de la jeunesse franco-ontarienne), les deux organisations qui combattent avec le RÉFO pour la création d'une véritable université franco-ontarienne…

Et à l'exception d'un texte par #ONfr (le service des nouvelles de TFO), les médias qui s'intéressent le plus souvent aux dossiers franco-ontariens n'ont rien publié. Le journal étudiant de langue française de l'Université d'Ottawa, La Rotonde, a commencé à enquêter sur la nomination de Rovinescu mais rien n'indique, du moins pour le moment, que Le Droit, Radio-Canada ou les hebdos de langue française ontariens soient sur le point de s'impliquer. C'est regrettable.

Les seules critiques que j'ai vues ont été publiées sur les pages Facebook «Fier d'être Franco-Ontarien/Fière d'être Franco-Ontarienne», au cours de la dernière semaine. Je cite ici Philippe Landry, un ancien journaliste du Droit et professeur de journalisme à La Cité (collégiale), à Ottawa: «Chez Air Canada, il (Calin Rovinescu) n'a jamais levé un doigt pour aider la cause du bilinguisme. Air Canada a été blâmée publiquement par le Commissaire aux langues officielles. Quel faux pas de cette université qui se proclame "L'Université des francophones".»

Un autre francophone de l'Est ontarien, Jean-Guy Giroux, un ancien cadre du Droit, a estimé que cette nomination était effectivement une «gifle» pour les Franco-Ontariens et «un net recul». Et d'ajouter M. Giroux: «Une institution qui préconise le bilinguisme est une pépinière à assimilation et l'Université d'Ottawa n'est pas différente en ce sens. Si nous voulons que nos jeunes francophones demeurent francophones, il faut qu'il y ait une université francophone, rien de moins!»

Une francophone du nord de l'Ontario, Carole Lafrenière-Noël, a renchéri avec ce commentaire: «Cette histoire me fait drôlement penser à la lutte scolaire de Sturgeon Falls à laquelle j'ai participé. Dans le temps, on était confronté à un conseil scolaire majoritairement anglophone au sein duquel siégeaient deux francophones qui, bien entendu, ne réussissaient jamais à faire valoir leur point de vue et à gagner leur vote. Est-ce que l'Université d'Ottawa nous sert la même chose enrobée de belles paroles autour de son message bilingue?»

Je suis convaincu que d'autres que moi sont quelque peu outrés de la nomination de M. Rovinescu sous l'angle de la mission de promotion du français de l'Université d'Ottawa. Les journalistes de la région sont peut-être les seuls qui seraient en mesure d'obliger l'Université à élaborer davantage sur ce «processus de sélection ouvert et transparent» dont elle se vante dans son communiqué sur le choix du PDG d'Air Canada comme chancelier.

On y dit que le chancelier est nommé par le Bureau des gouverneurs, mais cette nomination n'était pas à l'ordre du jour des deux réunions régulières (28 sept. et 2 nov.) tenues entre la remise du rapport du comité de sélection et l'annonce du choix de M. Rovinescu. Finalement, le service de relations avec les médias de l'Université a dû vérifier pour apprendre (ils ne le savaient pas) que la nomination avait été entérinée lors d'une réunion spéciale du Bureau des gouverneurs, le 9 novembre…

Lors de cette réunion, apparemment par appel-conférence, il n'y aurait eu que le vote, sans plus… Quant aux débats au sein du comité de sélection, pendant l'été 2015, ils ne sont pas publics… So much pour l'ouverture et la transparence...

À suivre...


vendredi 13 novembre 2015

Quel est le message sous-jacent?

Dans le quotidien La Presse, j'ai lu ce matin au sujet du désarroi prévisible de nombreux couples qui devront dorénavant payer des sommes excessives pour avoir accès à la procréation assistée. Une autre coupe sauvage du gouvernement Couillard. Ce service était gratuit depuis 2010 (en vertu d'une loi adoptée sous le régime libéral de Jean Charest).

Voici le lien au texte de La Presse : http://bit.ly/1Ldwr1I.

J'en reproduis ci-dessous deux extraits:

« Depuis mercredi, nous annonçons aux patients qui devaient commencer leur cycle que les traitements ne sont plus remboursés. Les gens fondent en larmes. Un seul cycle coûte au moins 5500 $. Voire plus. Déjà, des couples nous disent qu'ils ne pourront plus continuer. C'est très dur », souffle le Dr William Buckett, directeur médical du Centre de la reproduction du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).
« C'est la catastrophe. On reçoit plein de demandes de la part de couples paniqués. Et honnêtement, on ne sait pas trop quoi leur répondre », affirme le directeur médical de la Clinique Ovo, le DFrançois Bissonnette.
Au-delà des coûts pour l'État et de la détresse de couples infertiles, il y a ce message sous-jacent qui me trouble. Comment juger un gouvernement et une société qui offrent un accès gratuit à l'avortement (une mesure que j'appuie) mais qui refusent ce même accès pour aider à la procréation?

Je crois opportun de reprendre ici mon éditorial de 2010 sur ce sujet dans Le Droit, et d'insister sur les valeurs transmises par cette décision du gouvernement Couillard. Je proposerais plutôt le principe suivant comme fondement de toute politique en la matière:

«Un régime public qui accepte de payer pour toutes les femmes fertiles qui veulent un avortement peut bien accompagner et soutenir celles qui, de peine et de misère, essaient de donner naissance à un enfant.»

