mercredi 31 août 2016

Jean-François Lisée en terre fédérale...

Au début des années 1990, j'avais assisté à quelques réunions à l'édifice Sir John Carling, à Ottawa, siège du ministère fédéral de l'Agriculture. Un fonctionnaire unilingue anglais, fraîchement arrivé du sud de l'Ontario, m'avait confié qu'il était un peu bouleversé par le contexte linguistique à Ottawa, et dans son ministère en particulier. «Ici, tout est en français», me disait-il, quelque peu inquiet…

Ce commentaire m'avait pris de court, d'autant plus que dans cette grande tour à bureaux (qu'on a démolie il y a quelques années) avoisinant les vastes terrains de la Ferme expérimentale d'Ottawa, à peu près personne ne travaillait essentiellement en français. La langue à l'ouvrage, c'était l'anglais. La majorité des anglophones étaient unilingues; la totalité des francophones, bilingues. À force d'entendre tous les jours des gens parler français autour de lui, au téléphone, dans les couloirs, à la cafétéria, chose inconnue dans sa région torontoise, il avait cru atterrir au Saguenay…

Vingt-cinq ans plus tard, quand on aborde la question de la langue de travail dans l'administration fédérale, l'écart entre la réalité et la perception reste énorme, surtout chez les unilingues anglais mais aussi chez les francophones qui, en quasi totalité, auraient de la difficulté à peindre un portrait précis de la situation. Pour l'observateur extérieur, il apparaît très clair qu'à Ottawa, sauf rares exceptions, la connaissance de l'anglais reste essentielle pour les francophones… Pire, à mesure que la proportion de parlant-français diminue au pays, et que cette proportion diminuée tend à s'angliciser, la langue française - ou ce qui en restera - risque de devenir l'apanage quasi exclusif du Bureau de la traduction…

Pour le moment, le français langue de travail dans la fonction publique fédérale constitue un dossier plutôt flou, et personne ne semble prêt à déterrer la hache de guerre pour assurer à la langue française sa juste part du gâteau administratif. Il y a peut-être là une boîte de Pandore que les francophones, autant que les anglophones, craignent d'ouvrir, ne sachant trop s'ils veulent vraiment révéler toute la vérité sur l'évolution de la francophonie au sein de l'appareil fédéral. À trop voir l'avenir avec les lunettes roses officielles, une froide analyse fondée sur les faits pourrait s'avérer un choc brutal.

Pendant qu'on se gargarise de belles intentions, toujours renouvelées, jamais réalisées, les vieux projets d'unités de langue française dans la fonction publique fédérale se sont évaporés au fil des décennies et le Commissaire aux langues officielles continue de consacrer plus de 90% de son temps à consigner dans ses rapports les doléances des francophones, y compris l'impossibilité de travailler en français au sein de l'appareil fédéral. Des 88 800 emplois fédéraux dans la région d'Ottawa, moins de 200 sont désignés unilingues français selon les chiffres du Conseil du Trésor… C'est assez clair?

Qu'un candidat à la direction du Parti québécois, Jean-François Lisée, s'intéresse à cela constitue en soi un phénomène. Le député de Rosemont a en effet profité de son incursion à Gatineau, cette semaine, pour semoncer le gouvernement Trudeau qui, dans sa défense de la «diversité», semble avoir oublié «le droit des travailleuses et des travailleurs québécois au sein de la fonction publique fédérale de travailler en français». Cette association du français à la diversité, concept voisin du multiculuralisme, paraît étrange mais tout de même, une manifestation d'intérêt c'est déjà un pas dans la bonne direction.

Le premier problème que M. Lisée va devoir affronter, c'est l'indifférence à peu près totale des médias et de l'opinion publique pour cet enjeu, pourtant fondamental. Il en a fait l'expérience quand seul le quotidien Le Droit a délégué un journaliste et un photographe à sa conférence de presse de Gatineau, mardi matin, alors que tous les médias, y compris l'abondante presse parlementaire, avaient été avertis que le candidat à la direction du PQ aborderait de front la question du statut de la langue française dans la fonction publique fédérale et dans les organismes sous juridiction fédérale…

En après-midi, Radio-Canada publiait aussi sur son site Web un texte reprenant les principaux points évoqués dans le communiqué de presse de M. Lisée, mais sans vidéo d'entrevue.

Le même jour, la ministre fédérale Mélanie Joly et sa troupe ambulante des langues officielles était à Montréal dans le cadre de la tournée de «consultations» pancanadiennes… et n'eut été de la présence d'un journaliste de l'agence Presse canadienne, il n'y aurait peut-être pas eu de compte rendu à la télé et dans les quotidiens du lendemain. Ni Radio-Canada, ni Le Devoir, ni le Journal de Montréal, ni La Presse ne semblent avoir délégué de scribe à l'événement.

Le second problème qui attend M. Lisée, et il est de taille, ce sera de brosser un tableau réaliste du fonctionnement linguistique de l'administration fédérale. Un travail de moine en perspective, si la chose l'intéresse vraiment. Peut-être aurait-il avantage, pour sa course à la chefferie du PQ, à se concentrer sur le piètre sort réservé à la langue française par le gouvernement Couillard, qui fait tout pour la mettre en péril, depuis l'anglais intensif aux seuils excessifs d'immigrants qu'on ne se donne pas la peine d'intégrer à la majorité francophone.

Si malgré tout, le sort du français au sein de cet appareil fédéral le préoccupe, il devra larguer le concept de diversité et lui substituer celui de «dualité», car il n'y a au pays que deux langues officielles, en principe égales. Cela n'a rien, mais rien à voir avec un quelconque appui aux LBGT et au multiculturalisme… Et secundo, en défendant le droit des Québécois (y compris des Anglo-Québécois) de travailler en français dans la fonction publique fédérale, il pourrait avoir une petite pensée pour les autres francophones du Canada, qui ont ce même droit…

Quoiqu'il en soit, cette initiative de M. Lisée doit être saluée, et imitée. Plus on s'informe, mieux on est outillé en politique. Et tant qu'une portion substantielle de nos impôts continue d'être acheminée à Ottawa, on a tout avantage à guetter de très près le sort des nôtres…











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