jeudi 28 janvier 2016

Fini le temps des politesses...

Les étudiantes et étudiants franco-ontariens qui militent pour une université de langue française dans leur province poursuivent leur dur apprentissage des réalités politiques de l'Ontario. En 2012-2013, sous l'impulsion du RÉFO (Regroupement étudiant franco-ontarien) et à la suite de consultations dans toutes les régions de cette province grande comme un pays, ils avaient en mains un mandat légitime leur permettant de réclamer pour les francophones l'élément manquant de leur réseau scolaire: un palier universitaire sous gouvernance franco-ontarienne.

Sur le plan des principes, la victoire était à toutes fins utiles acquise, presque sans combat. Les Anglo-Québécois avaient trois universités bien à eux. Les Acadiens ont la leur. Les Franco-Manitobains aussi. Les francophones de l'Ontario ont bien une petite université à Hearst, mais la masse des étudiants et étudiantes universitaires ontariens de langue française étudie ailleurs (surtout à Ottawa, ainsi qu'à Sudbury) dans des institutions bilingues à forte majorité anglaise, ou carrément dans des universités de langue anglaise… L'injustice est flagrante… et reconnue!

Le fruit était mûr et l'excellent début de mobilisation amorcé par le RÉFO, auquel se sont joints la FESFO (étudiants au secondaire) et l'AFO (Assemblée de la Francophonie de l'Ontario), permettait tous les espoirs d'une rapide décision de principe du gouvernement ontarien, suivie à court terme de mesures concrètes devant aboutir à la création d'un réseau universitaire de langue française, mais surtout d'un réseau sous gouvernance franco-ontarienne. «Par et pour les francophones dans une institution qui nous appartiendra à 100%», clamait le RÉFO au début de 2013.

Or nous voici désormais en 2016, rien n'est acquis, et le brasier qui menaçait d'enflammer le paysage politique ontarien (pan-canadien?) il y a quelques années est réduit à l'état de braises plus ou moins fumantes qu'un «appel à l'action» du RÉFO, de la FESFO et de l'AFO (voir http://bit.ly/20vSbQU) tentera d'attiser au cours des prochaines semaines, en vue d'un rassemblement à l'Assemblée législative de l'Ontario, à Toronto, le 18 février. Réussira-t-on? Il faut le souhaiter, mais le fait qu'on en soit là reste désolant.

Les organisations étudiantes et leurs alliés ont commis des erreurs stratégiques de parcours qui ont diminué l'urgence de régler le dossier (on s'est mis à lancer la nébuleuse date de 2024…) et la portée des enjeux (priorité à un quelconque campus dans la région de Toronto). Il fallait décrocher le gros lot dès le départ, et ne pas céder un pouce de terrain. C'est la seule façon d'agir avec des gouvernements ratoureux qui bénéficient d'une expérience centenaire à mener (et gagner) des guerres d'usure contre des regroupements citoyens mal équipés sur le plan politique…

Dès 2013, ils auraient dû comprendre ce qui les attendait. Dans son discours du Trône, la première ministre Wynne paraissait optimiste quand à l'éventualité d'une université de langue française mais à peine quelques jours plus tard, elle ramenait tout le monde à la réalité, affirmant que le gouvernement ne s'était engagé qu'à «élargir la disponibilité des programmes d'études» post-secondaires en français dans le centre-sud-ouest de l'Ontario… Un pas en avant, neuf-dixièmes de pas en arrière…

En éditorial dans Le Droit (http://bit.ly/1nquTgX), j'avais averti le RÉFO et ses alliés de ne «pas se laisser prendre à ce petit jeu d'usure auquel des gouvernements ontariens successifs se livrent depuis un demi-siècle. On offre des miettes et on découvre vite que c'est déjà trop. Limiter l'offre au centre-sud-ouest de l'Ontario, c'est oublier que les forces vives de l'Ontario français, au post-secondaire, sont concentrées dans l'est et le nord ontariens.

«Une solution qui n'englobe pas des institutions comme l'Université d'Ottawa et l'Université Laurentienne, entre autres, est inacceptable sur le plan même des principes. Le collège Glendon (à Toronto) peut constituer une première étape, bienvenue par ailleurs, mais s'arrêter là c'est signer l'arrêt de mort du projet. Peut-être pour toujours.»