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Mon éditorial dans Le Droit du 15 juillet 2010 (voir la version Web à http://bit.ly/1uEbTMk)

La fécondation in vitro gratuite? Oui!

S'il avait fallu attendre, avant d'agir, de savoir exactement ce que cela aurait coûté, de connaître avec suffisamment de précision le nombre de personnes qui en auraient fait la demande, d'obtenir des budgets de santé non déficitaires et de mettre fin à la pénurie de personnel dans les établissements de santé public du Québec, il n'y aurait jamais eu de décision sur la gratuité de la fécondation in vitro, confirmée cette semaine par le ministre de la Santé Yves Bolduc.


Soyons clairs. Tout ce qui peut aller mal dans cette affaire ira mal. La bonne vieille loi de Murphy. Le ministre parle d'une dépense de 63 millions de dollars pour la fécondation in vitro en 2013-2014 et d'un éventuel autofinancement. Le président de la Fédération des médecins spécialistes évoque plutôt le chiffre de 200 millions de dollars. On peut compter que le coût sera le plus élevé des deux. C'est inévitable. Doit-on alors aller de l'avant tout en sachant que le système public manque de fonds pour ses urgences et chirurgies? Oui. Peu importe le scénario, quand bien même on couperait des services existants, il n'y aura jamais assez d'argent dans la cagnotte publique.
Le président de l'Association des obstétriciens et gynécologues du Québec a déclaré pour sa part qu'il manquait déjà de 70 à 80 gynécologues pour suivre les grossesses normales au Québec. Et puis après? Formons-en d'autres. Selon son raisonnement, faudrait-il réduire le nombre de grossesses «normales» pour que celles qui restent soient assurées d'un bon suivi? Nous avons déjà l'un des taux de natalité les plus faibles de la planète. S'il y a quelques milliers de grossesses de plus avec la fécondation in vitro, on s'arrangera bien pour les suivre. On a appris ces dernières années à faire plus avec moins.
La présidente de l'Alliance des professionnels et techniciens de la santé et services sociaux affirme elle aussi que le réseau public n'est pas en mesure de soutenir toutes les femmes infertiles du Québec et que le régime de gratuité engraissera les profits des cliniques privées. Le gouvernement québécois ne rembourse-t-il pas déjà des services de santé rendus par des cliniques privées? Un régime public qui accepte de payer pour toutes les femmes fertiles qui veulent un avortement peut bien accompagner et soutenir celles qui, de peine et de misère, essaient de donner naissance à un enfant.
Le ministre Bolduc a raison quand il dit qu'en santé, on fait tous les jours des choix difficiles. Personne ne contestera cette affirmation. Le régime public de soins de santé au Québec est confronté à des défis quasi insurmontables à court terme, mais il ne faut pas laisser le problème de tous nous aveugler aux besoins de quelques-uns.
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mardi 10 novembre 2015

Université d'Ottawa: la nomination de Calin Rovinescu, d'Air Canada, une gifle pour les francophones

Au regard de sa mission en matière de francophonie ontarienne, l'Université d'Ottawa s'est discréditée cette semaine en choisissant le président et chef de la direction d'Air Canada, Calin Rovinescu, comme chancelier. Et le pire dans cette affaire, c'est que la nomination de M. Rovinescu a été entérinée par le Bureau des gouverneurs de l'Université, qui compte plusieurs francophones! (voir liste des membres à http://bit.ly/1kMtgsw)

Ce choix n'est pas en soi surprenant dans une université officiellement bilingue où les francophones ne forment qu'environ 30% de la population étudiante… Promenez-vous sur le campus et tendez l'oreille… vous verrez très, très vite quelle langue domine. Personne ne met en doute la qualité relevée de l'enseignement dispensé en français mais en-dehors des salles de classe et de conférences, les espaces francophones s'y font de plus en plus rares...

Depuis trois ans, tenant compte de l'effet assimilateur des institutions bilingues et d'une pénurie dramatique d'offre postsecondaire en français dans plusieurs régions de l'Ontario, le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO), organisme représentant les étudiants collégiaux et universitaires de l'Ontario français, a lancé et piloté avec deux alliés majeurs, l'AFO et la FESFO, une nouvelle campagne en faveur d'une grande université franco-ontarienne sous gouvernance francophone.

Or certains des adversaires les plus acharnés du projet d'université de langue française gravitent autour des grandes universités bilingues, dont celle d'Ottawa. En octobre 2014, le recteur de l'Université d'Ottawa, Allan Rock, un anglophone qui se dit francophile, est allé jusqu'à signer un texte d'opinion dans le quotidien Le Droit dans lequel il affirmait ce qui suit: 

«Les francophones de l'Ontario ont droit à une université qui sert leurs intérêts. (…) Et cette université existe déjà: elle s'appelle l'Université d'Ottawa. J'invite donc tous les Franco-Ontariens à soutenir leur université, un endroit où la formation en français rime avec excellence, plutôt que de songer à créer un nouvel établissement qui pourrait mettre longtemps à atteindre les mêmes normes de qualité que notre université a si bien su établir et promouvoir.»


