mardi 12 janvier 2016

Les Passe-Partout de Noël...


Le 22 décembre dernier, un de mes petits-fils, Cédric, qui a quatre ans, a subi une chirurgie majeure à l'aorte. L'intervention a bien réussi et sa convalescence se déroule normalement. Mais ce n'est pas cela que je veux aborder. Ses parents ont dû le retirer de la garderie plusieurs semaines avant son admission à l'hôpital (pour lui éviter les maladies saisonnières contagieuses…) et il devra patienter jusqu'à la fin de janvier avant de pouvoir y retourner.

Bien sûr, dans la quête de gardien(ne)s pour assurer une certaine suppléance à la maison, les grands-parents sont occasionnellement mis à contribution. J'ai donc passé cinq ou six journées avec Cédric, et, au-delà de l'écoute perpétuelle du répertoire entier des «Petites Tounes», ce cher enfant m'a fait redécouvrir les émissions de la série «Passe-Partout»… que mes trois filles écoutaient presque religieusement quand elles étaient d'âge préscolaire…

Mon petit-fils affectionne particulièrement le DVD des émissions de Noël, tourné en 1978 par Télé-Québec. Il les connaît par coeur… sans blague! Mais ce qui m'a frappé le plus en les visionnant avec lui, c'est à quel point ces Passe-Partout incarnent une époque précise, ce bref moment de notre histoire où, propulsé par le dynamisme du premier mandat de René Lévesque, le «nous» traditionnel a brillé peut-être pour une dernière fois au petit écran, avant que le rouleau compresseur d'une certaine rectitude politique multiculturelle ne fasse son oeuvre.

Le monde a bien changé en 35 ans. Tant les télévisions d'État que les réseaux privés ne produiraient plus ce que j'ai revu en compagnie de Cédric. Dès le début de la première émission, celle d'avant-Noël, le personnage de grand-mère (Kim Yaroshevskaya) raconte l'histoire de Joseph, Marie et Jésus, et l'on entend par la suite la chanson Entre le boeuf et l'âne gris. Les thèmes dominants - l'amour, le partage, les réunions de famille, etc. - sont toujours présentés comme une émanation de Noël. Il n'est pas question ici d'un temps des fêtes plus ou moins défini, mais bien de Noël… Les dizaines de «Joyeux Noël» à répétition en attestent…

Ces Passe-Partout restent une image précieuse d'un court «entre-deux» où la transition identitaire québécoise évoluait toujours dans une certaine continuité. On n'y montre pas de messe de minuit ou des familles de dix enfants à table dans un décor rustique, mais le lien de parenté avec le passé canadien-français-catholique reste clair. Le caractère à la fois religieux et laïc de Noël est présenté en milieu urbain, à Montréal, dans un quartier modeste où les deux parents travaillent et où les enfants fréquentent une garderie. On voit tout en douceur l'apparition de familles monoparentales ainsi que d'enfants d'autres races.

Après avoir écouté le personnage de Passe-Partout (Marie Eykel), vêtue d'une peau de mouton, chanter D'où viens-tu bergère avec Passe-Carreau (Claire Pimparé), Passe-Montagne (Jacques L'Heureux) et le reste du groupe réuni chez grand-mère, je me suis demandé de quelle façon on referait cette émission si Passe-Partout renaissait de ses cendres en 2016… au beau milieu d'un combat de valeurs sociétales et étatiques marqué par une opposition parfois vive entre partisans de la laïcité-neutralité et tenants d'un multiculturalisme à teneur religieuse variable… 

À mon âge (69 ans), j'ai connu - dans mon petit quartier, jadis canadien-français, à Ottawa - l'époque d'un Noël essentiellement religieux, ayant même servi la messe de minuit comme enfant de choeur, me souvenant de mon oncle Aurèle Desrochers entonnant le Minuit Chrétien, la moitié de la paroisse sur le perron de l'église en pleine nuit, veiller jusqu'aux petites heures au réveillon chez mes grands-parents… Ces Passe-Partout ont capté quelques parfums de cette époque révolue où nous partagions davantage un vécu collectif et ses racines… même en ville.

Aujourd'hui, j'ai la conviction que l'État québécois et ses émanations doivent, au-delà du maintien du français comme langue commune, respecter une rigoureuse neutralité et une laïcité sans exceptions pour accueillir toutes les tendances culturelles et religieuses qui évoluent dans notre société. Mais en regardant les Passe-Partout de Noël, je me suis dit que cette neutralité-laïcité devait s'implanter sans tuer ce qui, dans cet ancien «nous», a contribué à façonner notre nation, et lui a légué cette merveilleuse étincelle identitaire qui fait qu'on se reconnaît toujours entre nous... et qui propose à l'étranger l'accueillante spécificité de notre coin d'Amérique du Nord.

À la prochaine, Cédric!


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