mercredi 30 mars 2016

Vivre en français en Saskatchewan?

Au cours du dernier demi-siècle, depuis l'émergence du débat sur le projet de souveraineté du Québec, le sort des minorités francophones (canadiennes-françaises et acadiennes) dans les provinces à majorité anglophone a pris du galon sur l'échiquier pan-canadien. Leur capacité - ou incapacité - de vivre en français dans des milieux anglo-dominants, sous la gouverne d'États qu'ils ne contrôleront pas, ponctue de plus en plus les grands débats sur l'avenir du pays.

Le vieux rêve d'un Canada bilingue, entretenu surtout par des francophones depuis 1867, devient vite impensable si la langue française doit être éventuellement confinée, à toutes fins utiles, au territoire québécois et à quelques régions périphériques de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick. Ayant compris ce qui arriverait si les minorités de langue française n'étaient plus dans le décor, le gouvernement fédéral a investi depuis 1970 des centaines de millions, voire des milliards de dollars dans les organisations qui représentent ou desservent ces collectivités, d'un océan à l'autre.

La question de savoir ce que tous ces efforts et dollars ont donné reste posée, et il n'y a pas de réponse claire dans le bourbier de propagande qui l'engloutit. La plupart des acteurs autour de cet enjeu majeur semblent vouloir démontrer soit le dynamisme des minorités, soit leur lente agonie. Ceux et celles qui cherchent, au contraire, à peindre un portrait plus réaliste sont le plus souvent dénoncés comme des pessimistes. Les minorités canadiennes-françaises et acadiennes hors-Québec ne sont pas, loin de là, des dead ducks mais elles ne sont pas non plus des collectivités en plein essor.

Les porte-parole des minorités soufflent eux-mêmes le chaud et le froid selon les besoins ou l'occasion. En mars 2015, Mme Marie-France Kenny, alors présidente de la FCFA (Fédération des communautés francophones et acadienne), avait déclaré devant le comité des Communes sur les langues officielles: «À plusieurs endroits, ce n'est qu'une question de temps avant que nos communautés tombent en dessous du seuil requis pour recevoir des services et des communications en français des bureaux fédéraux. Et quand notre poids relatifs sera tombé encore plus bas, que remettra-t-on à ce moment? Nos écoles de langue française?» Bilan sombre...

Et voilà qu'en 2016, dans une entrevue accordée au Droit, la même Mme Kenny (qui n'est plus présidente de la FCFA et demeure à Regina), propose un message quasi contraire: «Oui, dit-elle, on peut très bien vivre en français en Saskatchewan, et de plus en plus. Que je sois à l'épicerie, au restaurant ou ailleurs, je m'adresse toujours aux gens en français. Et j'ai remarqué que de plus en plus de jeunes me répondent en français.»* Récemment, lors de l'émission Le français au Canada: d'un combat à l'autre, sur les ondes de Radio-Canada, on aurait presque cru qu'il était possible de vivre en français à Winnipeg ou à Toronto…

Étant donné que ni Radio-Canada ni Le Droit ne donnaient de chiffres sur la situation réelle des minorités francophones à ces endroits, il est difficile pour le lecteur ou l'auditeur de mesurer le degré de crédibilité des affirmations qui lui sont proposées. Je ne doute pas un instant de la bonne foi des gens qui voient l'avenir du français hors-Québec en rose, mais rien ne prouve que leur expérience personnelle soit celle de la majorité des francophones. De fait, toutes les données disponibles, issues principalement des recensements, incitent à tirer la sonnette d'alarme.

Prenons le cas de la Saskatchewan. Je veux bien croire qu'un Fransaskois bien têtu pourrait, à force d'insister et de lutter tous les jours, arriver à trouver ça et là des francophones dans des commerces ou dans des bureaux gouvernementaux… Mais ce serait un tour de force. Selon le plus récent recensement, sur 1 018 000 d'habitants en Saskatchewan, plus de 965 000 ne parlent qu'une seule langue officielle: l'anglais. Cela laisse pour notre Fransaskois bien décidé un bassin très dispersé de 16 280 personnes de langue maternelle française et de 28 000 anglophones bilingues…

À Ottawa, où 336 000 personnes (sur une population totale de 872 000 en 2011) comprennent le français, il est très difficile de vivre en français sans faire un effort constant, et dans certains quartiers de la ville c'est à peu près impossible. Et on va nous faire croire qu'on peut très bien vivre en français au coeur des Prairies? Selon le même recensement, la majorité des Fransaskois ne réussissent pas à vivre en français au foyer. À peine 4 300 des 16 280 francophones parlent surtout le français à la maison.