Au lieu de mettre le pied sur l'accélérateur et de foncer droit devant, les étudiants franco-ontariens ont mis fin au processus de consultation et de mobilisation en octobre 2014 avec le sommet des «États généraux sur le post-secondaire en Ontario français», où l'on sentait déjà une baisse de régime et un déficit d'unité entre les différentes régions de la province (comme toujours). Quand la demande officielle est venue au début de 2015, les médias ont sans doute retenu l'essentiel: on ne demandait guère plus, à court terme du moins, qu'un campus dans la région de Toronto… Déception... (voir http://bit.ly/1MdBcwo).

Même cette toute petite demande était vue comme trop ambitieuse par la ministre des Affaires francophones, Madeleine Meilleur, qui avait déjà écarté Ottawa comme coeur de l'université franco-ontarienne éventuelle, affirmant que l'Université d'Ottawa desservait très bien les francophones. Personne, dans les milieux officiels, n'a répliqué de front à cette insulte. Et voilà le recteur Allan Rock, de l'Université d'Ottawa, qui écrit dans Le Droit que les Franco-Ontariens n'ont pas besoin d'université, qu'ils en ont déjà une: la sienne! Et personne, dans les milieux officiels, n'a répliqué à cette insulte…


L'Université d'Ottawa a de nouveau démontré toute l'affection qu'elle a pour les francophones en nommant récemment comme chancelier Calin Rovinescu, PDG d'Air Canada, l'organisme le plus blâmé par Graham Fraser pour ses violations répétées à la Loi sur les langues officielles… Encore une fois, à l'exception du RÉFO, silence dans les organisations franco-ontariennes…

Il y a quelques jours, l'équipe d'#OnFr (TFO) a interviewé la première ministre Kathleen Wynne sur le projet d'université franco-ontarienne et elle a essentiellement répété, sans plus, les platitudes énoncées en 2013… L'important, ce sont les services et programmes en français (et n'oubliez pas, on parle ici seulement de la région de Toronto)… Y aura-t-il un campus ou même un édifice? Sais pas. Où et quand le projet se concrétisera-t-il? Sais pas…

À l'émission Couleurs locales d'UnisTV, le 24 janvier, le professeur François Charbonneau, de l'Université d'Ottawa, l'un des codirecteurs du livre Le siècle du Règlement 17, paru en 2015, aura été l'un des premiers du milieu universitaire francophone à élever la voix contre ce projet d'installer le campus d'une université de langue française à Toronto. Il préférerait voir un développement à Ottawa, dans une région où la collectivité franco-ontarienne a des assises plus solides et où la demande est la plus forte (13 000 étudiants francophones à l'Université d'Ottawa).



Si, comme l'affirment le RÉFO, la FESFO et l'AFO dans leur communiqué conjoint du 27 janvier 2016, ce projet d'université de langue française doit «forger l'avenir de la francophonie ontarienne», il faut rectifier le tir actuel et revenir à l'enthousiasme et à la globalité des revendications de départ, en 2012. Dire sans retenue à Mme Wynne et à Mme Meilleur et à l'ensemble du pays que les regrets proposés pour le Règlement 17 ne valent pas grand chose tant que l'Ontario n'accorde pas aux Franco-Ontariens la gouvernance «entière» de leur réseau scolaire… y compris l'universitaire.

Et si, pour réparer cette injustice, l'Université d'Ottawa doit assumer une variante de ce qu'a subi le Collège Algonquin quand on a enfanté La Cité collégiale (devenue La Cité), eh bien, ainsi soit-il. Le temps des politesses et d'une fine diplomatie est largement dépassé. Un combat de survie est en cours et l'universitaire constitue l'une des pièces maîtresses. Mobiliser? Bien sûr! Il faut souhaiter que des milliers de francophones se rendent à Toronto le 18 février. Mais pas seulement pour un petit campus dans un coin de la province où le français sera toujours marginal…


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Ce que le RÉFO a accompli jusqu'à maintenant constitue un exploit peu commun dans l'histoire franco-ontarienne. On ne peut que lui souhaiter de réussir, et espérer que le débat sur les stratégies en vue  d'atteindre l'objectif d'une grande université de langue française permette de mobiliser davantage la collectivité ontaroise.












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