lundi 21 mars 2016

Senatus populusque… *

Le Sénat du Canada

Le jour où les Québécois et l'ensemble des Canadiens croiront vraiment à la démocratie, on prendra l'architecture vétuste qui gouverne la constitution du pays et on la rangera là où elle mérite depuis longtemps d'être rangée: à la poubelle… bon, disons au bac de recyclage…

J'ai beau espérer un Québec souverain, on ne le voit toujours pas à l'horizon. Ce jour où nous déciderons de nous donner un pays à notre image, on créera - je l'espère aussi - un régime constitutionnel qui reconnaîtra les citoyens (et non un monarque) comme autorité suprême de l'État. Mais entre-temps, on peut, sans perdre de vue l'objectif, contester l'absurdité de la distribution actuelle des pouvoirs au sein de la Confédération canadienne.

Il n'est pas difficile de démontrer à quel point le système actuel, du point de vue démocratique, reste foncièrement vicié. En 1977, par exemple, un gouvernement élu par le peuple québécois faisait adopter à l'Assemblée nationale la Loi 101, notre Charte de la langue française. Or, depuis ce temps, notre principale loi linguistique a été contestée et charcutée à diverses reprises:

* par une Cour suprême où les juges, à l'occasion unilingues anglais, sont nommés par un premier ministre fédéral dont l'élection est assurée par une majorité anglo-canadienne, et qui se voit investi des vieux pouvoirs de nomination du monarque, reproduits en 1867 dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique;

* en invoquant, entre autres, des articles d'une Charte canadienne des droits et libertés négociée contre le Québec entre représentants d'un gouvernement fédéral hostile et des neuf provinces à majorité anglaise, Charte qui reconnaît la suprématie de Dieu (et donc de la Reine britannique, qui le représente à titre de chef de l'Église anglicane) au lieu de la suprématie du peuple.

Ces derniers jours, le premier ministre Trudeau a nommé sept nouveaux sénateurs. Dans les médias, on a surtout multiplié louanges et critiques (selon les points de vue) à l'endroit des personnes nommées, ce qui - il me semble - constitue un tir à l'extérieur du filet. Qu'André Pratte soit ou non indépendant par rapport au Parti libéral n'a aucune importance. Ce qui compte c'est que lui et les six autres aient été «nommés», et qu'on leur ait confié un pouvoir qui peut être utilisé contre les élus de la Chambre des communes. Stephen Harper l'a lui-même fait, d'ailleurs, il y a quelques années.

Les seules personnes démocratiquement habilitées à légiférer au nom des citoyens du Canada ou du Québec sont les députés ayant reçu un mandat du peuple par voie électorale. La Chambre haute, tous les historiens en conviennent, a été créée par des politiciens de la seconde moitié du 19e siècle, inféodés à l'Empire britannique et à ses monarques, profondément méfiants des pouvoirs de la chambre basse et des citoyens électeurs. Elle est calquée sur le modèle de la Chambre des lords britannique issue d'une aristocratie qui voulait tenir en échec la volonté du peuple.

Dans la Constitution de 1867, la Reine devait nommer les sénateurs mais les pouvoirs royaux tombant vite en désuétude ont été assumés entièrement par le premier ministre fédéral, qui se trouve ainsi à détenir par voie électorale tous les pouvoirs confiés au gouvernement fédéral par l'AANB et, par voie d'héritage, l'ensemble des pouvoirs confiés au monarque par ce même AANB. Un quasi-dictateur élu pendant quatre ou cinq ans, s'il est majoritaire aux Communes.

Ceux qui prétendent que le Sénat sert à représenter les intérêts des provinces dans la fédération vivent au pays des merveilles. Peu importe l'ampleur des consultations, peu importe la bonne volonté des parties en cause, peu importe la qualité des sénateurs eux-mêmes, ces personnes restent nommées par le premier ministre du Canada et elles n'ont aucun compte à rendre aux gouvernements des provinces dont ils sont issus.

Comment, de toute façon, sur le plan même des principes, un citoyen qui se veut démocrate peut-il accepter que les lois adoptées par les députés du peuple soient révisées et modifiées, voire refusées, par un groupe de sénateurs qu'a choisis le premier ministre fédéral à titre d'héritier des anciens pouvoirs de la Reine de Grande-Bretagne? Non, vraiment pas…

La solution la plus simple serait tout simplement d'abolir ce reliquat d'une vieille monarchie antidémocratique… Un projet référendaire là-dessus serait adopté à forte majorité. Et tant qu'à y être, pourquoi ne pas remettre en question la monarchie elle-même? On trouverait, là aussi, un large consensus… même au Canada anglais. Il y a quelque chose d'odieux, en 2016, à se retrouver «sujet» d'un monarque, fut-il édenté et impuissant.  La démocratie exige d'inverser la pyramide, l'autorité suprême émanant du peuple, plutôt que d'un souverain anglican couronné de droit divin…

Le Québec - qui a aboli sa chambre haute non élue en 1968 - pourrait de nouveau donner l'exemple, sans bouleverser la constitution, sans modifier l'équilibre des pouvoirs, et se donner une constitution à saveur républicaine, consacrant la laïcité de l'État et la suprématie du peuple dans les limites de ses compétences. En attendant mieux…


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* Senatus populusque romanus (SPQR) - Le Sénat et le peuple romain (emblème de l'ancienne République romaine)... 

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