L'aspect le plus troublant de cette déclaration de guerre au projet d'université franco-ontarienne, c'est le silence relatif qui l'a suivie. Je m'attendais à une levée de boucliers des milieux les plus militants de l'Ontario français, mais aucune organisation n'est vraiment montée au front contre le puissant recteur anglophone-francophile qui venait de leur faire la leçon… À la gifle, on a largement tourné l'autre joue…

Et maintenant, le PDG d'Air Canada !!!

Et voilà qu'en novembre 2015, cette université qui a refusé de planter un drapeau franco-ontarien géant au coeur du campus (pour ne pas brusquer les anglophones) et qui ferme son monument de la francophonie tous les hivers pour d'obscurs motifs vient de nommer le PDG d'Air Canada au poste de chancelier… Le PDG d'Air Canada, cet organisme de juridiction fédérale qui, plus que la plupart des autres, a eu maille à partir avec les francophones.

Sans même parler de l'affaire Thibodeau, qui a déclenché un torrent de colère haineuse au Canada anglais (pas contre Air Canada, contre M. Thibodeau et les francophones en général), tenons-nous en au rapport le plus récent du Commissaire fédéral aux langues officielles, Graham Fraser. Celui de 2015, ce ne sont pas là de «vieilles chicanes». Voici ce que notre auguste commissaire écrit dans la préface de son rapport annuel au sujet d'Air Canada et de sa direction:

«Dans mes rapports annuels, j'ai régulièrement présenté les plaintes du public voyageur, dont nombre d'entre elles étaient contre Air Canada. Cette année, nous avons fait le suivi d'une vérification portant sur le service au public offert par le transporteur aérien. J'ai été décontenancé de constater que celui-ci n'avait pris en compte qu'une seule des douze recommandations que j'avais formulées à son intention. Personne ne s'attend à la perfection, mais il était préoccupant d'apprendre que la direction de l'institution n'avait pas adopté de mesures pour corriger les mesures signalées.»

Or, le chef de cette direction que blâme le Commissaire aux langues officielles, c'est Calin Rovinescu depuis 2009. C'est sous son règne que s'accumulent toutes ces plaintes contre l'absence ou la pénurie de services en français. C'est sous son règne qu'une seule des douze recommandations de M. Fraser a été prise en compte. Et c'est aussi sous son règne qu'Air Canada n'a pas adopté de mesures pour corriger les fautes répétées du transporteur aérien en matière linguistique…

Et après ces injures répétées aux francophones du pays, y compris ceux de l'Ontario, on le nomme «chef titulaire» d'une université bilingue qui - au dire de son recteur - EST l'université des Franco-Ontariens? À lui la place d'honneur lors des collations des grades, des visites de dignitaires et des autres cérémonies de cette soi-disant université des Franco-Ontariens? C'est un scandale public !

J'ai attendu aujourd'hui, jusqu'en soirée, des protestations qui ne sont pas venues des milieux associatifs franco-ontariens ou de membres du public. Pourtant, l'annonce de la nomination de M. Rovinescu est connue depuis lundi et a fait l'objet de manchettes dans plusieurs médias écrits et électroniques. Il n'y a pas encore eu de suivis dans les journaux ou à la télé (que je sache) sous l'angle linguistique…

S'il y en a, je proposerais au reporter aventureux d'aller voir le texte de la Gazette de l'Université d'Ottawa sur le Web au sujet de la nomination de M. Rovinescu. À comparer les versions anglaise et française, j'ai déduit que l'original était en anglais parce que le sens varie d'une langue à l'autre et que les réponses de M. Rovinescu dans le texte anglais semblent plus fiables. Une des réponses en français ressemble presque aux traductions Google…

Dans un paragraphe, direction en anglais devient «nouvelle direction» en français, Ailleurs ethics devient culture dans le texte français. Mais la meilleure  est celle-ci. Allez-y. Comparez vous-même l'anglais au français…

Texte anglais: Question: What do you hope to accomplish during your term? Réponse: Through my experiences and relationships, I hope to continue to build on the university's strong brand and legacy, both on and off campus.

Texte français: Question: Que souhaitez-vous accomplir au cours de votre mandat? Réponse: Grâce à mes expériences et mes nombreux lieux dans diverses sphères d'activités, je contribuerai à rehausser la réputation de l'Université. 

On va sans doute changer ce texte français dans les heures ou les jours qui suivent (à leur place je le modifierais, et vite, parce qu'il manque nettement d'humilité et insulte la réputation de l'Université), mais je l'ai imprimé comme preuve que c'était bien écrit ainsi. Voici le lien: http://bit.ly/1MVDeEL. En passant, il a mentionné, sans plus, le caractère bilingue de l'Université d'Ottawa… Ouf…

(Ce matin, jeudi 12 novembre, un changement dans le texte de la Gazette… le mot lieux est devenu liens… c'est un début…)

(Ce soir, jeudi 12 novembre, un changement global de la réponse sur le site Web. C'est pas mal mieux. Voici: «Grâce à mon expérience et à mes contacts, je souhaite renforcer l'image de marque de l'Université, tant par ma présence sur le campus que lors de mes déplacements.»)