Ces données peuvent paraître décourageantes, mais elles sont réalistes. Cela ne diminue en rien la valeur des efforts consentis par les Fransaskois toujours engagés dans le combat pour la pérennité du français. Et ceux et celles qui restent, à titre d'avant-poste d'une francophonie nord-américaine toujours bien vivante, dont le coeur territorial reste le bassin du Saint-Laurent, ont avantage à conserver à leurs côtés quelques milliers de francophones convaincus plutôt que de compter sur des dizaines de milliers de personnes qui, au-delà de leur connaissance du français, ne s'en servent pas…

L'important c'est qu'au-delà de la propagande, peu importe l'option politique, souverainiste ou fédéraliste, tous les francophones, Québécois ou pas, ont intérêt à assurer la pérennité de la langue et de la culture françaises à l'extérieur du Québec. Et cela ne se fera ni en annonçant la mort prématurée de collectivités toujours vivantes, ni en inventant un faux pays des merveilles où ces mêmes collectivités vivraient dans des paradis francophones ou bilingues… Cela ne pourra arriver qu'avec des stratégies réalistes fondées sur une solide analyse de l'érosion réelle qui menace la francophonie nord-américaine, à l'extérieur comme à l'intérieur du Québec...

Et que les Québécois se le tiennent pour dit. Le jour où ces collectivités auront sombré, si telle chose devait arriver, l'ultime combat linguistique aura déjà commencé depuis longtemps dans le bassin du Saint-Laurent. Et à voir ce qui se passe ces jours-ci à Montréal, je ne donnerai pas cher de nos chances de réussite.

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* Lien au texte du Droithttp://bit.ly/1PoDczV

3 commentaires:

  1. Le Canada bilingue de Trudeau ????

    Le rêve de Trudeau père relève aujourd’hui d’un fantasme irréaliste : le Canada est de moins en moins bilingue ?

    Je dirais plutôt un génocide culturel prémédité !

    https://www.facebook.com/?ref=tn_tnmn#!/photo.php?fbid=10153550867058140&set=a.232916908139.169388.652793139&type=1&theater

    Voir…
    • Le mensonge de Trudeau ! Le Génocide culturel des francophones au Canada
    Synthèse du déclin du français au Canada par Pierre-Luc Bégin
    PDF : www.vigile.net/IMG/pdf/24-Genocide.pdf
    Résumé statistique : http://genocideculturel.lequebecois.info/apercu.html
    • Les résultats de Trudeau! https://www.facebook.com/photo.php?fbid=480372472012243&set=a.324109114305247.73488.156743514375142&type=3&theater#!/156743514375142/photos/a.324109114305247.73488.156743514375142/480372472 012243/?type=3&theater
    • La réalité de Trudeau ! http://plus.lapresse.ca/screens/b85b251d-89de-4a17-8060-e72e36612368%7C_0.html
    • Avis de décès: le rêve de Trudeau ! http://pierreyallard.blogspot.ca/2013/04/minorites-francophones-lindifference.html

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  2. Très intéressant! Par contre, je suis resté sur ma soif; je serais curieux de vous lire, au sujet de "ce qui se passe ces jours-ci à Montréal". En tant que Fransaskois (en plus d'être Montréalais d'adoption), je pourrais en dire long sur mon sentiment d'être encore en milieu minoritaire dans la métropole québécoise.

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  3. Des propos qui suscitent beaucoup de réactions de ma part. Je suis Québécois qui vit justement en Saskatchewan, à Regina. Je vois le côté réaliste de ce que vous dites. Par contre, il faudrait se demander si la langue et la culture sont seulement une question de services gouvernementaux. Je compare cela à la religion où plein de Québécois ne vont plus à la messe mais se disent catholiques. Ils n'y vont plus mais ils pratiquent une certaine foi à la maison, dans leur foyer. Est-ce possible que les Fransaskois fassent la même chose, c'est-à-dire exprimer leur langue et leur culture à la maison ou lors de certains événements? Pour etre sur place, je dirais oui. Mes deux filles sont nées à Regina et elles parlent très bien le français. Elles ont même gagné des prix d'excellence au niveau canadien. Tout ça pour dire que si les francophones du Canada ( j'inclus les Québécois même s'ils n'aiment pas être inclus dans le mot Canadien!) se mettent ensemble et travaillent ensemble pour protéger ce bel héritage, peut-être arriverons-nous à nous épanouir dans ce pays, qu'il faut dire, a des tendances à ne pas reconnaître le fait français.

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