mercredi 9 mars 2016

Nés pour un petit pain...


Les flammes de la plus récente mobilisation en faveur de la création d'une université (ou d'un réseau universitaire) de langue française en Ontario, entreprise par un noyau dynamique du Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO) en 2012, sont désormais réduites à l'état de braises. Et les événements de la dernière semaine donnent à croire que ces braises se refroidissent à vue d'oeil…

Tout était pourtant si bien parti il y a quatre ans, avec la ferme volonté d'assurer au post-secondaire ontarien des institutions universitaires «par et pour» les francophones, comme cela existe déjà au primaire, au secondaire et au collégial. Mais depuis deux ans, la portée des demandes rétrécit, le ton s'adoucit, le gouvernement tergiverse, les étudiants s'essoufflent et le résultat, c'est que rien n'avance.

L'insistance du RÉFO et alliés (l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario et la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne) à cibler prioritairement la grande région torontoise et le sud-ouest ontarien pour l'implantation d'un premier campus n'est certainement pas étrangère au peu d'intérêt que la manifestation du 18 février à Queen's Park a soulevée dans l'est et le nord de la province, où l'on retrouve l'immense majorité des étudiants et étudiantes universitaires francophones.

Preuve additionnelle que le projet s'effrite, en fin de semaine le Conseil des délégués de l'Association des étudiants francophones (AÉF) de l'Université Laurentienne de Sudbury - avec Ottawa, une des deux grandes universités bilingues de l'Ontario - s'est désolidarisé du mouvement, annonçant officiellement son opposition au projet d'université franco-ontarienne (http://bit.ly/1p6v8OV)! Et pendant ce temps, depuis quatre ans, c'est plus ou moins le silence dans les rangs estudiantins à l'Université d'Ottawa, qui abrite 13 000 étudiants et étudiantes de langue française (sur un total de 16 000 en Ontario).

Les partisans d'une reprise de la mobilisation en faveur d'un «par et pour» mur à mur ont  pu brièvement reprendre espoir quand le président de la FESFO (Fédération de la jeunesse franco-ontarienne), Jérémie Spadafora, est revenu en force sur la gouvernance francophone du réseau universitaire, une gouvernance qui, dit-il, «n'est pas présente dans les institutions bilingues» (l'Université d'Ottawa et l'Université Laurentienne).

Mais l'espoir aura été vite déçu avec la déclaration de Geveniève Borris, coprésidente du RÉFO, rapportée lundi dans le quotidien Le Droit (http://bit.ly/1QAbd4q). Plutôt que de remettre le train sur les rails et fustiger le gouvernement Wynne pour son inaction, elle dit se réjouir de «l'ouverture» de la ministre des Affaires francophones… Or, cette dernière a déjà exclu la possibilité pour la future université d'avoir pignon sur rue à Ottawa, ou même de concurrencer les universités bilingues… Que reste-t-il du «par et pour»…

En plus de se réjouir, Mme Borris avance que Toronto serait le lieu idéal pour une université de langue française parce que d'ici dix ans (en 2026 donc…) «50% de la population francophone en Ontario sera à Toronto et dans les municipalités environnantes du sud et centre-ouest, telles que London et Windsor». C'est abracadabrant…

Encore une fois, on joue avec des chiffres sans en saisir le sens. Quelle combinaison de statistiques du recensement fédéral utilise-t-on? La Fédération des communautés francophones et acadienne avance souvent pour l'ensemble du hors-Québec 2,6 millions de francophones, mais elle inclut dans cette extravagance tous les anglophones et allophones qui connaissent le français… Si on s'en tient aux gens de langue maternelle française, on chute sous la barre du million et avec les chiffres de la langue d'usage (la langue la plus souvent parlée à la maison), c'est moins de 600 000…

En Ontario, cela donne, au recensement de 2011, 1 438 785 personnes capables de communiquer en français, mais seulement 493 300 Ontariens de langue maternelle française, et à peine 284 115 dont le français est la langue principale au foyer… Si on s'en tient à la langue maternelle, les régions d'Ottawa et de Prescott-Russell dans l'est, avec les régions de Sudbury, Nipissing et Cochrane dans le Nord, abritent plus de 55% des Franco-Ontariens, contre à peine 10% dans les régions de Toronto, London et Windsor. Avec les données sur la langue d'usage, le déséquilibre s'accroît, avec près de 70% des francophones dans l'est et le nord, contre seulement 7% dans les trois grandes régions citées par Mme Borris…

Ce déséquilibre accru s'explique par les taux d'assimilation, faibles ou modérés dans l'est et le nord, sauf à Sudbury où c'est plus inquiétant, et dramatiques dans le centre-sud-ouest, partout au-dessus de la barre des 50% et bien pire à Windsor… Que les francophones de ces régions aient droit eux aussi à un campus universitaire de langue française, cela va de soi, mais que le RÉFO mise en premier sur ces régions où la majorité des francophones se font assimiler en quelques générations et forment moins de 2% de la population, c'est à n'y rien comprendre. Et dans dix ans on y trouvera près de la moitié des Franco-Ontariens? Vraiment?

Si la coprésidente du RÉFO n'a pas été mal citée (c'est toujours possible…), il semble qu'en dépit des leçons du dernier siècle et de générations de lutte, on soit encore «né pour un petit pain»… 


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