Si j'avais une recommandation à faire, ce serait de dire aux quatre ou cinq membres des médias qui siègent au Bureau des gouverneurs de l'Université d'Ottawa, y compris Pierre-Paul Noreau, l'éditeur du Droit, qu'une affaire comme celle-ci pose une question d'éthique et de conflits d'intérêts qui doit être résolue en laissant à d'autres qu'eux le soin de «gouverner» cette université qu'ils doivent aussi «couvrir» et commenter dans leurs pages de nouvelles et d'opinion…

Je ne sais pas si M. Noreau a pris part à la décision concernant M. Rovinescu, mais sa présence à la plus récente réunion du Bureau des gouverneurs (celle du 2 novembre) est confirmée par les pages Twitter du journal étudiant La Rotonde (voir http://bit.ly/1OEQCNK).*

Je ne crois pas que cela ait posé ou pose aujourd'hui de problème dans les décisions rédactionnelles du journal LeDroit, mais il y a nettement apparence de conflit… et rien n'exclut que cela puisse un jour créer de réels problèmes.

Entre-temps, y a-t-il quelqu'un, quelque part, qui va dire à cette université ce qu'elle devrait faire du PDG d'Air Canada?



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* Le service de relations avec les médias de l'Université d'Ottawa a confirmé vendredi (13 novembre) qu'une réunion spéciale du Bureau des gouverneurs de l'institution avait été tenue le lundi 9 novembre (par téléphone apparemment) pour entériner le choix de M. Rovinescu comme chancelier. L'annonce de sa nomination a été faite le jour même…



vendredi 6 novembre 2015

Entre le stylo, le papier et l'appareil photo...

Une combinaison de choix et de hasards ont fait de moi un journaliste, un rédacteur, un lecteur. Mon univers de travail aura gravité le plus souvent autour de mots, de phrases, de textes, de journaux, de magazines et de livres. C'est mon chez-moi... et j'y tiens. Mais je dois avouer que j'ai toujours eu un faible pour la photographie. Les photographes m'ont toujours semblé mener une vie plus aventureuse que nous les scribes avec nos calepins, crayons et enregistreuses…

Et s'il est vrai qu'une image vaut mille mots, l'excellent cliché d'un photographe touche plus souvent les coeurs et le cerveaux qu'une savante analyse ou un percutant éditorial. On n'a qu'à penser à la récente photo du petit réfugié de trois ans, retrouvé noyé sur une plage de Turquie. Cette image a ébranlé les sensibilités de la planète plus que les milliers de textes ou reportages publiés auparavant dans la presse mondiale.

L'occasion de photographier est sans doute l'un des motifs pour lesquels j'affectionne les voyages depuis que je suis quasiment à la retraite. J'y troque (pas complètement) le stylo pour l'appareil photo en espérant meubler un bel album à mon retour… tout en émaillant mes pages Facebook de quelques clichés quotidiens.

Je ne prétends pas avoir l'oeil ou le talent d'un «vrai» photographe, mais comme me l'affirmait récemment un ancien membre de l'équipe photographique du quotidien Le Droit, les appareils numériques ont permis à tout un chacun de devenir photographe. Il suffit de prendre des centaines, des milliers de photos… dans le lot on trouvera sûrement quelques images exceptionnelles...

le parlement hongrois à Budapest, visible sur les écrans des appareils photo

Je n'y avais pas vraiment pensé sous cet angle. Je sais que chez moi, quelques grosses boîtes sont remplies d'enveloppes et d'albums de photos. Certaines, provenant des collections de mes parents, ont plus de 70 ans. Mais les plus récentes datent de 2002… Rien après… C'est en 2002 que j'acheté mon premier appareil numérique, de marque Sony. Depuis ce temps, mes photos sont éparpillées sur quatre disques durs et une collection de clés USB… Pas très commode…

Après notre voyage en Normandie et dans la région de La Rochelle à l'automne 2013, j'ai fait imprimer quelques centaines de mes photos chez Jean Coutu (à 9 cents l'exemplaire) et j'ai confectionné un album de nos dix jours sur les routes de France. Cela donne un souvenir bien plus agréable - et plus tangible - de nos péripéties dans la mère-patrie que de s'installer devant l'écran de l'ordi et de passer en revue un diaporama du répertoire septembre-octobre 2013… ce qu'on ne fait jamais de toute façon...

Notre croisière fluviale sur le Danube et le Rhin, cet automne (2015), fera l'objet d'un nouvel album. Je me suis demandé, pendant ce voyage, comment les autres passagers conserveraient les images captées pendant ces 15 jours en Hongrie, en Slovaquie, en Autriche, en Allemagne et aux Pays-Bas… Nous étions près de 200 sur le bateau de Viking River Cruises et à peu près tout le monde prenait des photos… Même le personnel de Viking captait des images et les présentait en boucle sur de gros écrans dans le salon-bar...

en croquant un autre bateau Viking, j'ai aussi capté le reflet de Ginette qui faisait la même chose...

Il y a 20 ans, chacun, chacune, serait arrivé à bord avec une dizaine ou une vingtaine de rouleaux de film (couleur ou noir et blanc) de 24 ou 36 poses. Cela aurait limité le nombre de poses, non seulement pour s'assurer d'avoir suffisamment de film mais aussi, n'ayant pas d'écran à notre disposition, pour essayer de croquer la scène au moment qui aurait offert (du moins on l'espérait) la meilleure image. Pas question de gaspiller des poses, et on serait revenu du voyage en espérant que les rouleaux de film laissés au magasin de photo seraient à la hauteur de nos attentes. Ils ne l'étaient pas toujours…

à chaque village, château, église, la ruée photo...

Aujourd'hui, et je l'ai noté durant notre croisière, bien des passagers mitraillaient (en photo) sans réserve les paysages et les gens, du premier au dernier jour. Si on me disait que plus de 200 000 photos ont été prises durant ces 15 jours, je ne serais pas du tout surpris. Personnellement, j'en ai conservé plus de 1000… Et plusieurs de ces photos ont été affichées dans des pages Facebook et ailleurs sur Internet, à travers le monde, ce qui signifie que des milliers de parents et amis en Amérique, en Europe et en Océanie pouvaient suivre notre croisière de fleuve en fleuve, de ville en ville…

Ainsi nos photos, par l'intermédiaire des médias sociaux, deviennent-elles aujourd'hui des moyens de communication en temps réel, ainsi que d'importants outils de promotion (pour les vendeurs de telles croisières) et de marketing (pour le tourisme dans les villes et pays visités). Et c'est sans compter les échanges courriel de photos, par milliers sans doute, avec des gens qui étaient, jusqu'alors, de parfaits étrangers et avec qui des relations d'amitié se sont nouées durant 15 jours de croisière fluviale.

clic, clic, et re-clic...

À un certain moment, je n'ai pu m'empêcher d'observer le comportement des gens qui photographiaient, à bord du bateau ou durant les visites guidées des villes que nous avons foulées. Certains cherchent l'originalité et s'écartent du groupe pour photographier des décorations, une affiche murale, une statue, un arbre, une fleur ou un petit resto-terrasse… Mais souvent, on assiste à des séances de clics collectifs, la horde se ruant au même moment vers une occasion d'image recommandée par un guide… ou pour ne pas manquer un seul château sur le Rhin… moi inclus…

Enfin, quelques passagers semblaient plus professionnels et utilisaient un équipement ultra-sophistiqué… Leurs photos seront sans doute retravaillées au retour et destinées à un usage possiblement commercial. Se trouvait à bord une Américaine qui avait contribué au National Geographic. Il y aurait en effet eu durant cette croisière suffisamment de matière pour un excellent photo-reportage...

je suis surpris que personne soit tombé à l'eau en prenant des photos...

On n'échappe pas non plus à la mode répandue des égoportraits (selfies). Même Ginette et moi s'y sommes prêtés à quelques reprises. Ce que je n'avais jamais vu, cependant, c'est cet étrange machin qu'on appelle communément selfie stick, une espèce de rallonge avec connexion à l'appareil photo (le plus souvent un téléphone intelligent ou un iPod ou quelque chose du genre) qui permet de prendre un égoportrait à une distance plus éloignée que l'extension normale du bras… Fascinant...

Un des fameux selfie sticks à un mariage, à Cologne (Allemagne)

Voilà maintenant près d'un mois que nous sommes de retour à Gatineau, où les occasions de photo se font plus rares... mais j'y traîne toujours mon iPod au cas où…

Hier, cependant, en tentant pour la xième fois de nettoyer le garage, je suis tombé sur les appareils photo de mon père… d'excellents 35 mm d'une autre époque, bien conservés dans des sacs et étuis empoussiérés… Je serais tenté d'en essayer un, mais je ne sais même pas si des magasins vendent toujours des rouleaux de film et si des endroits comme Costco ou d'autres les développent… J'ai brièvement feuilleté les pages jaunes du Web pour découvrir, en passant, qu'il semble toujours exister un «centre de la diapo» dans le secteur Hull de Gatineau…

J'me demande si je pourrais réussir à connecter un vieux Pentax de mon père à un selfie stick… En français, apparemment, on dit «manche pour égoportraits»...




mercredi 4 novembre 2015

L'assermentation du cabinet de Justin Trudeau: la puissance des symboles

photo du site Web du premier ministre Justin Trudeau

J'ai passé l'avant-midi du 4 novembre à alterner entre Radio-Canada et CBC, pour voir en direct la transition au gouvernement de Justin Trudeau. Au-delà de l'ambiance presque festive qui semblait régner au sein des deux réseaux publics de télévision, de toute évidence heureux de ne plus avoir à subir la mine patibulaire de Stephen Harper, une chose m'est apparue plus claire que jamais: la puissance des symboles... et leur utilisation pour séduire l'opinion publique.

En attendant de pouvoir juger la substance de ce nouveau gouvernement, on peut au moins apprécier l'aisance avec laquelle il a, ce matin de novembre, à Ottawa, manipulé l'image et le symbolisme - contrairement à ses prédécesseurs. Évidemment, le beau temps et un redoux de novembre, presque un été des Indiens, ajoutait énormément de couleur au décor de la résidence du Gouverneur général. Une température semblable au début de novembre est rare, très rare… Mais il y avait plus.

Voici quelques éléments de symbolisme, sans doute voulus, qui ressortaient très clairement et qui seront sans doute de nature à accentuer la lune de miel dont profiteront les troupes libérales après les neuf années Harper:

1) l'ouverture au public. Les citoyens avaient été invités à un terrain qui leur est habituellement interdit, à un événement qui - par les temps qui courent - aurait pu se dérouler derrière un épais cordon policier. L'enthousiasme de la foule, tout de même assez nombreuse compte tenu de l'absence quasi totale de stationnement dans les parages du 24 Sussex et de Rideau Hall, transporté par la télé aux quatre coins du pays, renforce de message d'accueil et d'ouverture.

2) l'arrivée à pied de Justin Trudeau et de sa cohorte de ministres sous une haie d'honneur de citoyens, plutôt qu'à la porte de la Résidence du GG en limousines (la puissance de l'image décuplée par le brillant feuillage automnal et une matinée ensoleillée), pouvait être perçue dans l'opinion publique comme le rejet d'un certain élitisme et l'adoption d'un comportement plus proche de la classe moyenne. 

3) la nomination de 15 hommes et 15 femmes à son conseil des ministres transmet un puissant message d'égalité des sexes, surtout en tenant compte du fait que les femmes sont fortement minoritaires au sein de sa députation. Il devra cependant expliquer comment cette égalité, qu'il respecte scrupuleusement au gouvernement, ne s'applique plus à l'examen de certains comportements socio-religieux (p. ex. l'acceptation d'un vêtement comme le niqab qui consacre l'infériorité de la femme).

4) la relative jeunesse du personnel de son cabinet (certains ministres ont moins de 40 ans et Justin Trudeau lui-même n'a que 43 ans) signale le transfert d'un certain pouvoir à une nouvelle génération, et le départ graduel des baby boomers. Cela crée cependant des attentes au sein du public, qui risque d'être déçu si après quelques années, c'est du pareil au même…

5) l'ouverture aux journalistes. Déjà annoncée durant la campagne électorale, l'attitude de Justin Trudeau envers les médias contredit carrément l'hostilité et la culture du secret imposée sous Stephen Harper. Même les ministres auront désormais le droit de rencontrer les journalistes sans l'imprimatur du chef. Cela donnera, au moins pour un temps, une presse généralement sympathique…

6) l'ouverture aux médias numériques. Les médias sociaux ont été largement investis par les libéraux durant la campagne et voilà qu'immédiatement après l'assermentation, le nouveau premier ministre se prête à un Google hangout (expression que je ne connaissais pas), un genre de dialogue audiovisuel sur Internet avec des groupes de jeunes. Cela signale un changement majeur de culture technologique, et favorise l'image d'un gouvernement carrément planté dans le 21e siècle.

7) les changements climatiques… Parfois une petite modification du nom d'un ministère symbolise toute l'ampleur du changement de la philosophie par rapport au gouvernement précédent. Ainsi le simple fait de renommer le ministère de l'Environnement en l'appelant «ministère de l'Environnement et des Changements climatiques» affirme comme priorité un phénomène dont Stephen Harper niait presque l'existence. Et le fait de nommer une scientifique ministre de la Science change radicalement le ton par rapport aux conservateurs qui avaient offert au Canada un Bureau de liberté des religions…

8) Le message de multiculturalisme était très clair, tant par l'apport des cultures autochtones que par la présence de ministres originaires d'autres pays (Inde, Afghanistan). Par contre, à part l'alternance des lectures en anglais et en français, rien ne symbolisait le caractère plurinational du pays, ce rapport Québec-Canada, cette relation francophone-anglophone qui est la raison-d'être du régime fédéral qu'on voudrait nous faire célébrer en 2017… Cette absence est tout aussi révélatrice…





Identité(s)? Faut-il surveiller les radars?

Si ce n'étaient que des paroles qui s'envolent, on pourrait passer à autre chose, sans plus. Mais non, les propos de Jean-Marc Fournier sur le Québec et la francophonie canadienne font l'objet de reportages médiatiques et sont consignés tant sur le Web que dans la presse écrite. Or ces écrits restent. Quelqu'un pourrait les lire, aujourd'hui ou dans 200 ans, et croire que c'est là parole d'évangile…

Récemment, dans un texte d'opinion presque risible qu'il signait dans les pages du Devoir, notre ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes affirmait sans explication qu'il y avait au Canada hors-Québec 2,6 millions de francophones et francophiles (mon blogue à http://bit.ly/1G57j1I), et ajoutait que ceux-ci pouvaient compter sur un Québec où «les progrès du français sont évidents». Je le cite: «Nier (que le français) se porte relativement bien au Québec est le fruit d'un aveuglement volontaire.» Non, mais d'où sort-il?

La vague de francisation issue de la Loi 101, c'est du passé. Une partie de la Charte de la langue française a été charcutée par les tribunaux et l'esprit même de la Loi 101 moisit dans les poubelles de négligence des gouvernements libéraux anglophiles de Jean Charest et Philippe Couillard. Montréal peine à demeurer majoritairement francophone et l'érosion du français se fait sentir dans la couronne montréalaise, ainsi que dans l'Outaouais. Et c'est sans parler de la qualité de notre français dans une société où l'analphabétisme fonctionnel frise le seuil des 50%...

Quoiqu'il en soit, voilà que M. Fournier récidive. Cette fois ses propos mémorables sont captés par #ONfr, le service dynamique de nouvelles en français de TFO, le réseau de télé franco-ontarien. Évoquant le rapprochement actuel entre le gouvernement québécois et les francophones en milieu minoritaire, le ministre Fournier y va de cette déclaration troublante: «il y a peut-être un tournant qui est en train de se faire effectivement. La jeunesse québécoise a changé et est beaucoup plus ouverte. Elle a une volonté d'additionner les identités plutôt que de s'en réserver une seule.»

Tel un apprenti sorcier qui manie imprudemment la magie de concepts qui lui semblent étrangers, notre ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes lance son grain de poivre dans la marmite identitaire. Difficile à saisir toute la portée de son affirmation, mais ce qui lui paraît sûr, c'est que la jeunesse québécoise est à un tournant, et qu'elle a désormais «une volonté d'additionner les identités plutôt que de s'en réserver une seule»… et que cela semble beaucoup plaire à M. Fournier…

S'il est sérieux et qu'il parle bien d'identité, j'espère bien qu'il se trompe. Il manie ici un concept dangereux. Qu'un individu puisse assumer une double ou une triple identité culturelle se conçoit aisément. L'enfant d'un Allemand et d'un Français, par exemple, connaîtra sans doute les deux langues et ressentira une appartenance aux deux lignées ancestrales. Mais il n'y a pas de double identité collective durable. Quand un tel phénomène survient, il signale une transition collective, le passage collectif d'une ancienne identité, trop faible, vers une nouvelle identité, plus forte et plus agressive.

On a découvert dans les années 1990, chez les Franco-Ontariens, qu'une forte proportion des 18 à 24 ans ne se disaient plus franco-ontariens, canadiens-français ou même francophones… mais bilingues. Une double identité. Et dans cette double identité, l'anglais domine. L'espace d'une génération ou deux, la double identité disparaît et l'on se retrouvera avec des groupes largement unilingues anglais… Les exemples les plus extrêmes existent déjà quand on regarde l'exemple historique de Windsor (Ontario), ou encore l'évolution actuelle de la région de Cornwall…

Une étude des recensements fédéraux le démontre hors de tout doute. Plus la proportion de francophones bilingues augmente à un endroit, plus il y a un glissement identitaire et des transferts linguistiques vers l'anglais. Ce n'est pas une opinion ou une interprétation. C'est un fait.

J'espère alors que le ministre ne parle pas réellement d'identités ou de langue, mais d'allégeances politiques. Ce serait déjà un peu plus rassurant. Dans une lettre datée du 30 octobre, publiée dans le Huffington Post Québec ainsi que dans Le Devoir (http://bit.ly/1MKjBPW), ce même ministre Fournier en rajoute, avec peut-être quelque élément de précision. Je le cite:

«Nous ne voulons plus d'une identité unique. La crainte de voir l'identité de l'autre nous submerger s'estompe. Nous ne voulons pas être enfermés dans une seule appartenance. Notre allégeance québécoise n'est en rien diminuée par une appartenance canadienne. Nous voulons toujours être maîtres chez nous, sauf que, sortis de la crainte de l'autre, on redécouvre un territoire d'attachement plus large. Nous avons plus d'un chez-nous.»

Je laisserai tomber les erreurs historiques et actuelles dans cette analyse fautive de nos rapports avec le reste du Canada pour insister sur le fait que M. Fournier semble ici considérer comme synonymes identité, appartenance et allégeance. Bien sûr ils ne le sont pas mais cela aide à pénétrer le tortueux labyrinthe conceptuel du ministre. Si ses propos ne visent essentiellement qu'à légitimer la double allégeance québécoise et canadienne, nous sommes en terrain connu et le débat se poursuit. Mais s'il y a plus, si le ministre perçoit et se réjouit de modifications identitaires profondes, si nous sommes vraiment à un tournant, l'avenir du Québec français est en jeu.

Il faudrait sans doute analyser davantage l'évolution des jeunes Québécois, pour approfondir le sens du recul des sympathies souverainistes dans cette génération, pour voir si M. Fournier, dans son enchevêtrement langagier, n'aurait pas effleuré le symptôme d'un mal plus menaçant… La jeunesse québécoise peut bien, si elle le veut, cumuler les allégeances… mais si, collectivement, elle se met à additionner les identités, nos jours comme nation sont comptés. 

J'ai la conviction qu'elle n'est pas rendue là. Mais il faudrait peut-être surveiller les radars…



mardi 3 novembre 2015

La souveraineté du Québec: délaissée, ou extirpée?

Ce matin, pour une rare fois, un titre du Devoir m'a beaucoup déçu. Disons qu'avant de me décevoir, il m'a coupé le souffle. «Les forces vives de la société délaissent la souveraineté du Québec»… Quoi? Les «forces vives», cette masse d'individus et d'organisations qui contribue le plus à améliorer la société (c'est le sens habituel de «forces vives»), aurait été souverainiste et maintenant elle délaisse l'option qu'elle appuyait jadis?

Mais c'est énorme comme affirmation, et c'est faux. Si le responsable du titre s'était contenté d'affirmer que les milieux les plus favorables au projet d'indépendance en 1995 l'étaient dans une proportion moindre aujourd'hui, c'eut été un moindre mal. Mais non. Un des maux du journalisme actuel est de trop souvent de s'éloigner des faits, et de mal interpréter ceux que l'on conserve. Allons y point par point.

D'abord situons l'événement. Il s'agit d'une conférence d'un sociologue de l'Université Laval, Simon Langlois, prononcée dans le cadre d'un colloque intitulé «La démocratie référendaire dans les États plurinationaux», les 29 et 30 octobre. L'auteur du texte, Robert Dutrisac, y va de façon bien plus précise dans son premier paragraphe:

«Les porteurs de l'élan souverainiste, ces francophones actifs de la classe moyenne qui avaient voté Oui à 70% lors du référendum de 1995, ne sont plus que 40% à embrasser l'option. Les femmes dans ce groupe ont délaissé le projet souverainiste dans une plus grande proportion que les hommes tandis que l'appui des jeunes à l'indépendance s'est érodé.»

De «porteurs de l'élan souverainiste» à «forces vives de la société», il y a tout un pas que les faits tels que présentés n'autorisent pas à franchir. Je ne suis pas sociologue, mais je suis prêt à parier que des milliers de Québécois non-souverainistes font et faisaient partie des «forces vives de la société»… Des syndicalistes, des membres d'associations communautaires, des travailleurs et travailleuses de la santé, de l'éducation, et bien d'autres… Dans ces milieux bien des gens se mobilisent pour améliorer la société mais tous, toutes ne sont pas indépendantistes… Loin de là...

Une bonne partie de ces «porteurs de l'élan souverainiste» comptaient sans doute parmi les «forces vives de la société», mais d'autres qu'eux, partisans d'options divergentes, les côtoyaient dans ce noyau sociétal actif. Ainsi, laisser entendre - comme dans le titre du Devoir - que les «forces vives de la société» étaient globalement souverainistes constitue une affirmation erronée.

Le deuxième élément contestable de ce titre, c'est le mot «délaissent». Au strict sens littéral, j'imagine que l'emploi de ce terme se défend. Ce que j'aime moins, c'est qu'il suggère: que l'abandon ou l'éloignement de l'option souverainiste émane de la volonté individuelle ou collective de ces gens qui, en 1995, appuyaient le «Oui».

N'ayant pas lu le texte original de la conférence de Simon Langlois, je ne sais pas s'il aborde cet aspect de la question. Dans le papier du Devoir, l'impression laissée, tant par l'interprétation des données statistiques que par quelques commentaires rapportés de M. Langlois, c'est que le PQ et le projet d'indépendance de 1995 étaient en partie vus comme «un projet de transformation de la société» et qu'aujourd'hui, ils le sont nettement moins, notamment sous la direction de Pierre Karl Péladeau.

D'autre part, évoquant la diminution marquée de l'appui à la souveraineté chez les 18 à 24 ans (de 55% en 2001 à 32% ces dernières années), le texte pointe du doigt deux groupes de jeunes: les capitalistes en herbe, qui «n'ont pas besoin de l'indépendance pour réussir», et les gauchistes pour qui le projet du PQ est un peu «ringard»… Quant au reste des jeunes (la majorité sans doute), on ne sait pas trop.

Je reviens au mot «délaisser», qui me chicote. Depuis 1995, la société québécoise a vécu dans un monde où les gouvernements fédéral et québécois (ce dernier depuis 2003) ont martelé sans arrêt - avec l'appui très majoritaire des grandes pages d'opinion médiatiques - un message résolument anti-souverainiste et occasionnellement (surtout d'Ottawa) anti-québécois. Cela aurait-il eu un effet plus que marginal sur l'évolution de l'opinion publique?

Le texte du Devoir affirme que les jeunes ont «une profonde identité québécoise» (aucune proportion mentionnée ici) et pourtant, les recensements fédéraux successifs démontrent une érosion de la langue française, et ce, même dans certaines régions du Québec, notamment dans la grande région montréalaise et en Outaouais. Les taux croissants de bilinguisme dans certaines régions annoncent un processus d'assimilation que connaissent bien les minorités francophones hors-Québec ainsi qu'un glissement identitaire qui se manifestera davantage dans la prochaine génération.

Je n'ai pas de certitudes concernant ces phénomènes, mais j'ai la conviction qu'à l'affirmation «les forces vives de la société délaissent la souveraineté» on pourrait substituer «la souveraineté a été extirpée des forces vives de la société» et que l'opposition des deux thèses susciterait un débat pertinent. Je pense qu'une question à M. Langlois sur le rôle de la propagande gouvernementale et du martèlement médiatique n'aurait pas été de trop…

Personnellement, je trouve assez remarquable, dans la situation de relative impuissance où se trouvent les organisations souverainistes depuis le référendum de 1995, que l'appui à l'indépendance du Québec se maintienne à des niveaux aussi impressionnants. La légère - mais réelle - remontée du Bloc québécois le 19 octobre montre que même sans appui médiatique et face à de fortes vagues contraires, le message souverainiste reste actuel et convaincant.

Et j'ajouterais, comme conclusion, que s'il est vrai que les appuis à la souveraineté ont diminué depuis 1995, rien (dans ce texte ni ailleurs) ne démontre que l'appui au fédéralisme (concept que peu de gens comprennent) a augmenté. Le mouvement d'opinion m'apparaît plus comme un sentiment anti-séparatiste que pro-canadien. C'est une force d'immobilisme qui sert bien les gouvernements libéraux actuels, mais qui peut difficilement être associée aux forces vives de la société… Entre rejeter l'indépendance et s'engager à contribuer au renouveau de la fédération canadienne, il y a un pas que très, très peu de Québécois ont franchi…